Etat chronique de poésie 1051

Publié le 08 novembre 2010 par Xavierlaine081

1051 

J’aurais aimé gommer les pages, les noires, les soupirantes, celles qui n’ont plus grand-chose à dire, une fois le temps passé. 

Qu’un hiver frappe à la fenêtre et me voici chagrin de ne plus trouver ici, joie et insouciance, d’avoir trop vécu, trop pleuré, de m’être déchiré aux épines d’une vie dont je ne ferai point cadeau, à mes pires ennemis, si seulement il s’en trouvait, derrière les yeux silencieux. 

Effacer serait m’amputer à vif de ce qui fut, de ces traces déroulées en innombrables pages, pages grinçantes faute d’avoir de quoi m’offrir l’huile pour en harmoniser les gonds. 

Bien sûr, il me reste une conscience, celle d’avoir vécu, pas toujours dans la justice et la droiture que j’aurais voulu mienne, mais d’avoir traversé quand même d’une rive à l’autre, en tirant les leçons d’un passé de révolte et d’espoir. 

Mais voilà que je marche, ébahi de ne pas me laisser prendre par la joie resplendissante d’une jeunesse révoltée. 

Mon pas reste aérien malgré les années, car j’ai appris qu’il ne servait à rien d’y ajouter du poids. 

Mes pensées savent se faire légère dans l’aube qui s’avance, masquée, dans l’atrophie des jours. 

Seuls les flocons éternellement absents, sacrifiés sur l’autel des profits, morts avec la terre qui s’essouffle de nous supporter, savent encore mettre un baume aux blessures infinies. 

Et toi, mon fils d’ultime noce, qui vient te blottir contre mon épaule, et me regarde, silencieux, lire la vie d’un fusillé. 

Que sommes-nous, nous qui n’avons, au fond rien vécu de ces temps obscurs qui laissaient le clivage net entre justes et compromis. 

Nous voilà pris dans la tourmente de l’argent, d’une consommation non demandée mais si finement offerte qu’elle en paraît indispensable. 

Nous ne savons plus rien faire de nos dix doigts. Nous voilà soumis aux caprices de machines qui envahissent notre quotidien prétendument confortable. 

Nos yeux ne voient plus rien du sordide d’un monde dont la guerre s’est déplacée vers d’autres fronts. 

Les victimes s’y dénombrent par milliers, sacrifiés devant les portes fermées des usines et des ateliers. Que pèse un suicidé dans l’enfer qui broie désormais en silence êtres et espérances ? 

Le silence est de mise entre les mains de fer qui détiennent et ne distillent qu’avec parcimonie les informations qu’il nous faut admettre comme autant de vérités immuables et répéter bêtement, aux tables des cafés du commerce. 

Les tavernes glauques où se fabriquent la soumissions se font légions sous le frontispice d’une toile dont on ne voit que trop bien où elle nous emmène : droit dans les flots impétueux du fleuve d’indifférence. 

Saurions-nous mettre tronc 

En travers des eaux boueuses 

Pour ne pas nous y noyer ? 

Manosque, 17 octobre 2010 

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