2081 est une adaptation, dans un court métrage, de la nouvelle de Kurt Vonnegut : Harrison Bergeron. Cette nouvelle a été publiée en français sous le titre « Pauvre Surhomme » et publié dans divers recueils de Science Fiction. Le film est disponible à la vente depuis quelques mois sur amazon.com. Un site web lui est dédié :
Edward Cline est un romancier américain, auteur de nombreux articles publiés dans le magazine randien Capitalism. Dans cette critique, il présente 2081 comme une mise en images de la théorie de la justice de Rawls. Une illustration du cauchemar de l’égalitarisme !
2081 : la philosophie en mouvement
Traduction Roman Bernard, Institut Coppet.
J’ai récemment regardé un petit bijou de parabole cinématographique, 2081, une dystopie rawlsienne qui décrit une société où « tout le monde est égal. »
Je me demande combien de lecteurs se souviennent de la Théorie de la justice de John Rawls, cet hymne savant à l’égalitarisme et à la jalousie institutionnalisée écrit en 1971. Comment peut-on mettre en scène, en images et en sons, sa prétention, ses principes pervers ?
Le film, réalisé sous l’égide du Moving Picture Institute, produit par Thor Halvorssen et écrit et mis en scène par Chandler Tuttle, est inspiré d’une histoire de Kurt Vonnegut, Harrison Bergeron. Comme toute parabole, 2081 ne doit pas être pris au pied de la lettre.
En 2081, les individus exceptionnellement doués, beaux, forts, et intelligents sont « rendus égaux » avec leurs semblables moyennement doués au moyen d’une série d’objets handicapants – poids, masques, et dispositifs de type Taser qui interrompent la pensée et gênent les mouvements. Toute personne testée par l’Etat et considérée comme supérieure à la moyenne dans n’importe quel domaine est contrainte par la loi à être équipée d’un ou plusieurs de ces carcans, qualifiés d’ « égaliseurs ». Les enlever peut conduire en prison.
Le fils de George Bergeron, Harrison, a été arrêté et emprisonné pendant six ans pour avoir refusé de porter les « égaliseurs » et pour les avoir « ostensiblement enlevés en public. » Il s’échappe de la prison et apparaît dans une salle de concert où est interprété le ballet La Belle au bois dormant de Tchaïkovski. Le ballet est diffusé à la télévision nationale. Les ballerines sont également entravées par des poids qui rendent leurs mouvements maladroits. Harrison annonce à l’auditoire qu’il a placé une bombe sous la salle. Il déclare, entre autres choses, qu’il est « une exception à la norme », et qu’il « n’a pas été créé égal », et porte tous les dispositifs que son corps supporte, y compris un joug installé sur ses épaules et le cou.
C’est sa profession de liberté. Il est fou… ou parfaitement lucide. Il ne souhaite pas continuer à vivre dans un monde d’« équité » et de « positions originelles » [ce dernier concept a été forgé par John Rawls]. C’est aux spectateurs présents de juger. Il invite ensuite un volontaire à l’imiter. L’une des ballerines s’avance et rejette ses poids également.
Dans le même temps, des équipes d’intervention de l’Handicapeur général des États-Unis entourent la salle, désactivent la bombe (on ne sait pas si c’était une vraie bombe, je ne le crois pas, mais ce n’est qu’une simple conjecture), et se préparent à capturer ou tuer la « menace publique ». Les autorités ont ordonné de cesser la diffusion télévisée, mais Harrison Bergeron a un dispositif qui remplace le signal de fin et rediffuse le programme (réminiscences de la diffusion de John Galt dans Atlas Shrugged d’Ayn Rand). Tandis que Harrison Bergeron et la ballerine interprètent avec une totale liberté de mouvement une composition mélancolique devant un public ébahi (dont de nombreux membres portent également des « égaliseurs »), les équipes d’intervention se déplacent dans la salle elle-même.
Une femme sans expression, silencieuse, qui est en charge de l’opération, prend un pistolet et tue Harrison Bergeron et la ballerine. L’action est télévisée à son insu et l’une des dernières choses que l’on voit est son visage légèrement surpris, avec les yeux dans le champ de la caméra. C’est ce que Harrison voulait que le pays voie — le visage inexpressif du mal. Fin de la diffusion. L’ennemi public a été éliminé. Circulez, rien à voir.
George (également entravé par des « égaliseurs »), a vu tout cela dans le confort de son salon, tandis que sa femme « conforme », Hazel, interprétée de façon convaincante par Julie Hagerty (qui ne porte aucun « égaliseur », parce qu’il n’y a rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel chez elle), est aveugle devant les événements sur l’écran de télévision. Elle lave la vaisselle, le dos tourné à l’écran, et rate l’ensemble de l’émission, et une dernière image de son fils, le bruit de l’eau courante faisant office d’« égaliseur auditif » pour elle.
Lorsque George commence à penser à l’arrestation de son fils à la maison il y a des années, et commence à réagir à la prestation et à l’héroïsme de son fils, sa mémoire est perturbée par son appareil auditif. Sa femme lui demande pourquoi il a l’air si bouleversé. Il ne peut que répondre qu’il a vu quelque chose de « triste ». Il ne peut pas se souvenir de quoi. Il oublie ce qu’il a vu devant sa télévision, du fait des machines qui l’entravent.
Le film dure seulement 25 minutes, mais il met une gifle aussi forte que le 1984 de Michael Radford, qui dure près de deux heures. La réalisation est aussi bonne que celle d’un blockbuster à 20 millions de dollars. Cette parabole sur le prix du silence et le sort de ceux qui préfèrent la sécurité et la passivité à l’indépendance et la liberté est l’un des meilleurs films que je n’aie jamais vus.
2081 est la Théorie de la justice de John Rawls en images. C’est la philosophie rawlsienne en mouvement.
Edward Cline
22 octobre 2010