Editions Actes Sud, 2010
A mi-chemin entre la fiction et la biographie, Claude Pujade-Renaud nous relate l'histoire du couple mythique de poètes américains et anglais, Sylvia Plath et Ted Hugues. Sylvia Plath, poétesse maudite (1932-1963), auteur entre autres de La cloche de détresse et de Ariel, se suicida au gaz, entre autres suite aux infidélités de son mari. Les féministes la considèrent comme une icône, victime de la société machiste.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sylvia_Plath
Mais le but de l'auteur n'est pas de prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Il s'agit plutôt de relater l'itinéraire passionnant et passionné de la poétesse, d'autant plus que le roman ne s'arrête pas à la mort de Sylvia ; en effet, en 1930, surgit le deuxième amour de Ted, Assia, la poétesse et peintre juive, elle aussi rongée par la culpabilité. Ce sont ces chassés-croisés amoureux et follement romanesques auxquels nous convie Pujade-Renaud, à travers un récit polyphonique : bien sûr, les trois protagonistes s'expriment mais aussi, les membres des deux familles, les voisins, les médecins et psychiatre.
L'auteur parvient à nous rendre le couple de poètes très familier et en même temps, ils deviennent des figures éternelles, doubles des grands personnages de la mythologie ou de la littérature.
En effet, l'auteur rend son roman très poétique dans la mesure où les images et les métaphores abondent.
Ted et Sylvia sont deux figures animales ; lui, le poète, est passionné par le langage des animaux et , en apprenti chamane, passionné par les légendes, rêve de le comprendre. Il rêve de dompter la panthère Sylvia ; entre eux, c'est une chasse perpétuelle (lors de la première rencontre à Cambridge, Sylvia mord Ted !).
Les deux poètes sont les deux élues de Dame Nature ; la référence à L'amant de Lady Chatterley de DH Lawrence est manifeste : il y a une magnifique scène de fusion entre la nature et l'homme ; les deux poètes se promènent dans les bois, et entre les animaux et les oiseaux, scellent leur union païenne. Les paysages anglais du Devon et du Yorkshire, collines et forêts sous la pluie et le vent, de sont pas sans évoquer les oeuvres des soeurs Brontë.
Autre référence à la littérature, explicite cette fois-ci : Shakespeare, notamment à travers la pièce La tempête. (le roi Prospero, avec sa fille, contrôle des éléments et les esprits,notamment l'esprit Ariel).
Ted-Prospero tente de parvenir à apprivoiser Ariel, pour sauver Sylvia de la dépression.
Enfin, la référence au mythe Orphée-Eurydice est constante ; Ted-Orphée ne parviendra pas à ramener Eurydice-Sylvia de l'enfer.
Figures littéraires, figures mythologiques et aussi figures de la vie quotidienne. Sylvia Plath est avant tout une mère de deux enfants ; lorsqu'elle se suicide au gaz, elle prend bien soin de calfeutrer la chambre des enfants et de leur laisser du lait et des tartines. Le lait nourricier, liquide magique et sauveur, lutte contre le sang menstruel, qui entraîne la dépression et le retour des cauchemars. Sylvia, la maman, la cuisinière, la ménagère, la décoratrice et poète. La création, c'est la poésie mais aussi la maternité. Ces deux pans sont indissociables.
Mais dans la vie quotidienne, règne Moira, la figure du destin, qui encourage au suicide, de génération en génération....
Un petit chef d'oeuvre qui donne envie de lire Sylvia Plath, Shakespeare, et DH Lawrence. Que demander de mieux !