Le chagrin

Publié le 06 novembre 2010 par Auroretaupin


Pour bien comprendre l'ouvrage de Lionel Duroy, il faut d'abord savoir que l'histoire est complètement autobiographique. Aussi, quand en arrivant à la page 10, où parlant de son enfance, il vous caractérise ainsi sa mère: "Maman, que nous méprisions déjà", vous vous dites que l'oeuvre a du faire voler bas les théières chez les Duroy ...

Lionel Duroy fait un état des lieux de son enfance et de l'influence terrible qu'a eue sa mère sur tout le cours de son existence, le poursuivant encore à l'âge adulte. Femme sans les moyens de son ambition de grande dame de Neuilly, mère-pondeuse juste bonne à rechigner contre son mari à qui elle en demande toujours plus, elle impose son rythme à la maisonnée, à ses 10 enfants et son mari surnommé Toto. Celui-ci pour échapper à son couroux, à ses manipulations et mises en scène (faux suicides, annonces d'enfants au seuil de la mort, on en passe et des meilleures), s'enfonce dans une spirale d'endettement qui va se révéler dévastatrice pour toute la famille : d'expulsions en éclairages à la bougies, la vie des enfants Duroy est ponctuée de désillusions sur leur père et leur cadre de vie.

L'autobiographie est un genre difficile car son rendu n'est pas toujours à la hauteur des événements passés : ici, Lionel Duroy excelle, nous serrant parfois le coeur avec ses anecdotes acides sur sa famille. Habitué du genre depuis son précédent ouvrage autobiographique "Priez pour nous", il revient également sur sa vie amoureuse, ses enfants, son travail en tant que journaliste à Libération. Au travers de sa vie, Lionel Duroy parvient surtout à restituer une "Vie Française" qui fait écho à celle de Jean-Paul Dubois, nous faisant retraverser le demi-siècle passé de façon passionnante.

La famille Duroy étant farouchement pétainiste, il évoque l'après-guerre de ses parents, son père un peu honteux de n'avoir commis aucun acte de bravoure pendant cette seconde guerre mondiale, et la haine de sa mère pour De Gaulle. La guerre d'Algérie ravivera les sentiments des parents Duroy tandis que les fils aînés, désormais adolescents se désolidariseront peu à peu des idées de leurs parents, pour embrasser des idées (ologies ?) gauchistes en vogue.

Lionel Duroy a l'intelligence de mêler à ce récit familial son histoire de journaliste d'investigation, revenant sur ces expériences en Nouvelle-Calédonie, en Algérie, à Zagreb etc., évitant à son roman de n'être qu'un brûlot familial. Ses anciens supérieurs hiérarchiques de chez Libération en prennent également pour leur grade, nous laissant un peu intrigués par les conséquences de ses propos ...

Pendant plus de 500 pages, Lionel Duroy nous tient en haleine, grâce au suspense qu'il arrive à ménager sur les réactions de sa famille face à ses deux réquisitoires (celui-ci et le précédent "Priez pour nous"), car comment ne pas penser à leur réaction en lisant ce livre. Une brillante démonstration que l'autobiographie n'est pas toujours narcissique ...

Le chagrin, de Lionel Duroy, aux éditions Julliard.