La semaine dernière, le président chinois faisait la une des médias.
J'ai, par hasard, trouvé une thèse sur le web qui analyse la façon de produire un même bien -ici un moteur de camion- dans deux pays différents (voir la référence
en fin de billet)
Existe-t-il un « seul meilleur » moyen de produire ?
L’observation de deux chaînes de montage d’un même moteur (le Dci 11), en France (par Renault Trucks dans les années 1990) et en Chine (par Dongfeng au début des années 2000), souligne des différences très importantes.
Passons en revue les principales différences observées:
1 / coût versus qualité
En France, le choix a été de se concentrer sur la qualité (compétitivité hors prix) pour faire la différence
en termes d'image de marque.
En Chine, la priorité est de réduire les coûts de production sans trop entamer l'image de marque du moteur français (compétivité-prix)
Il s'agit donc, pour eux, à la fois de:
- copier : les normes techniques édictées par Renault Trucks sont donc conservées par le constructeur chinois.
- adapter: la camion est surtout destiné au marché intérieur chinois. Ainsi, pour baisser les coûts, Dongfeng (constructeur chinois) a modifié l'organisation de la production pour diminuer le nombre de retournements du moteur car les postes automatiques qui réalisent cette opération étaient coûteux.
2 / forte automatisation initiale versus automatisation adaptée.
Pour les chaînes de montage de Renault Trucks, les ingénieurs français souhaitaient une automatisation très forte. Ils le justifiaient par leur choix initial: les machines font moins d'erreur, ont de meilleurs rendements et préservent la qualité.
Mais ce choix se heurte à une réalité économique: cette stratégie d'automatisation repose sur des robots très perfectionnés (ils doivent être polyvalents) donc très coûteux.
Les ingénieurs ont donc pris la décision de n'automatiser que les fonctions critiques.
Les opération humaines feront l'objet de contrôles automatiques par le biais de "détrompeurs". Par exemple des capteurs sont installés devant le rangement de certaines pièces pour vérifier qu’elles sont bien utilisées. Les opérateurs ne peuvent pas valider leur travail s’ils n’ont pas passé la main devant ces capteurs. De même, les visseuses comptent le nombre de vissages effectués et le nombre de tours accomplis pour s’assurer que le bon type de vis a été utilisé.
schéma de la chaine de montage du moteur Dci 11 de Renault Trucks
En Chine, d'autres choix ont été réalisés.
L'automatisation est beaucoup plus faible (ils ne disposent pas d'un parc de robots de quantité / qualité suffisante).
De plus, il n'y a pas de « détrompeurs » pour ne pas ralentir la production. Les contrôles sont effectués par les opérateurs en aval sur la chaîne.
3 / Respect des procédures vs adaptation
En France, les procédures de fabrication sont présentées comme des normes impératives pour garantir la qualité du produit.
Il s'agit de répondre à des normes internationales standardisées de façon efficace.
Par conséquence, les opérateurs sont tenus de les suivre de manière stricte (les détrompeurs sont là pour contrôler le respect de ces procédures).
Face à un dysfonctionnement sur la chaine, les opérateurs adoptent deux attitudes:
- ils se contentent de respecter les procédures, en négligeant l'objectif de qualité. Par exemple, certains donnent des "coups de marteau" sur la pièce de façon à ce qu'elle soit validée par "le détrompeur".
-ils ne respectent pas strictement la procédure (avec l'accord implicite de l'encadrement) lorsqu'ils constatent des problèmes de qualité ou des erreurs de contrôle des détrompeurs.
Dès lors, non seulement ils doivent faire un diagnostic (s'agit-il d'une pièce mal ajustée ou d'une erreur de contrôle ?) mais en plus, ils doivent faire croire aux
détrompeurs que tout se passe correctement (par exemple en passant la main devant le capteur pour faire croire que la pièce a bien été prise ou en mettant un objet de poids équivalent dans la
caisse soumise au capteur de poids).
En Chine, les procédures sont plus floues, et l'organisation du travail évolue selon les commandes et la mise
en place de la production.
Il n'y a pas à l'avance un nombre de véhicule standard à produire: ce qui compte, c'est de répondre aux variations de la demande.
Les opérateurs ne font pas l'objet d'une répartition égalitaire du travail et des rémunérations: cela dépend de leur capacités / comportements évalués par leur
hiérarchie.
Face à un problème, l’opérateur, le chef d’équipe, des responsables de la qualité et des méthodes négocient pour trouver une solution acceptable par
tous.Conséquence: les techniques de production et les outils ont été plusieurs fois modifiés.
Ainsi, une opératrice a inventé une façon d’introduire les soupapes dans la culasse, remplaçant la machine automatique du constructeur français par un simple chiffon. Elle se saisit de la soupape à l’aide du chiffon qu’elle laisse autour de la tête de celle-ci lors de l’introduction, ce qui permet en un geste à la fois de nettoyer la pièce et de s’assurer qu’elle ne heurte pas la culasse. La qualité n'est donc pas totale, mais elle est jugée suffisante (surtout par les clients).
On peut lire la thèse de Clément Ruffier (Sociologie de la carrière des objets techniques : le cas du camion dans le transfert de techniques entre la France et la Chine juillet 2008) en entier en se rendant sur ce lien ici
J'ai également trouvé un excellent diaporama (en anglais) sur la Chine
(cliquez sur les flèches pour faire dérouler le diaporama)