Brrrr... C'est novembre. En métropole, où je me trouve brièvement, c'est le mois du froid qui arrive, l'avant-hiver, le temps de s'habituer à la nuit qui tombe tôt, et qui s'étire longtemps après que le réveil-matin vous ait envoyé hors de la chaleur ouatée de la couette.
Quoique... En ce moment, c'est plutôt agréable. Fait pas chaud, mais c'est chouette de mettre un cuir sur ses épaules, et dans les petites rues de Toulouse, on peut encore boire un coup en terrasse sans mourir de froid. Ca ne va pas durer, bien sûr. C'est pour ça que je rentre très vite me réfugier sur mon île, prêt à affronter le terrible et moite été austral, ses pluies qui cinglent le visage, ses cyclones, et surtout... ses morts.
Sur notre belle île de la Réunion, novembre est le mois des morts. Pas gentils, les morts. Ils sont énervés qu'on s'amuse et qu'on fasse la fête alors qu'eux s'ennuient dans leurs cryptes et leurs cimetières. C'est le mois des "bêbêtes" et des "zesprits". Le mois où les boîtes de nuit, les restos, les bars, voient leurs chiffre d'affaire chuter jusque dans les abysses. On ne sort pas. Prendre le volant de sa voiture est un acte insensé.
La dame blanche ressort, ses pieds dans son sac à main, sur la bande d'arrêt d'urgence de la route du littoral. L'homme à tête de coq sort de son poulailler pour hanter les chemins de l'Ermitage. Mme Desbassayins revient faire l'inventaire de son argenterie et de ses esclaves. Sitarane ouvre sa tombe pour siroter le verre de rhum obligeamment posé sur sa stèle et fumer le ti tabac offert par un admirateur anonyme.
Ca a quand même une autre gueule qu'Halloween. Nous, nos morts, nos fantômes du passé, ils existent. Ils sont vraiment effrayants.
On a tous nos fantômes. Nos peurs ancestrales, nos cauchemars d'enfants, nos croquemitaines cachés dans des placards...
Si le gouvernement avait été intelligent, il aurait fait passer sa réforme des retraites au mois de novembre. On ne serait pas sorti manifester. Trop la trouille de rencontrer une bêbête. En même temps, il paraît qu'un horrible lutin apparaît tous les soirs sur le bas côté de la route des Tamarins. Il est translucide, porte au poignet gauche une fantômatique et énorme montre, et il psalmodie : "Travaiiiiller pluuuuus pour gaaaagner pluus". On comprend que le Réunionnais, sage et raisonnable, reste chez lui pour ne pas rencontrer ce genre d'ectoplasme. Même Mme Visnelda aurait été impuissante pour exorciser cet esprit malin.
François GILLET