La rigueur est un feuilleton, un jeu de cache-cache bien orchestré où certains déclament qu'elle n'existe pas et d'autres regrettent son absence.
Qui payera la rigueur ? La question se pose évidemment, mais ni le gouvernement ni les députés UMP ne semblent vouloir y répondre. L'examen du budget de l'Etat pour 2011 est une belle hypocrisie. Certains à l'UMP critiquaient, mardi, la faiblesse des mesures d'économies, alors que Sarkozy, Baroin et Lagarde promettent de ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB en 2013. Pour 2011, l'effort de rigueur est modeste - nous l'écrivions dès la présentation du projet en septembre dernier - et masqué par la non-reconduction de dépenses exceptionnelles. Pour connaître les véritables intentions gouvernementales, il faut donc chercher ailleurs que dans le projet de loi de finances. Dans les documents présentés aux parlementaires, le gouvernement avait préparé un cadrage des dépenses de l'Etat sur la période 2011 à 2013. Où se logent les principaux efforts de redressement des comptes publics ?
Dans leur note de cadrage, les services de François Baroin prévoient 300 milliards d'euros de dépenses publiques dans les différents ministères, contre 296 milliards présentés pour 2011. La hausse provient du service de la dette, c'est-à-dire les intérêts financiers liés à l'endettement public : +9,8 milliards d'euros sont prévus entre 2011 et 2013. Les missions de l'Etat qui souffriront le plus de l'effort de rigueur à venir sont la Défense (-3,25 milliards d'euros en 2013 versus 2011), l'emploi (-3 milliards), et l'Aide Publique au développement (-1,9 milliard).
Voici les principales missions affectées par des variations entre 2011 et 2013, un inventaire qui peut donner le tournis... ou la nausée.
Affaires étrangères : -70 millions
En 2011, la présidence française des G20 et G8 coûterait 50 millions d'euros, une dépense évidemment non reconduite pour 2012 et 2013. Pas un mot sur la multitude d'ambassades coûteuses, y compris en Europe. Quelques semaines avant de quitter son ministère, Bernard Kouchner s'en sort plutôt bien...
Agriculture : - 100 millions
Le gouvernement prévoit de réduire sur la période les aides au secteur agro-alimentaire et la promotion internationale. Bruno Le Maire expliquera plus tard aux agriculteurs quelles aides disparaîtront. A moins qu'il ne quitte l'Agriculture dès novembre.
Aide Publique au développement : -1,9 milliard
Eric Besson a beau se gargariser du volet « développement » de son ministère de l'identité nationale, il n'occupe que 30 millions d'euros d'un budget global de 4,6 milliards d'euros, par ailleurs amputé de moitié d'ici 2013. A l'étranger, Sarkozy aime jouer aux chantres de l'aide aux pays du Sud et de la cause du développement des pays pauvres. En France, l'affaire est différente. La Sarkofrance confond aide et annulation de prêts.
Anciens Combattants : - 220 millions
En 2011, quelques 10 millions d'euros sont provisionnés « au titre de la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français.» Pour le reste, la dotation est en baisse.
Conseil d'Etat et juridictions administratives : +30 millions
Les différentes juridictions administratives (Conseil d'Etat, Conseil économique et social, etc) coûteront 615 millions d'euros l'an prochain. Le seul Conseil économique et social, où Nicolas Sarkozy vient de nommer une quarantaine de proches le mois dernier représente une charge annuelle de 37 millions d'euros. Qui auditera un jour les auditeurs ?
Culture et Médias : - 90 millions
Frédéric Mitterrand peut parler de ses ambitions culturelles. Le gouvernement avait déjà tenter de retirer aux régions leurs missions culturelles. Voici que le cadrage sabre un peu plus les interventions culturelles de l'Etat central. Si le financement de l'audiovisuel public est préservé (3,22 milliards d'euros en 2011, +200 millions d'ici 2013), la Culture (2,7 milliards d'euros), et les soutiens aux Médias, Livres et autres industries culturelles souffriront respectivement de 90 et 100 millions d'euros d'ici 2013.
Défense : -3,25 milliards
Depuis son livre blanc sur la Défense en 2009, Nicolas Sarkozy a dit tout et son contraire, et toujours avec aplomb : la menace terroriste est partout, l'intervention afghane est nécessaire (contrairement à sa promesse de campagne), mais, contraint et forcé, le budget de la Défense (42 milliards d'euros en 2011) sera largement amputé. Au passage, il supportera le coût de l'avion présidentiel (environ 200 millions d'euros, aménagements d'aéroport compris). On comprend mieux l'accord récent franco-britannique de mutualisation de certains programmes (expérimentation nucléaire, porte-avions, etc). Quelque 7 585 emplois seront supprimés l'an prochain, sur un total de 300 000. Les opérateurs (pour l'essentiel des écoles de formation) perdront 1,8% de subventions en 2011. Pour atteindre ses objectifs d'économies, le gouvernement table sur le « resserrement » de la carte militaire (et la création de bases de défense) et la « rationalisation » des « différentes fonctions d’administration et de soutien aux armées.»
Premier Ministre : -470 millions
La Direction de l'action du gouvernement regroupe différents services rattachés au premier ministre et, à compter de 2011, les moyens de fonctionnement des directions départementales interministérielles issue de la réforme des collectivités territoriales (+439 millions). Le gouvernement n'explique pas comment il compte réduire de 1,5 à 1 milliard d'euros l'enveloppe de cette mission. Hémorragie en vue ? Le fameux Service d'Information du Gouvernement, dont le patron Thierry Saussez a été récemment démissionné, est caché dans ces lignes.
Ecologie, développement et aménagement durables : -490 millions
C'est l'une des tristes surprises de ce cadrage : nonobstant les grandes proclamations écolo-volontaristes de Jean-Louis Borloo, trois ans après le Grenelle de l'environnement, le budget du développement durable est prévu en baisse de 5% en 2012, après une réduction de 3% en 2011. Il atteindra 9,5 milliards d'euros en 2013. Pour se justifier, le gouvernement avance une « rationalisation des financements de l’État » qui « seront concentrés sur les priorités du Grenelle de l’environnement ». Autre mesure d'économie, la hausse des tarifs ferroviaires (à la charge des usagers particuliers ou entreprises) permet à l'Etat de réduire ses subventions à Réseau ferré de France (RFF). Belle priorité aux transports collectifs ! Enfin, le ministère perdra 1 300 emplois (sur 62 400).
Dette : + 9,8 milliards
Après l'éducation, c'est le premier budget de l'Etat. Après avoir été réduite de 1997 à 2001, la dette publique a bondi de 400 milliards d'euros sous les gouvernements Raffarin, Villepin puis Sarkozy/Fillon. Malgré la réduction du déficit budgétaire annoncé l'an prochain, le remboursement de la dette et le paiement des intérêts d'emprunt public passera de 45,4 milliards d'euros en 2011 à 55,2 milliards en 2013. Le gouvernement table également sur une hausse des taux d'intérêts (+1 milliard d'euros de surcoût par an). Les caisses sont vides expliquait Nicolas Sarkozy ... il y a deux ans et demi. Avant de creuser le trou de 200 milliards d'euros supplémentaires.
Dotations aux collectivités locales : gelées
Malgré la progression mécanique et conjoncturelle du coût de certains dispositifs sociaux à la charge des territoires (RSA, etc), elles sont gelés à 59 milliards d'euros par an.
Education : +750 millions
Premier budget de l'Etat (62 milliards en 2011), l'Education gère 12 millions d'élèves avec 968 000 agents. En 2011, 16 000 postes seront encore supprimés. Deux cents millions d'euros d'économies seront reversés aux agents. Moins de 25% des effectifs en bénéficieront, rappelle le gouvernement. La note officielle a une formule incroyable pour justifier cette réduction des effectifs : « Ce processus, concrétisé au plus près de la réalité des établissements permettra de mobiliser les moyens de la mission au bénéficie de la performance du système éducatif.» En juin dernier, des consignes internes du ministère aux recteurs pour identifier les pistes de réduction des effectifs avaient été révélées au grand public. Le gouvernement demandait à ses recteurs et inspecteurs d'académie de « dégager les gisements d'emploi possibles » coûte que coûte.
Dans son document de rentrée, le gouvernement a multiplié les exemples de ses efforts en faveur de l'éducation : développement des internats d’excellence, lancement du programme Clair (Collège et Lycée pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite) pour 105 collèges et lycées en difficultés, réforme du lycée général et technologique, réforme du lycée professionnel, etc. Et le paragraphe se conclut par une conclusion inquiétante de sobriété : « la rationalisation des implantations immobilières centrales et déconcentrées, des frais de déplacement et de l’organisation des examens et concours permettra une réduction des dépenses de fonctionnement de près de 5 % à horizon 2013.» On n'en saura pas plus. La progression de 750 millions d'euros sur 3 ans du budget de l'Education nationale n'est pas expliquée.
Immigration : -21 millions
Eric Besson a un budget prévu en baisse sur les 3 ans, à 550 millions d'euros annuels environ. Malgré le « grand » débat sur l'identité nationale il y a tout juste un an, le budget consacré à l'intégration et l'accès à la nationalité française reste ridicule, à 73 millions en 2011, soit 13% de l'enveloppe globale. Le cadrage pluri-annuel prévoit une réduction des coûts de fonctionnement et de gestion des centres d’accueil pour demandeurs d’asile et des centres de rétention administrative. Le gouvernement se félicite toutefois d'augmenter les crédits de l'hébergement d'urgence et de l'Opfra (asile). Mais en parallèle, ceux dévolus au fonctionnement et à la gestion des centres d'accueil des réfugiés politiques seront réduits. Quelques 9 millions d'euros (10%) seront économisés d'ici 2013. En juin dernier, Eric Besson a même augmenté le coût des timbres fiscaux des titres de séjour.
Justice : +1,26 milliard
La justice bénéficiera d'une revalorisation a priori significative sur les 3 ans à venir (+14%). En fait, le surcroît de budget est destiné à quelques postes : 429 millions d'euros « dans le domaine immobilier » dans les tribunaux, donc 108 millions à cause de la réforme de la carte judiciaire. Le budget prévoit aussi la construction de 5 000 nouvelles places de prison d'ici ... 2017. Et la Justice est « exonérée de l’effort de réduction des effectifs appliquée à l’ensemble du budget de l’État » puisque 400 créations nettes d'emploi sont prévues en 2011. Sur la période, les frais de personnel progresseront de 200 millions d'euros. Le 25 octobre dernier, le Conseil de l'Europe, dans sa quatrième étude sur le sujet, plaçait la France dans les pays les plus pingres d'Europe en matière d'effort budgétaire pour la Justice. La France dépense par habitant deux fois moins que l'Allemagne.
Economie et Gestion des finances publiques: -100 millions
La première mission, qui regroupe le soutien à l'emploi et aux entreprises, y compris industrielles, est stable à 2 milliards d'euros de budget annuel sur la période. La seconde, qui regroupe l'administration des finances de l'Etat (fisc, etc) perd 100 millions d'euros sur 3 ans, avec, notamment, 3 127 emplois supprimés dès 2011.
Logement et Ville : gelés !
Fadela Amara peut raccrocher son tablier. La politique de la Ville et le soutien aux logements verront leurs crédits geler pendant au moins 3 ans.
Recherche et enseignement supérieur : +450 millions
C'est l'un des grands chantiers de Sarkozy.... depuis 2009 et l'échec de tous les autres (pouvoir d'achat, emploi, etc). Grand Emprunt, plan Campus, Grand Paris, les milliards d'euros se télescopent dans les annonces officielles. Dans son cadrage, le gouvernement promet pèle-mêle, une augmentation des moyens des établissements d’enseignement supérieur (+82 millions d'euros en 2011), la construction de 5000 logements par an, et la réhabilitation de 7 000 autres. A compter de 2011, 29 000 postes seront transférés aux universités accédant à l'autonomie. Les organismes de recherche perdront 49 millions d'euros de budget de fonctionnement l'an prochain, mais gagneront 86 millions d'euros de budget de personnel. Au total, cette mission coûtera 25,4 milliards d'euros en 2011, dont la moitié (12 milliards) pour l'enseignement universitaire.
Régimes spéciaux de retraites : +500 millions
Le gouvernement attend une progression du coût des régimes spéciaux et des pré-retraites, malgré une baisse du nombre de pensionnés (820 000 retraités en 2011), pour une subvention totale de 6 milliards d'euros. C'est un comble, après les réformes de 2003 et 2007.
Sécurité : +470 millions
Sur un budget total de 17 milliards d'euros, la police nationale est dotée de 9 milliards, la gendarmerie de 8 milliards. 87% de ces sommes sont des frais de personnel. Pour 2011, les objectifs de sécurité sont modestes : baisse de 1,5% du nombre d'atteintes aux biens, améliorer à 58% le taux de résolution des crimes et délits en zone police (80% en zone gendarmerie), et baisser le nombre de tués sur les routes de 2,5% en zone urbaine et de 7% en zone rurale. La même année, police et gendarmerie perdront encore 808 emplois. La hausse globale du budget tient à la modernisation des moyens, en application des lois LOPPSI I et II. Moins d'agents, plus de caméras et de gadgets, c'est la police version Sarkofrance.
Solidarité et insertion : +840 millions
Sur 12,4 milliards d'euros en 2011, 7 milliards sont consacrés au handicap et 3 milliards à la dépendance. Les prestations pour le handicap progresseront de 5,6% par an d'ici 2013, principalement à cause de la croissance du nombre d'allocataires. Attribué sous conditions de ressources, l'Allocation aux Adultes Handicapés progressera de 7,2% par an, après une hausse de 39% entre 2002 et 2008. C'est un signe, parmi d'autres, de la précarisation de la société : de 770 000 en 2003, les personnes indemnisées (entre 20 et 60 ans) sont plus de 860 000. Par personne, l'AAH se chiffre à 696 euros par mois. En juin 2009, Nicolas Sarkozy s'était gargarisé de son Pacte national pour l’emploi des personnes handicapées qui devait favoriser leur entrée sur le marché de l'emploi. Selon un rapport sénatorial paru le 18 octobre dernier, plus d'un an plus tard, les principaux éléments du pacte intégrés à la loi de finances 2009 n'ont pas été appliqués.
Territoires : -40 millions
Michel Mercier, ministre des Territoires, ne sert pas à grand chose depuis son exfiltration du Modem en 2009. D'ailleurs, l'enveloppe consacrée à ses missions sera réduite de 40 millions d'euros d'ici 2013 (338 millions d'euros). En 2011, le gouvernement promet quand même 11 millions contre les algues vertes en Bretagne et 19 millions d'euros pour la Corse. La Société du Grand Paris, établissement public créé en juin 2010, coûtera 6 millions d'euros par an. Depuis la démission forcée de Christian Blanc (pour cause d'abus de cigares), le Grand Paris est enlisé.
Travail et emploi : -3,0 milliards
Autre surprise du cadrage budgétaire, les différentes dépenses publiques liées à l'Emploi (soutien direct à l’emploi, allocation spécifique de solidarité, Pôle emploi, etc) seront réduites de 2 milliards d'euros en 2012 puis à nouveau 1 milliard en 2013, « en raison de la baisse attendue du chômage et du plein effet des économies structurelles engagées en 2011» explique le texte. On sait combien les chiffres commentés du chômage masquent une toute autre réalité : non seulement la reprise est encore fragile, mais en plus le nombre global de demandeurs d'emploi continue de progresser. Plus d'un demandeur sur deux n'est pas indemnisé.
Coûte que coûte, Sarkozy maintient la fiction d'un taux de chômage ramené à 4,5% dans les 3 ans. Mais surtout, il réduit des dépenses d'intervention qu'il avait été contraint de renforcer ou prolonger à cause de la crise, et, ne l'oublions pas, des manifestations du 29 janvier 2009.
Dès 2011, le gouvernement prévoit de supprimer 460 millions d'euros aux services à la personne, 110 millions aux organismes d’intérêt général en zones de revitalisation rurale et 121 millions d'avantages en nature dans le secteur des hôtels - cafés - restaurants. Il annonce aussi vouloir réduire le financement des maisons de l'emploi, l'intéressement de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), le nombre de contrats aidés non marchands (340 000 contre 400 000 en 2010) et les taux d'aides au niveau d'avant la crise. Pôle emploi reste doté de 1,4 milliard d'euros pour son fonctionnement, mais il perdra 300 CDI (un vrai plan social !) et 1500 CDD non reconduits.