La création d’un suspense à huis-clos n’est pas un exercice facile, et beaucoup s’y sont cassé les dents, mais quand il est maîtrisé, cela donne irrémédiablement des films brillants et mémorables.
On se souvient qu’Alfred Hitchcock s’était illustré dans ce registre à plusieurs reprises, avec Fenêtre sur cour, dont l’action était vue par le point de vue quasi-unique de la fenêtre de James Stewart, La Corde, entièrement situé dans un appartement, et présentant la particularité de donner l’impression d’être tourné en un seul plan-séquence, ou encore Lifeboat, huis-clos se déroulant entièrement en pleine mer, sur un canot de sauvetage, avec neuf personnes à bord.
Difficile de faire plus exigu, non ?
Bon d’accord, il y a eu le Phone Game de Joel Schumacher, situé dans une cabine téléphonique… Mais justement, c’est l’exemple type du suspense à huis-clos très mal exploité. Donc, on peut l’oublier…
Et voilà que débarque aujourd’hui Buried, second long-métrage de Rodrigo Cortés, un jeune cinéaste espagnol qui admire justement beaucoup Hitchcock et le prouve en montrant ici qu’il a retenu les leçons du maître.
La particularité de son film ? L’action se déroule exclusivement dans un… cercueil !
Une caisse en bois des plus étroites enterrée à six pieds sous terre !
Claustrophobes s’abstenir…
Dès la première scène, le cinéaste nous plonge dans le cauchemar de Paul Conroy, un entrepreneur américain qui se réveille dans le noir absolu. Il réalise avec effroi – et nous avec lui – qu’il est ligoté, bâillonné et enfermé dans cercueil recouvert de plusieurs tonnes de terre.
L’homme parvient à se dégager de ses liens et après avoir logiquement essayé par tous les moyens de se dégager de là, en tapant du poing et en poussant les planches de son habitacle extérieur, en vain, il découvre qu’il a en sa possession un téléphone mobile qui ne lui appartient pas, dont la batterie est à moitié vide (oui, à moitié vide ; dans le cas présent, le pessimisme est de mise) et dont les réglages sont… en arabe.
Paul ne sait pas où il se trouve, mais la mémoire lui revient peu à peu. Il se souvient avoir été pris dans une embuscade, alors qu’il partait négocier un contrat commercial en Irak, attiré par les opportunités qu’offre la reconstruction du pays. Et maintenant, il s’agit de trouver un moyen de se sortir de là, et vite…
L’oxygène se raréfiant dans la boîte exigüe, il n’a que peu de temps pour trouver un interlocuteur capable de l’aider à sortir de là…
Tout le suspense – et tout le film – repose sur le personnage, parfaitement joué par un Ryan Reynolds épatant, que l’on ne croyait pas capable d’une telle performance d’acteur, et sur la menace qui pèse sur lui. Comment l’homme a-t-il fini là? Qui l’a mis dans ce cercueil? Et surtout, comment peut-il sortir de là?
Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, le principe du personnage/lieu unique et de l’enjeu “minimaliste” ne suscitent jamais l’ennui. Au contraire !
Le cinéaste joue sur les cadrages pour communiquer efficacement la sensation d’enfermement et de forcer l’identification du spectateur à la victime. Malgré le peu d’espace disponible, il parvient à multiplier les angles de vue pour empêcher la lassitude de s’installer.
Par ailleurs, le suspense s’installe d’emblée et ne faiblira plus jusqu’au dénouement. Un vrai tour de force, car il ne tient réellement qu’à un fil. Enfin, à un coup de fil plutôt…
Paul comprend vite que seule une aide extérieure pourra l’aider à sortir de là. N’ayant plus en sa possession le numéro d’urgence que lui ont confié les autorités américaines à son arrivée à Bagdad, il doit passer par les Etats-Unis et des numéros connus. Il compose le fameux 911 – le numéro américain des urgences – et tombe sur une standardiste pimbêche qui l’envoie gentiment balader ; il tente d’appeler son épouse, en vain, puis essaie les renseignements pour obtenir enfin le numéro de quelqu’un susceptible de faire intervenir les troupes basées en Irak.
C’est le début d’un marathon téléphonique éprouvant, où chaque mise en attente, chaque hésitation de son interlocuteur face au côté incroyable de son récit, lui fait perdre sang-froid et temps précieux, vide un peu plus sa batterie et le rapproche d’une mort certaine…
Cette construction se suffit amplement à elle-même, en titillant les nerfs du spectateur autant que ceux du malheureux héros. Dommage, alors, que le cinéaste se sente obligé, à une ou deux reprises, de rajouter des péripéties superflues (la visite impromptue d’un serpent dans le cercueil) ou d’en rajouter dans le pathos (la mère du personnage est atteinte de la maladie d’Alzheimer)…
En revanche, on apprécie l’emploi de l’humour noir cruel qui entoure ce film, avec quelques moments d’anthologie, comme celui du licenciement de Paul par son employeur, ignoble et lâche.
Cela permet au film d’acquérir une autre dimension en devenant l’allégorie d’une société américaine oppressante où les gens ont de plus en plus de mal à communiquer entre eux…
Si l’on ajoute à cela la critique, en filigrane, de l’attitude conquérante des américains en Irak, on voit que Buried est bien plus qu’un simple “film à pitch”…
Comme quoi, rien ne sert de mettre le paquet sur des effets pyrotechniques déments, des courses-poursuites automobiles coûteuses ou des fusillades se transformant en pluie de balles pour obtenir un thriller réussi en voiture.
Un personnage unique, un téléphone, un briquet et une boîte en bois, et cela suffit pour créer un suspense délicieusement oppressant et façonner un long-métrage intelligent. C’est tout? Non, il faut aussi, évidemment, un minimum de talent…
Manifestement, Rodrigo Cortés en est copieusement pourvu, et il vient logiquement s’ajouter à notre liste des cinéastes à suivre.
En attendant ses prochaines oeuvres, prenez donc une bonne bouffée d’air et empressez-vous de découvrir ce thriller oppressant, l’une des plus belles réussites du genre cette année…
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Buried
Buried
Réalisateur : Rodrigo Cortés
Avec : Ryan Reynolds
Et les voix de : Erik Palladino, Samantha Mathis
Origine : Espagne, Etats-Unis
Genre : cauchemar pour claustrophobes
Durée : 1h35
Date de sortie France : 03/11/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Nouvel Observateur
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