C’est dimanche, et il n’est pas question de se prendre le chou avec un texte philosophique : pour le repos dominical, je vous invite donc à lire un truc facile, à mi-chemin entre une histoire de toto et un haïku écrit par Borloo. Cela se trouvera facilement dans Libération, trou noir supermassif du journalisme qui attire à lui tous les imbéciles gravitationnels en goguette autour.
Cette fois-ci, c’est Luc Le Vaillant qui nous explique les bribes de pensées qui lui passent par la tête. Manifestement toujours partant pour fermer des prisons et ouvrir sa bouche pour émettre des petits sons en vrac, il nous détaille dans un poignant article d’analyse un bouquet de propositions hardies et innovantes pour rendre la société moins rugueuse, plus douce et plus ronde, en parfait accord avec les dogmes et préceptes de la République du Bisounoursland.
Las. Tout le monde n’est pas Rabelais : si certains extraient la substantifique moelle d’une pensée, là, on a extrait un petit jus de chaussette assez clairet et dont le fumet n’est franchement pas ragoûtant.
Il confond nécessaire retour à l’ordre et à la justice avec les traditionnelles et quasi-industriellement répandues Heures Les Plus Sombres De Notre Histoire, incluant bien sûr de la société policière et des morceaux de sécurité totalitariste dedans, q. s. p. 1 tonne.
Et c’est au canon de 105 que notre ami Luc débute son pilonnage chirurgical du bon sens, le tout dans une modestie ciselée à la mitrailleuse lourde :
« Voici cinq pistes de réflexion à la fois jacobines et libertaires pour s’affranchir enfin des sales réflexes bastonneurs. »
Jacobines et libertaires, je ne sais pas, mais longuement polies à la pierre à poncifs, ça oui. Jugez plutôt, sachant qu’il a gardé le meilleur (le plus gluant et le plus sucré) à la fin :
1. Fermer les prisons.
Et paf, direct comme ça dans les gencives, « Répétons que la prison est l’école du crime. » dit-il, sans même imaginer qu’il puisse en être autrement.
Que la prison, en France, actuellement, puisse être l’école du crime, certes. Que ce soit la nature même de la prison, c’est un dévoiement évident ; imaginer, avec une toute petite partie de son cortex, une prison propre, où les détenus ne seraient pas mélangés n’importe comment, et où la criminalité la plus sordide ne régnerait pas sous l’œil impavide de gardiens à moitié tortionnaires, ce n’est pas trop trop compliqué. Ça doit pouvoir exister, ça doit être possible.
Mais non. C’est décidé : la prison, c’est, par définition, l’échec de toute possibilité d’un cadre stable et réformateur. On doit donc fermer. Zou. Soit. Mais les criminels incarcérés, en attendant, on en fait quoi ? Centres aérés ? Bagne ? Parcs à thème ?
Mieux : on va les laisser chez eux, assignés à résidence :
Le port des bracelets doit être généralisé et les courtes peines bénéficier systématiquement de procédures de substitution.
C’est déjà le cas, avec une proportion affolante de prévenus condamnés à de la prison ferme qui ne sont pas, effectivement, entre quatre murs. Je suppose que dans l’esprit de notre ami Luc, il ne devrait plus y avoir aucun incarcéré du tout. Je subodore qu’une fois cette proposition mise en place, le même Luc trouverait le choc avec le mur de la réalité un chouilla rude en constatant qu’en plus, le mur est en béton armé précontraint et qu’il est enduit de crépi.
Quant aux bracelets, leur efficacité reste largement à prouver.
Bref : si les sociétés répressives n’ont clairement pas fait la démonstration de leur efficacité en matière de sécurisation du territoire et des honnêtes gens, le laxisme que notre journaliste propose ressemble fort à ce qui existe déjà, avec là encore des résultats franchement mitigés.
Se sentant en verve, il continue cependant en proposant d’ …
2. Ouvrir des hôpitaux psychiatriques.
Effectivement, si l’on s’en tient à la lucidité moyenne des fervents abonnés et des journalistes moyens de Libé, on ne peut qu’abonder dans son sens. Mais de façon plus générale, au niveau de la société en elle-même, on ne voit pas ce qu’une multiplication des asiles va permettre, d’autant que notre aimable inconséquent nous explique dans un souffle qu’ « Imposer des camisoles éternelles disqualifie toute la philosophie sanction-réparation-réinsertion à l’œuvre depuis 1945 » ; on veut donc plus d’asiles, mais des gens moins drogués.
On voit déjà se brosser le tableau, là encore très rose pastel avec des petits oiseaux qui gazouillent, d’asiles fleuris où les pensionnaires en pyjama blanc passent leur temps à peindre de charmantes aquarelles dans une lumière de printemps frais. Le violeur décuplement récidiviste trouvera dans la barbouille un exutoire efficace à ses pulsions animales. Le psychopathe tortionnaire, lui, pourra évacuer ses funestes penchants dans le concours de poterie organisée tous les mercredis au réfectoire. Et les gommettes colorées seront réservées aux terroristes (la terre glaise leur rappelle trop les pains de C4). Youpi.
Pour l’étape d’après, Luc s’en est mis partout partout, le gros bavou.
3. Nationaliser la distribution des drogues, étatiser la prostitution.
Ah, quelle bonne idée d’enfin arrêter la prohibition sur le tabac et l’alcool et en finir une bonne fois pour toute avec les réseaux d’Al Capone !
Soyons sérieux deux minutes, Luc : compte-tenu du montant des taxes sur les cigarettes et les alcools, on peut déjà dire que cette nationalisation est bien avancée. En réalité, ce que tu veux, c’est fumer du pétard subventionné par le contribuable, ce qui t’évitera d’aller t’encanailler dans les quartiers interlopes pour te réapprovisionner entre deux piges à Libé.
Maintenant, sur le principe même, on pourrait discuter quelque peu de la pertinence de faire payer à tout le monde un bien (la drogue) ou un service (la prostitution) qui ne sont pas de première nécessité, et ce même avec l’élasticité des définitions dont les socialistes sont pourtant coutumiers. Mais je te sens mûr, mon petit Luc, pour déclarer que se picouser ou se taper une gagneuse est un Droit de l’Homme…
En réalité, notre ami Luc utilise un autre argument, encore plus massif :
Seul l’Etat est capable de garantir le volontariat des travailleurs du sexe, de couper l’herbe sous le pied des trafiquants d’êtres humains
C’est, on peut le dire, une arme de destruction massive de crédibilité. Jusque là, Luc passait pour un aimable clown utopique. A présent, il passe pour un dangereux crétin complètement coupé des réalités : comment l’Etat pourrait-il garantir le volontariat des prostituées, alors qu’actuellement, la loi et les moyens en place ne le permettent en rien ? Luc imagine ainsi, par pure pétition de principe et sans rire de sa consternante proposition, que des Fonctionnaires du Sexe seront plus faciles à gérer, par le simple accès au statut.
On frise la blague de mauvais goût.
4. Disséminer l’habitat social.
Et là, c’est la dernière ligne droite : Luc se lâche totalement, et laisse son pied à fond sur le champignon.
il revient à l’Etat de disséminer des habitats sociaux adéquats sur le territoire pour en finir avec le communautarisme de relégation.
Eh oui mes petits amis : en saupoudrant de l’habitat social un peu partout en France, on va résoudre les problèmes de violence et de pauvreté. Continuant toujours avec la même obstination boboïde la fausse causalité Pauvreté entraîne Violence, on décide donc qu’en imposant un éparpillement des pauvres, on va éparpiller aussi la violence. L’imagination de Luc est sans bornes. Maintenant, j’attends de voir ce que vont donner des pauvres du 93 répartis généreusement en Lozère. Expérience sociologique amusante, mais probablement coûteuse. D’autant que les moyens pour y parvenir sont tout de douceur et de subtilité :
Les promoteurs seront tenus de mettre à disposition du logement social un faible pourcentage de leurs mètres carrés nouvellement construits. Pour l’ancien, la réquisition pourra s’exercer dans la même proportion.
Voyez, rien de bien compliqué ! On oblige tout le monde à faire comme ça, un petit bisou, et c’est reparti pour 30 années de bonheur.
Mais tout ceci ne pouvait pas terminer ainsi : il nous fallait une apothéose anticapitaliste, avec de l’économie de comptoir et trois grosses louches de socialisme torride qui marche bien. Et on va appeler ça :
5. Repenser le monde de l’après-travail.
C’est la turlute de fin de papier, avec une éjaculation explosive de sociologie de bistrot sur les dernières lignes. Plutôt que créer des jobs et du travail, on va accélérer le partage (on va faire de la giga-redistribution les enfants !) et garantir des revenus d’existence à chacun (en route vers la turbofiscalité !). Parce que sinon, c’est la cata assurée, la machine infernale s’emballera. Puisque Luc vous le dit.
…
Je sais que cet exercice est vain : dans tout ce fatras de propositions, on ne voit pas trop le laxisme, bien plus le socialisme de caniveau, et je sais pertinemment que mon commentaire n’atteindra même pas le microbe qui l’a suscité.
Mais c’est dimanche, et le temps de cuisson du traditionnel poulet dominical laisse une marge importante pour se laisser aller.
Ce serait dommage de ne pas se faire du bien.