Je n'étais qu'un égoïste, un loup solitaire. Je ne rendais de compte à personne, ne servais en rien la société dont je répugnais à faire partie. Je passais mes soirées à hurler ma solitude à la lune d'internet, la revendiquant comme un trophée couronnant ma liberté d'esprit.
Mais j'ai pris conscience de la détresse du monde, et j'ai décidé de changer. De rendre non pas ce que je dois, car les loups solitaires ne doivent rien, mais ce que je veux. Et ce que je veux, c'est mettre fin à la misère qui règne partout !
Misère, prends gare à toi, j'arrive tous crocs dehors !
Il m'a cependant fallu faire un choix, car tout loup que je suis, je ne suis qu'un homme, et de mes deux seules mains je ne peux étrangler comme je le voudrais l'hydre plurimillénaire et polycéphale qu'est cette misère honnie.
Ordoncques, je n'ai que deux mains, je n'étoufferai donc que deux têtes, pour le moment. C'est déjà pas si mal. Qu'est-ce que vous faites, vous, hein, confits dans votre confort, achevant de vous avachir dans vos vies avides d'avilissage volage et chauviniste ? Ha !
La première des misères à laquelle je m'attaque est la misère intellectuelle. Je la combattais déjà par ce blog, cette lueur de beauté et d'amour de l'art scintillant tel un phare ténu dans l'immense océan des tempêtes de l'internet crétinisant. Je lui porterai de nouveaux coups au coeur au cours du quart de permanence que je prendrai chaque semaine à la bibliothèque de la Paillotte, l'association de la boite, qui gère le Noël des gens qui travaillent et l'achat des bières pour le bar des stagiaires. Je serai le gardien de notre mère Littérature. J'ai déjà commencé, d'ailleurs. J'ai déjà eu quatre visiteurs (la présidente de l'association, son mari et leurs deux marmots). J'ai déjà pu faire oeuvre de conseil avisé et utile en la personne de le Petit Nicolas que mais vas-y, prends-le si vraiment ton môme est trop petit pour La potion magique de George Bouillon, et s'il aime pas, t'y fileras trois claques. (tenez, si ça vous intéresse, dans cet ordre d'idées, j'ai commencé ma liste des bouquins pour mômes indispensables, puisque ce sont mes préférés, elle est ici, là, si vous arrivez à cliquer).
Ca fait du bien de se sentir pourfendre l'inculture tout en se lisant un petit Gil Jourdan (hé, je connaissais pas Gil Jourdan, enfin, j'en avais jamais lu, c'est pas mal). En plus, on a cette sensation de toute-puissance quand on est dans le siège devant l'ordinateur, et qu'on a le droit de brailler « moins fort ! C'est une bibliothèque ici, et la pièce fait neuf mètres carrés, je te rappelle, petit morveux ! »
J'aurais pu m'en tenir là dans mes services à la communauté, mais c'est mal me connaître. Quand je commence, on m'arrête plus, je suis un ouf malade moi, je vote pas Bayrou. Du coup, quand un brave homme a demandé sur un réseau social « hey, ça dit quelqu'un de faire de la traduction de webcomics ? », j'ai répondu avec un enthousiasme mal contenu « oué, pourquoi pas, si ça peut aider. »
Et je me retrouve donc à traduire un webcomic d'heroic-fantasy porno. Je prends mon devoir très sérieusement. Car comment faire reculer la misère sexuelle (et hop, deuxième tête !) des adolescents francophones geeks boutonneux (parce que bon, pour lire de l'heroic-fantasy porno, faut quand même être un peu geek), si ce n'est en leur donnant accès à un contenu cochon de qualité avec en prime l'excuse « nan mais bon, quand même il y a une histoire hein, avec en plus des sorcières bonnasses » ? Car l'adolescent geek est quand même un peu effrayé par le vrai porno, et il a bien raison.
Je n'ai qu'un seul regret : ne pas avoir pu placer l'excellent jeu de mots que j'avais trouvé pour désigner une petite boule de sperme à qui une sorcière a donné la vie, qui était donc un « élémental de foutre ». C'était rigolo pour les geeks, je trouvais, mais bon, ça rentrait difficilement. Dans les bulles, je veux dire. C'est la partie chiante du boulot : trouver une police adaptée, avec des accents, et traduire de manière à ce que ça déborde pas des bulles comme la [tuut] des personnages de leur pantalon.
Mais bon, j'y arriverai. C'est un sacerdoce. Je le fais pour le monde.