Sarkozy et Jintao à Nice
Il y a 8 jours, Nicolas Sarkozy s'abritait derrière son « agenda international extrêmement chargé » pour s'excuser de son inaction sociale. Il avait d'autres choses à faire, plus graves, plus sérieuses pour l'avenir du monde, avant de se précipiter pour répondre aux inquiétudes du moment. Effectivement, il devait rencontrer le premier ministre britannique puis recevoir le président de la plus grande dictature du monde dès la semaine prochaine. L'homme qui expliquait en 2007 qu'il fallait continuer à discuter avec la Chine à l'aune de ses progrès en matière de droits de l'homme a multiplié les courbettes diplomatiques, sans vergogne ni honte.Diversion britannique
Lundi, Nicolas Sarkozy ... ne travaillait pas. Après son weekend de 4 jours à Marrakech la semaine précédente, des agapes soigneusement cachées de l'agenda officiel, il était à nouveau au repos, Toussaint oblige. Dès mardi, il était parti à Londres, rencontrer son homologue David Cameron. Sur place, les deux hommes signèrent un accord historique digne ... du 19ème siècle : une véritable Entente Cordiale, un accord protéiforme de coopération militaire. « On ne résoudra pas les problèmes du XXIe siècle avec les idées du XXe » a expliqué le président français... Vraiment ? Cet accord enterre la Défense européenne. Est-ce donc l'avenir ? Ni le gouvernement anglais ni les officiels français ne s'en cachent. Tout est prévu : mise en commun d'installations, notamment « dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires », création d'une Force expéditionnaire commune interarmées, développement, préparation d'une force aéronavale d'attaque intégrée franco-britannique pour « les 30 prochaines années », etc. La déclaration commune mentionne même la lutte contre le terrorisme dans l'espace !
A Londres, Sarkozy voulait surtout qu'on évite de comparer les situations française et britannique. Jadis, en 2007, il y a une éternité, Sarkozy aimait tant louer la réussite anglaise, Tony Blair était son modèle. Trois ans plus tard, Blair n'est plus là, les Conservateurs sont revenus au pouvoir, et les Britanniques subissent la plus grave cure d'austérité depuis la guerre. Et voici deux chefs d'Etat en faillite se rapprocher pour financer en commun quelques projets militaires.
A Paris, les députés débutaient justement l'examen du volet « dépenses » du budget de l'Etat pour 2011. Certains critiquent déjà le flou des mesures de rigueur. Ce budget qualifié d'« historique » par François Baroin et Christine Lagarde lors de sa première présentation le 27 septembre dernier est en fait artificiel : les deux ministres ont beau insister sur la réduction du nombre de fonctionnaires - financièrement anecdotique (200 millions d'euros) - ou les efforts sur le train de vie de l'Etat - « sans envergure » d'après le député UMP Gilles Carrez, le discours ne passe pas. La spectaculaire diminution du déficit budgétaire en 2011 tient quasi-exclusivement à la non-reconduction de dépenses de relance et des investissements relatifs au Grand Emprunt (50 milliards d'euros d'économies). Les véritables économies sont pour plus tard, après 2012. Il fallait rassurer les marchés (d'où la réforme des retraites), mais ne pas désespérer l'électeur. Sarkozy est suffisamment impopulaire comme ça.
Exemple américain
Justement, les proches du Monarque élyséen répètent que l'impopularité de leur patron n'a rien d'exceptionnel, qu'elle est le lot de tous les chefs de gouvernements à mi-mandat. Mardi aux Etats-Unis, Barack Obama a subi une défaite électorale, moins forte qu'espérée par les Républicains et le nouveau Tea Party. En France, Nicolas Sarkozy a lui aussi subi deux débâcles électorales, européenne en juin 2009, régionale en mars 2010. Des deux côtés de l'Atlantique, on rend la crise responsable de ces tourments présidentiels. Mais Obama a hérité de 8 années de bushisme et d'une récession hors normes. Sarkozy, lui, a pris le relais de 5 années de chiraquo-sarkozysme (2002-2007). Surtout, Sarkozy fut incroyablement impopulaire dès ... l'automne 2007. Répétons-le : Nicolas Sarkozy était impopulaire, dans les urnes et les sondages, avant la crise.
Au final, devant des épreuves similaires, le contraste entre l'attitude d'Obama et de Sarkozy fut saisissant. Le président américain a donné une leçon de gouvernance et de maturité politique à son homologue français.
A Washington, Barack Obama a immédiatement organisé une véritable conférence de presse, retransmise en direct sur toutes les chaînes d'information, avec de vrais journalistes qui posaient de vrais questions sur le vrai sujet du moment, les conséquences de son échec électoral. En France, Sarkozy a toujours évité cet exercice, il s'est toujours caché. Après la débacle des régionales, il est resté reclus dans son Palais pendant des mois jusqu'à un monologue télévisé contraint le 12 juillet, préférant des déplacements de terrain où il pouvait délivrer ses bons mots devant la caméra figée d'Elysée.fr. Depuis le 8 janvier 2008, il ne tient plus de conférence de presse nationale. Tout juste accepte-t-il l'exercice à l'étranger lors de rencontres diplomatiques. Il est alors sûr que les sujets nationaux seront marginalement abordés. Quand un journaliste insiste, il lui fait publiquement comprendre que son attitude est déplacée.
Mercredi à Washington, Obama s'est abstenu de bons mots, de saillies verbeuses, de critiques contre la nouvelle majorité républicaine. Il n'a pas nié l'échec, a tenté d'en livrer quelques explications. Il est apparu modeste, presque groggy. A Paris, chaque intervention sarkozyenne contient son lot de déclarations clivantes, de critiques tous azimuts, de railleries contre ses opposants, de déni de réalité.
Mercredi, Obama a reconnu l'impatience des électeurs, et appelé les Républicains désormais majoritaires à la Chambre des Représentants à travailler au consensus. En France, Sarkozy a toujours ignoré les contestations, jusqu'à celle contre sa funeste réforme des retraites. A chaque coup dur, il argumente qu'il a été élu pour 5 ans et qu'il ne changerait pas de cap malgré ses mauvais résultats électoraux.
Aux Etats-Unis, les pouvoirs exécutif et législatif sont séparés. Ces élections à mi-mandat mettent une pression sur le président élu. En France, Sarkozy a déstabilisé un peu plus le régime à son seul profit personnel.
Paris et Nice, villes mortes pour une visite chinoise
Jeudi, Nicolas Sarkozy avait déroulé tous les tapis rouges imaginables pour accompagner sa génuflexion devant la Chine. Vers 13h30, il s'est rendu à l'aéroport d'Orly, avec son épouse Carla, pour accueillir en personne son invité chinois, le président Hu Jintao. Après une traversée de Paris émaillée de passants souriants et agitant des petits drapeaux rouges, triés et recrutés par les services chinois, les deux hommes se retrouvèrent à l'Elysée, pour une séance de signature de contrats commerciaux avec des chefs d'entreprises. Depuis lundi, les conseillers présidentiels alimentaient ce suspense incroyable, faisant miroiter une « moisson » de juteux contrats.
Le prix du silence sur les violations des droits de l'homme en Chine n'est pas si cher que cela : 16 milliards d'euros - et non 20 comme annoncés. Les contrats étaient négociés de longue date, mais l'administration chinoise voulut maintenir la pression : Areva, grande perdante de cette faste journée, dut se contenter d'une commande de combustible nucléaire, pour 3,5 milliards de dollars sur 10 ans au lieu de deux EPR dont la Chine ne veut finalement pas. Alstom remporta un contrat de 50 millions d'euros pour la fourniture d'équipements de barrage hydroélectrique. Airbus vendit 36 avions pour 3,78 milliards de dollars ; Alcatel-Lucent pour 1,2 milliards d'euros de réseaux téléphoniques fixes ou mobiles; Total entre 3 et 3 milliards d'investissements d'installations pétrochimiques. Vendredi, Hu Jintao a eu l'honneur de rallumer la flamme du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe, avant de rencontrer François Fillon pendant une heure. L'après-midi, il retrouva Sarkozy à Nice pour un entretien sur les prochains G20 et G8. Nice comme Paris ont été transformées en villes mortes au passage du président chinois. Le soir, Sarkozy a livré un petit discours d'une dizaine de minutes, en hommage à son nouveau meilleur ami, se réfugiant derrière l'héritage du général de Gaulle.
Auparavant, Sarkozy n'avait même pas félicité prix Nobel de la Paix 2010, Liu Xiabo, emprisonné dans son pays. Les Chinois avaient prévenu : quiconque parlera de son cas devra « en supporter les conséquences ». Aucune conférence de presse n'a été organisée. Tout contact avec les médias était proscrit et même physiquement découragé : à Paris, des militants de Reporters Sans Frontières ont été rapidement évacués des Champs Elysées. Dans le métro, trois groupes de contestataires, y compris des journalistes, ont été empêchés de sortir. La République est devenue autoritaire le temps de ce mess diplomatique. Vendredi, Sarkozy a affirmé avoir « bien sûr » parlé des droits de l'homme avec le président Hu Jintao qui est « quelqu'un avec qui on peut parler.»
« Une vraie volonté d'entente », « des discussions fructueuses », un silence assourdissant sur le régime chinois, une humiliation nationale inédite au coeur du pays. Ce voyage fut mémorable. Comme pour les retraites, on s'en souviendra.
Bassesses françaises
Avant de s'agenouiller devant son invité chinois, Nicolas Sarkozy a fait un court aller-et-retour en hélicoptère à Nogent puis Troyes, une visite de terrain comme il les aime, avec un thème dédié (« transports et développement équilibré des territoires »), des ministres accompagnants (Borloo, Baroin, Mercier), et une table ronde filmée pour Elysee.fr avec une assistance docile et triée. Sur place, il pouvait sans souci livrer compliments (à ses ministres) et réprimandes ou menaces. Le patron de la SNCF, Guillaume Pépy, qui était présent, eut ainsi la surprise d'apprendre en direct l'instauration d'un bonus/malus de 2,5 millions d'euros sur les subventions accordées à son entreprise en fonction de la ponctualité des trains et de la qualité de service aux usagers. Sanctionner l'entreprise, et donc in fine les usagers eux-mêmes, a quelque chose d'archaïque et d'inédit.
La veille, le Canard Enchaîné avait jeté le trouble, en accusant Nicolas Sarkozy de superviser, via une cellule spéciale, l'espionnage de tout journaliste qui enquête sur lui ou les siens : « Sarkozy demande à Bernard Squarcini, [directeur de la DCRI] de s’intéresser à cet effronté. En clair, de le mettre sous surveillance, de recenser ses relations et, surtout, ses informateurs.» L'hebdomadaire avance des témoignages directs de collaborateurs de la DCRI. A l'Elysée, on dément. Guéant est furax, et dénonce une tentative de déstabilisation en pleine menace terroriste. Le secrétaire général a perdu son calme. Squarcini, accompagné de son patron Frédéric Péchenard, sont auditionnés en urgence par des parlementaires. Et samedi, Claude Guéant et Bernard Squarcini promettent de porter plainte contre leurs accusateurs.
Depuis sa création le 1er juillet 2008, cette fameuse Direction Centrale du Renseignement Intérieur n'a cessé d'accumuler les critiques : désorganisation des RG, filature de Dominique de Villepin pendant le procès Clearstream, enquête sur un lycéen blogueur, écoutes téléphoniques sur les rumeurs d'infidélité conjugale au sein du couple présidentiel en février dernier ; espionnage d'un journaliste du Monde dans l'affaire Woerth/Bettencourt. Le même mercredi, le parquet de Paris, aux ordres du pouvoir, classait sans suite une plainte pour «délit de favoritisme», que l'association Anticor avait déposée contre X dans l'affaire des sondages de l'Elysée.
On ne touche pas au président.
La bassesse s'est aussi logée à l'Assemblée nationale. Discrètement, trois députés UMP, soutenus par Jean-François Copé, ont tenté de supprimer la rémunération du président de l'Agence du service civique, qui n'est autre que Martin Hirsch. Ce dernier avait sévèrement critiqué la double activité de Copé, président du groupe des députés UMP, maire de Meaux et ... avocat d'affaires pour des clients que l'on ne dévoile pas. Copé a la vengeance petite et minable. Le gouvernement a désavoué l'amendement qui, du coup, a été retiré. « La prochaine étape sera-t-elle la déchéance de ma nationalité française puisque cette offensive fait suite à celle selon laquelle on voudrait que je n'aie pas le droit de parler de conflits d'intérêts parce que mes parents ont été des réfugiés pendant la guerre ? » s'est interrogé Hirsch.
Mais le feuilleton politique du moment est le remaniement gouvernemental. On s'en fiche, mais ça occupe. La majorité se déchire, les coups bas se multiplient, le sujet agite les éditorialistes. Donné favori, Borloo a encore soigné, dimanche, « son profil social ». « Plus il y a des crises, plus il y a un besoin de justice sociale. Il faut tendre la main aux plus fragiles. » a-t-il répété. Pauvre homme ! Ces appels sociaux ne trompent personne : le camp présidentiel est resté soudé sur la réforme des retraites, l'augmentation des déremboursements médicaux, la réduction des services publics, pour ne citer que trois exemples. Mardi, le ministre du développement durable fut chahuté par les députés UMP à l'Assemblée. Et si Borloo n'avait pas que des amis ... à droite ? Mercredi, François Fillon s'est lui-même replacé dans la course à sa propre succession, en critiquant celles et surtout ceux qui voudraient changer de cap : « Notre pays ne doit pas repartir en arrière .» Jeudi, on murmure que Claude Guéant serait remplacé par Brice Hortefeux à l'Elysée. Copé, lui, a déjà obtenu la direction de l'UMP. Le mou mais fidèle Xavier Bertrand serait ministre. Cinq à huit ministères seraient supprimés.
Ce suspense est sans intérêt : les ministres, y compris le premier d'entre eux, n'ont plus aucun pouvoir ni autorité depuis mai 2007. Ce sont des jouets, des marionnettes, des « perroquets » apeurés comme l'écrit Dominique de Villepin dans son nouveau livre. Sarkozy est surtout parvenu à semer la zizanie dans son propre camp.
Une nouvelle journée d'action nationale contre la réforme des retraites était organisée ce samedi 6 novembre. Sarkozy est parvenu à sortir de cette séquence d'agitation. Mais il est loin d'être tiré d'affaire.
Ami sarkozyste, quand prendras-tu ta retraite ?