J'ai rêvé tellement fort de vous, Apsara de Banteay Srei ; tellement imaginé la finesse de vos traits sculptés dans le grès rose que j'allais pouvoir caresser ; maintes fois anticipé votre danse à l'aune de votre célèbre déhanchement. Peut-être, étais-je fascinée encore par votre réputation sulfureuse après le rapt par Malraux ?
Le touriste est difficile, exclusif, accapareur, infidèle aussi. Je vous avais voulue pour moi seule ! Cruel désenchantement lorsque je me suis vu tenue à distance et résolue à une impossible intimité.
Alors, je vous ai abandonnée.
J'ai suivi d'autres chemins qui s'entrecroisaient dans la forêt aux destinations improbables. Et Ta Nei s'est offert à moi.
J'ai accepté volontairement la duperie, par elle, à demi-enfouie, me laissant croire qu'elle n'était là que pour m'attendre, moi seule !
Il aurait suffi de presque rien pour me surprendre à gratter le sol et vouloir la découvrir encore plus. La raison m'a retenue : Combien d'"autres" étaient passés par là !
J'ai alors recherché des temples où vous seriez moins exposée.
Peut-être moins belle, qu'importe !
Les racines des fromagers étaient mes complices et vos destructeurs.
Les chemins de traverse et les chantiers de fouilles encore peu dégagés permettaient encore à l'imagination de vagabonder en dehors des canons établis de la beauté.
Je me suis souvenu des vers de Baudelaire, du pauvre bouffon ridicule et de la Vénus...
"l'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit"...
Photos de l'auteur, novembre 2010.