Un vide à la place du coeur

Par Krri

de Alicia Giménez Bartlett

Un meurtre horrible a été commis dans le quartier de Gracia à Barcelone, et l’arme du crime est le Glock de l’inspectrice Petra Delicado.

Non, Petra n’a pas rejoint le camp des truands. Elle s’est juste fait voler son pistolet, et de la manière la plus bête qui soit en allant aux toilettes dans un centre commercial. Une gamine à l’agilité étonnante a réussi à subtiliser le sac que sa propriétaire avait suspendu à une patère et a décampé. Unique témoin du vol, Marina est également une petite fille que l’inspectrice sollicite pour passer en revue des photos de mineures fichées, dans l’espoir d’identifier la voleuse.

Elle reconnaît sans hésitation une fillette roumaine qui a transité par un centre d’accueil. Une question demeure : le vol du pistolet de Petra était-il fortuit ou délibéré ? L’enquête sur le crime de Gracia, elle, piétine. La seule piste pour Petra et son adjoint Garzon est un atelier de confection dans lequel travaillent des ouvrières, roumaines elles aussi. Cet atelier s’est déjà trouvé dans le collimateur de la police pour une affaire de pornographie enfantine ; cette fois pourtant, impossible de trouver la moindre trace d’activité criminelle.

Jusqu’au jour où Petra décide de montrer aux ouvrières une photo d’enfant explicitement pornographique, prélevée dans les archives informatisées de la brigade des mœurs. Elle espère que cette vision choquante déliera les langues. Elle ne se trompe pas et c’est un abîme qui s’ouvre alors devant elle : un monde sordide où se mêlent clandestins, proxénètes, femmes victimes et mères indignes, enfance profanée et enfants assassins. Un monde si effroyable que la vie personnelle de Petra, ses convictions les plus intimes, vont s’en trouver bouleversées.

Editions RIVAGES

Comme dans ses romans précédents, Alicia Gimenez Bartlett imprime sa vision personnelle de la réalité contemporaine. Elle n’est pas la seule à traiter de thèmes aussi sombres que la pédophilie ou l’exploitation des clandestins, mais plutôt que de jouer la surenchère, elle passe ces graves questions au crible de la réflexion de son héroïne.
Au fil des romans – celui-ci est le septième -, les personnages se sont étoffés, ils ont pris une vie autonome, un peu à la manière de ceux de
Tony Hillerman, ce qui donne à la romancière la possibilité d’explorer les contradictions humaines en général, et celles de la société espagnole en particulier. A travers des sujets aussi variés que le mariage, le féminisme, l’aspiration à la solitude et les rapports de classe, Alicia Gimenez Bartlett tisse une œuvre qui pourrait passer pour légère, car l’humour y est un contrepoint essentiel, mais qui, entre les lignes, se teinte de gravité et de désenchantement.