Que dire de ce traité franco-britannique ? Qu'il est à la confluence de mouvements de longue durée, et de facteurs circonstanciels.
1/Premier mouvement de longue durée, le déclin américain. J'en parle depuis quelque temps (au fond, l'éclatement de la crise l'a manifesté mais il avait été annoncé il y a quelques années par E. Todd, souvenez-vous de "après l'empire"). Il est aujourd'hui admis par tout le monde, peut-être même un peu trop. Surtout, l'intérêt américain est désormais porté vers l'Asie, à cause du défi chinois.
2/ Deuxième mouvement, tout aussi profond : le revirement britannique puisque Londres s'est aperçue, avec l'affaire d'Irak, que suivre les Américains n'avait rien rapporté au royaume. "... choisira toujours le grand large", disait l'autre. Sauf s'il n'y a plus de grand large pour vous accueillir.
3/Troisième mouvement : l'épuisement européen, à la suite du grand élargissement et des péripéties de la constitution puis du mini traité : la manœuvre britannique avait réussie, l'UE était morte. Du moins en apparence, car il ne faut pas s'y tromper (et on y reviendra) : l'Europe vit toujours (y compris en matière de défense) même si c'est moins institutionnellement et visiblement qu'il n'y paraît. Il reste que pour les Britanniques, l'Europe n'est plus un danger, d'autant que les Français sont revenus dans l'OTAN.
4/ Quatrième mouvement : le choix du bilatéralisme. En effet, seule la France a encore une politique de puissance en Europe (s'entend, de puissance prenant aussi en compte la puissance militaire : mais c'est un critère qui va rapidement revenir sur le devant de la scène...). Donc c'est la seule avec qui Londres peut discuter sérieusement. Bref, cinquante ans après Suez, ce ne sont plus deux puissances qui s'allient pour dominer le monde (avec le succès que l'on sait, et les leçons différentes qui ont été tirées de part et d'autre) mais deux faiblesses (relatives) qui s'allient pour résister au monde.
4/ Première circonstance (même si ce point est discutable : la crise était évidemment prévisible depuis longtemps) : la crise financière qui frappe d'abord la Grande-Bretagne dont la seule industrie qui a survécu à la désindustrialisation thatchérienne fut la finance. Finance qui a durement pâti de cette crise (comme l'Espagne a pâti de la bulle de sa seule industrie, la construction). Le PIB britannique, qui était juste devant le Français, a rétrogradé (de mémoire, de plus de 250 millions). Bref, il fallait serrer les cordons de la bourse. Plus de splendide isolement.
5/ Deuxième circonstance : David Cameron, ce leader tory qui prend un malin plaisir à prendre la politique inverse de ce qu'on attendait de lu, au moins les plus radicaux de ses électeurs (et qui dira que les Lib Dém n'influencent pas le gouvernement ?) : non seulement il augmente les impôts et surtout ceux des riches, non seulement il conserve pas mal de prestations sociales, mais en plus il fait avaler un accord de défense avec un pays européen, qui plus est la France... Cet homme a le génie du contrepied...!
On arrive donc à ce traité, logique mais signé entre deux pragmatiques.... Nous évoquerons plus tard ce qu'on peut en penser....
Réf : voir ce billet de Mars attaque.
O. Kempf