Il m’a fallu longtemps pour écrire un billet sur l’exposition Courbet, au Grand Palais jusqu’au 28 Janvier (puis à New York et à Montpellier), et vous avez pu lire ici ou là ou ailleurs des recensions de qualité. C’est un des artistes de mon panthéon et je ne sais trop par où commencer, comment dire des choses ni trop scolaires, ni trop rabâchées. D’abord, que c’est une exposition remarquable, avec des toiles jamais vues, ou jamais vues comme ça : comment pourrons-nous désormais accepter les éclairages médiocres et les contre-jours du Musée d’Orsay, quand nous avons vu ces grandes toiles en pleine lumière au Grand Palais, ‘l’Enterrement’, ‘l’Atelier’, ‘le Combat de Cerfs‘ ?
Ensuite que le talent premier des commissaires est d’avoir su marier parcours chronologique et thématique, d’avoir montré l’évolution du peintre tout en faisant ressortir les parentés, les lignes de fond. A titre d’exemple, la longue salle où se font face, d’un côté des vagues marines écumantes, déferlantes sous des cieux tumultueux, et de l’autre des grottes franc-comtoises moites, profondes, ornées de roux buissons, construit une tension, une pulsion qui nous mène droit à la salle suivante où trône ‘l’Origine du Monde’ (flanquée de ses deux cache-sexes, si j’ose*).
Plutôt que les grands tableaux emblématiques, de ‘l’Enterrement à Ornans’ au ‘Sommeil’, sur lesquels je ne saurais vous dire rien de neuf, voire d’original, plutôt qu’une divagation onirique sur ‘l’Origine du Monde’ (à propos, lisez ce livre), plutôt qu’un exposé sur le réalisme ou la position de l’artiste, je voudrais vous montrer ici quelques toiles moins connues, qui m’ont frappé. D’abord, à côté de l’emblématique ‘Désespéré‘ qui orne l’affiche, et dont le coude semble trouer la toile, regardez cet autre autoportrait, Le fou de peur. Plus romantique sans doute, il s’inscrit dans un paysage; l’homme n’est plus en blanc, et les rayures de ses habits ajoutent à son étrangeté. Mais surtout, nous le saisissons là au moment où, succombant à la tentation du suicide, il bondit dans le vide, les yeux exorbités, une main sur la tête comme pour témoigner de sa folie. Le malaise vient aussi de l’inachevé du tableau, de ces coups de brosse blancs et verts en bas: sans doute Courbet, renonçant à théâtraliser davantage son désespoir, n’a-t-il jamais achevé cette toile, mais on se prend à la croire au contraire en train de se dégrader, de pourrir, envahie elle aussi par une folie dégénérescente.
Courbet est un grand portraitiste, mais son Portrait d’Hector Berlioz fut refusé par le musicien, qui par ailleurs jugea le peintre idiot et agaçant. C’est une représentation mélancolique du génie romantique, secret et taciturne, le front bosselé et tourmenté, les pommettes saillantes, le nez tranchant, les yeux enfoncés. Le visage n’est qu’une tache claire au milieu du noir du fond et de l’habit. Et ce tableau refusé est devenu l’image la plus connue de Berlioz, et, sans doute, avec celui de Baudelaire, un des meilleurs portraits de Courbet.
Parmi les nombreux paysages de Courbet, j’aime particulièrement la construction rigoureuse de ceux des combes jurassiennes (ici Les Roches de Hautepierre-Mouthier) où les lignes verticales, droites et dures des falaises de calcaire blanc se marient avec les vertes ondulations courbes des forêts et des prairies. Ce sont des paysages de rupture, de tension et d’équilibre entre formes, lignes et couleurs; on y perçoit aussi une fascination pour le minéral, le géologique, qui annonce Cézanne.
Enfin, les Truites de la fin de sa vie, poissons magnifiques en train d’expirer, sont en quelque sorte ses derniers autoportraits : homme blessé, prisonnier, approchant de la mort. Celle-ci, de 1872, porte en bas à droite l’inscription en rouge ‘In vinculis faciebat’, je l’ai faite dans les liens, c’est à dire en prison ou en exil.
C’étaient simplement quelques vignettes pour étendre un peu la vision que nous avons de Courbet, ouvrir des perspectives complémentaires avec des tableaux moins connus. J’ajouterai que le catalogue est remarquable.
* Il est dommage que la superbe carte postale à glissière, où le dessin-écho de Masson coulisse au dessus de l’Origine, ne soit pas en vente au Grand Palais; il faut aller au Musée d’Ornans pour la trouver. Faites-en provision quand vous passez par là, et rapportez m’en quelques-unes, merci.