Violences policières sur un mineur et insuffisance des sanctions pénales et disciplinaires
A la suite d'un contrôle de police, un mineur, âgé à l'époque de seize ans, a été conduit avec un de ses amis au commissariat d'Asnières-sur-Seine. A cette occasion, ils ne furent pas placés en garde à vue mais demeurèrent dans le cadre de la procédure de vérification d'identité ( Art. 78-3 du Code de procédure pénale). Deux heures plus tard, le mineur fut transféré à l'hôpital avec " des contusions du globe oculaire droit, du poignet et du dos, de multiples érosions cutanées du visage et du cou, de multiples hématomes du cuir chevelu [ainsi qu'] une fracture du testicule droit avec contusions et hématomes " (§ 7). Il fut établi que les violences eurent lieu lorsque l'intéressé, une fois arrivé au commissariat, refusa d'être menotté alors qu'il ne l'avait pas été jusque là. Au terme d'une enquête de l'inspection générale des services de la préfecture de police (§ 9), deux policiers furent mis en examen pour violences volontaires. Le tribunal de grande instance de Nanterre les condamna " à quatre et huit mois d'emprisonnement avec sursis pour violence volontaire par un dépositaire de l'autorité publique suivie d'incapacité supérieure à huit jours " et au paiement de 7 000 euros de dommages-intérêts. Toutefois, dans un arrêt devenu définitif, la Cour d'appel de Versailles réduisit la condamnation à une amende contraventionnelle de 800 euros par policier, les faits ayant été requalifiés en " blessures involontaires ". Il en fut de même pour les dommages-intérêts, ramenés à 5 000 euros (§ 20). Aucune sanction disciplinaire ne fut prononcée.
Saisie par la victime de ces violences, la Cour européenne des droits de l'homme condamne la France à l'unanimité pour violation de l'article 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). Après avoir admis la recevabilité de ce grief en estimant qu'il avait bien été " invoqué devant les juridictions internes au moins en substance " (§ 27 - Sur l'exigence d'épuisement des voies de recours internes - Art. 35 -, v. Cour EDH, 2e Sect. 12 octobre 2010, Nur Radyo Ve Televizyon Yayinciliği A.Ş. c. Turquie (no 2), Req. n° 42284/05 -ADL du 12 octobre 2010), les juges européens abordent successivement et au fond deux séries de considérations afin de parvenir à ce constat de violation. Suivant implicitement la distinction entre les facettes substantielle et procédurale des obligations conventionnelles (sur l'Art. 3, v. Cour EDH, 2e Sect. 17 mars 2009, Salmanoğlu et Polattaş c. Turquie, Req. n° 15828/03 - ADL du 20 mars 2009 ; Sur l'Art. 2 - droit à la vie -, v. Cour EDH, 2e Sect. 14 septembre 2010, Dink c. Turquie, Req. n° 2668/07 et s. - ADL du 19 septembre 2010), ils caractérisent ainsi la responsabilité des forces de police dans les comportements contraires à l'article 3 avant de pointer l'insuffisance des sanctions prononcées à l'encontre de ces dernières.
Concernant le premier point, la Cour est, sans surprise, d'une grande fermeté sur le terrain de l'interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (§ 34 - v. Cour EDH, 3e Sect. 20 juillet 2010, A. c. Pays-Bas, Req. n° 4900/06 - ADL du 26 juillet 2010). Le niveau strasbourgeois d'exigence s'élève encore plus lorsque ces traitements affectent des personnes privées de liberté telles que celles " en garde à vue [qui de ce fait] sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger. Un Etat est responsable de toute personne placée en garde à vue, car cette dernière est entièrement aux mains des fonctionnaires de police " (§ 36 - Cour EDH, 3e Sect. 20 avril 2010, Slyusarev c. Russie, Req. n° 60333/00 -ADL du 20 avril 2010 ; Cour EDH, 2e Sect. 16 juillet 2009, Sulejmanovic c. Italie, Req. n° 22635/03 -ADL du 19 juillet 2009). Ces présupposés protecteurs conduisent les juges à estimer ici que les violences subies par le requérant, " qui ont provoqué douleurs et souffrances physiques [ayant] atteint un seuil de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention " (§ 38), sont imputables aux policiers. Ceci est notamment valable pour la " fracture testiculaire " car même si " cette blessure grave est restée sans explication claire quant à son origine ", le fait qu'elle ait été subie " dans l'enceinte d'un local de police " et alors que l'intéressé était sous la responsabilité de la police emporte l'application d'une présomption de responsabilité des autorités (§ 42 et 36 - pour une solution similaire, v. Cour EDH, 2e Sect. 9 février 2010, Emine Yaşar c. Turquie, Req. n° 863/04 -ADL du 9 février 2010). La gravité des blessures a bien sûr contribué au constat final de disproportion de l'usage de la force policière mais deux autres éléments semblent avoir emporté la conviction de la juridiction strasbourgeoise. D'abord, l'âge du requérant, qui n'était d'ailleurs pas connu des services de police au moment des faits (§ 40), a pesé sur la conclusion selon laquelle " il n'existait aucun risque sérieux et imminent pouvant justifier l'emploi d'une telle force par les policiers " et que " d'autres méthodes [étaient envisageables] pour calmer le requérant " (§ 43 - sur des tortures infligées à un mineur en garde à vue, v. Cour EDH, 2e Sect. 16 février 2010, Alkes c. Turquie, Req. no 3044/04 - ADL du 16 février 2010. Voir catégorie "droit des enfants"). Ensuite, la Cour critique assez vivement la décision des policiers de recourir au " menottage ", ceci étant d'ailleurs lié au point précédent puisque la résistance du requérant est née de cette décision. Il est certes rappelé que " le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l'article 3 de la Convention lorsqu'il est lié à une arrestation ou une détention légales et n'entraîne pas l'usage de la force, ni d'exposition publique " (§ 41 - v. en ce sens, Cour EDH, 5e Sect. 29 octobre 2009, Paradysz c. France, Req. n° 17020/05 -ADL du 2 novembre 2009). Néanmoins, en l'espèce, la Cour souligne que " les raisons justifiant le menottage du requérant restent obscures, celui-ci n'ayant pas été placé en garde à vue " ou même été entravé lors de son trajet vers le commissariat. Surtout, à l'aide de l'avis rendu dans cette affaire par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (§ 16 - voir avis 2001-1 du 23 mai 2002, saisine de Robert Badinter, rapport CNDS 2002 page 17), elle " émet [...] de sérieux doutes quant à la nécessité de menotter le requérant, celui-ci ne s'étant montré ni agressif, ni dangereux, ni même agité avant le menottage " (§ 41). Cet ensemble de circonstances conduit donc les juges européens " à considérer que les traitements exercés sur la personne du requérant ont revêtu un caractère inhumain et dégradant " (§ 44).
En vertu du principe de subsidiarité, la France aurait pu échapper à une condamnation pour le moins infamante, en particulier le jour du soixantième anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme. Si les faits litigieux avaient été dûment poursuivis et réprimés par les juridictions internes, juges de droit commun de la Convention, la violation de l'article 3 aurait été en effet " redressée " et le requérant aurait à cette occasion perdu " la qualité de victime " de cette violation (§ 45 - v. Cour EDH, G.C. 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, Req. no 22978/05 - ADL du 1er juin 2010). Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce car si aucune lacune dans la procédure d'enquête n'est identifiée (§ 47), les sanctions finalement infligées aux deux policiers sont jugées insuffisantes. Ainsi, non seulement la Cour doute que la qualification pénale de " violences involontaires " finalement retenue puisse être regardée comme " une reconnaissance de violation de l'article 3 " (§ 46). Mais surtout les peines d'amendes sont jugées " modiques " (§ 48), l'absence de sanctions disciplinaires (§ 48) et la réduction de l'indemnité accordée au requérant (§ 50) n'étant pas de nature à compenser cette situation. Aux yeux des juges européens, cette " sanction, manifestement disproportionnée à une violation de l'un des droits essentiels de la Convention, n'a pas l'effet dissuasif nécessaire pour prévenir d'autres transgressions de l'interdiction des mauvais traitements dans des situations difficiles qui pourraient se présenter à l'avenir " (§ 49 et 48 - v. Cour EDH, préc. Gäfgen c. Allemagne- ADL du 1er juin 2010). En conséquence, " le requérant peut toujours se prétendre victime d[e la] violation de l'article 3 " (§ 51) identifiée précédemment, d'où la condamnation de la France à ce titre (§ 53).
Darraj c. France (Cour EDH, 5e Sect. 4 novembre 2010, Req. n° 34588/07) - Actualités droits-libertés du 4 novembre 2010 par Nicolas HERVIEU
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La Convention européenne des droits de l'homme fête aujourd'hui son soixantième anniversaire. Le 4 novembre 1950, elle fut signée à Rome par dix États membres fondateurs du Conseil de l'Europe (la Belgique, le Danemark, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni).
V. les pages "anniversaires" sur le site de la Cour européenne des droits de l'homme et le site du Conseil de l'Europe
voir aussi : " Rome célèbre le 60e anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme", site du Conseil de l'Europe.
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Complément l'avis de la CNDS (rapport 2002 en PDF, page 17-27)Saisine 2001-21 AVIS ET RECOMMANDATIONS de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de la saisine, des 2 août 2001 et 11 mars 2002,
par M. Robert Badinter, sénateur des Hauts-de-Seine.
"La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie le 2 août 2001 par M. Robert Badinter, sénateur des Hauts-de-Seine, des conditions dans lesquelles un jeune homme a été retenu au commissariat de police d'Asnières-sur-Seine les 10 et 11 juillet 2001. Et à nouveau de sa propre initiative , le 11 mars 2002, de faits concernant un second jeune homme, camarade du précédent, retenu avec lui au commissariat.
La Commission a demandé les pièces du dossier au procureur de la République de Nanterre, ainsi qu'à l'Inspection générale de la Police nationale, et procédé à l'audition des deux jeunes gens, de leurs parents, et de cinq fonctionnaires de police en fonctions au commissariat d'Asnières au moment des faits. Deux de ses membres se sont rendus sur place.
LES FAITS
a - Le mardi 10 juillet 2001, vers 17h30, l'équipage d'un véhicule de police en patrouille constate qu'une automobile stationne en pleine voie, avenue du Général-Leclerc à Bois-Colombes. Le conducteur est absent, mais les fonctionnaires aperçoivent deux jeunes gens dans l'automobile et observent que des fils électriques sont visibles sous le démarreur du véhicule. Interrogés, les jeunes gens déclarent qu'ils ne connaissent que le prénom du conducteur et qu'ils attendent son retour. Selon M. Y. D., " les policiers [...] nous ont demandé les papiers du véhicule, nous leur avons montré les papiers de la voiture que nous avons trouvés sur le pare-soleil. Ils nous ont demandé notre identité, notre date de naissance, notre adresse, notre nationalité, notre numéro de téléphone, que nous leur avons indiqués ". Les deux jeunes gens sont mineurs et dépourvus de papiers d'identité.
LES SAISINES ET AVIS
Les fonctionnaires de police demandent un engin de transport de la fourrière pour dégager la voie publique. Ils sont rejoints par un deuxième véhicule de patrouille. Les fonctionnaires de police décident de procéder à la vérification d'identité des deux jeunes gens au commissariat d'Asnières-sur-Seine, la vérification au fichier des véhicules volés ne pouvant être faite par radio. Selon les jeunes gens, il leur est assuré qu'ils quitteront le commissariat sitôt la vérification faite.
b - M. A. S. est conduit au commissariat par le véhicule de renfort. À son arrivée, vers 18h20, il est menotté à un banc. Il déclare à la Commis sion qu'il a demandé pour quelle raison il devait être menotté, puisqu'il s'agissait d'une vérification d'identité, mais qu'il n'a pas obtenu d'explications. L'équipage qui l'a transporté signale sa présence au chef de poste et repart en patrouille.
M. Y. D. arrive vers 18 h 25 avec l'autre véhicule de police. Il refuse d'être menotté, estimant cette mesure inacceptable pour une simple vérification d'identité. Plusieurs gardiens interviennent, l'immobilisent à terre sur le ventre et le menottent. Selon M. Y. D., " plusieurs policiers sont intervenus et m'ont frappé et insulté. Ils étaient environ une dizaine. L'un d'eux m'étranglait avec son bras en m'insultant. D'autres policiers m'insultaient aussi et me donnaient des coups dans le dos ". Selon le lieutenant de police C., " en ma présence, ils [un groupe de collègues] l'ont mis à terre et menotté dans le dos. Pendant cette opération, M. S. ainsi que M. D. insultaient les fonctionnaires de police qui ne répondaient pas ".
Le commissaire P., adjoint au commissaire principal, se rend dans le poste ayant " entendu des injures et des cris ". Il a déclaré à la Commission : " J'ai quitté le poste après avoir obtenu un relatif retour au calme. M. D. avait accepté de s'asseoir. Il me semble me souvenir qu'il était menotté. " Le lieutenant C. a indiqué à la Commission : " Le commissaire P. et moi-même, officiers de police judiciaire, avons décidé de placer les deux jeunes gens en garde à vue, l'un pour outrage et l'autre pour outrage et rébellion. " Ils l'ont été pour outrage envers agents de la force publique (M. A. S.) et pour outrage et rébellion (M. Y. D.), à compter de " 18h15 moment de leur interpellation ".
Selon le sous-brigadier chef de poste, " la seule solution est apparue d'isoler M. D. j'en ai pris la décision et il a été conduit vers la cellule de dégrisement. " Selon le lieutenant C., " au passage, M. D., qui se débattait toujours, a heurté le poteau de soutènement. J'ai regagné mon bureau ". Selon le sous-brigadier D., " dans le couloir qui conduit aux cellules de dégrisement, M. D. continuait à se débattre en donnant des coups de pied par derrière. Je mets mon genou en opposition à sa jambe pour me protéger ".
Selon M. Y. D., " deux policiers m'ont [...] emmené dans le couloir. L'un d'eux m'a empoigné la tête qu'il a cognée violemment sur l'œil gauche contre un pilier. Le troisième [...] les suivait et ils m'ont frappé tous les trois dans le couloir. Je précise que j'étais toujours menotté et que je portais des "claquettes". Je leur ai crié d'arrêter et ils continuaient à me frapper. Je n'arrivais pas à marcher et ils m'ont ramené dans le poste, en me traînant. [...] Les policiers se sont dispersés très vite. [...] J'étais à genoux, j'avais mal et je demandais à voir un médecin et un avocat".
À 18h50, M. Y. D. se plaint de douleurs importantes à la suite des coups reçus. Il est transporté, vers 19 h 30, à l'hôpital Beaujon, où il arrive à 19h43. Le service d'accueil et d'urgence constate : " une contusion du globe oculaire droit, multiples érosions cutanées faciales, multiples hématomes du cuir chevelu, érosion cutanée de la face extérieure du cou, contusion du poignet droit, contusion du dos " et effectue des examens radiologiques qui font apparaître une fracture d'un testicule avec contusions, hématomes et hématocèle. M. Y. D. devra être opéré dans la nuit pour ces blessures.
La garde à vue a été levée pour M. Y. D. à 22h15. M. A. S. est resté au commissariat d'Asnières jusqu'au 11 juillet à 16h25.
c - Plainte a été déposée par la mère de M. Y. D. avec constitution de partie civile. Une information judiciaire est ouverte devant le TGI de Nanterre. L'Inspection générale des services de la Préfecture de police a procédé, à la demande du juge d'instruction saisi, à l'audition des différents protagonistes les 12 et 18 juillet 2001.
AVIS
A - Sur le contrôle d'identité et sur les conditions de la vérification d'identité
Constatant que ces deux personnes présentes dans une automobile stationnant sur la voie publique en infraction au Code de la route ne pouvaient ni présenter des documents d'identité ni donner des informations sur l'identité du conducteur du véhicule, dans lequel de surcroît des fils électriques pendaient sous le démarreur, les fonctionnaires de police étaient en droit - sous réserve de l'appréciation des autorités judiciaires - de procéder à la vérification de leur identité en application des articles 78-1 à 78-5 du Code de procédure pénale.
La Commission constate toutefois que des contradictions subsistent sur le déroulement des faits et la chronologie des actes de procédure :
- M. Y. D. affirme qu'il a décliné son identité, ainsi que son adresse et son numéro de téléphone, et indiqué son âge dès que les fonctionnaires de la patrouille l'ont interrogé, ce qui établissait qu'il était mineur, comme l'était M. A. S. ;
- le sous-brigadier D., chef de bord du véhicule de patrouille, affirme, pour sa part, que ce n'est que lorsqu'il a rédigé, au poste, le compte rendu de la conduite au commissariat des deux jeunes gens que " leur identité, leur âge et leur adresse m'ont été indiqués par un collègue " ;
- le commissaire principal Z. a déclaré que les deux jeunes gens " ont, pendant 20 minutes, refusé de décliner leur identité " ;
- le registre des interpellations mentionne parmi les effets saisis lors de la fouille de M. A. S. : " 1 CNI ". Toutefois, M. A. S. a assuré à la Commission qu'il n'avait pas sa carte nationale d'identité sur lui à son arrivée au commissariat. Il semble donc que le registre a été rempli plus tard.
B - Sur le menottage
L'article 803 du Code de procédure pénale dispose : " Nul ne peut être soumis au port de menottes [...] que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de prendre la fuite. " La circulaire générale du 1er mars 1993 prise pour l'application de l'article 803 précise : " À l'égard des mineurs, le caractère d'exception conféré par la loi au port des menottes et des entraves doit être plus mar-
qué. L'appréciation du risque devra donc être particulièrement attentive.
Le refus de M. Y. D. de se laisser menotter à un banc, au contraire de M. A. S., est à l'origine des faits qui ont justifié la saisine de la Commission.Il n'a été obtenu que par emploi de la force.
La Commission constate, ici encore, des contradictions dans les déclarations qu'elle a recueillies :
- selon le lieutenant C., " il est de pratique constante, par mesure de sécurité, de menotter toute personne faisant l'objet d'une vérification d'identité " ;
- selon le commissaire P., "
l'article 803 du Code de procédure pénale laisse à l'appréciation du fonctionnaire de police le menottage lorsque la personne risque de s'enfuir. Il me paraît recommandé de procéder au menottage en règle générale s'agissant de vérifications d'identité " ;
- selon le sous-brigadier chef de poste, le menottage " est dicté par des considérations de sécurité dans un poste où des personnes étrangères au service étaient, à l'époque, amenées à passer " ;
- selon le commissaire principal Z., " en la matière, il n'y a pas d'habitude au commissariat d'Asnières ".
Eu égard aux éléments mentionnés plus haut, il apparaît que le port des menottes, qui n'avait pas été jugé nécessaire pendant le transfert des jeunes gens au commissariat [ Qui s'était passé " en douceur et sans incident " (compte rendu d'enquête IGS 20.7 2001)] , peut difficilement se justifier à l'arrivée au commissariat, où les risques mentionnés à l'article 803 sont à l'évidence réduits [ Étant rappelé que ces risques doivent être appréciés de manière très rigoureuse (CA Paris, 7 janvier 1997)].
Il se peut que le commissaire principal se soit trouvé aussi au commissariat à ce moment-là. Il a, en effet, exposé : "et un lieutenant de police. Le commissaire de police adjoint a déclaré qu'il se trouvait dans la salle des officiers de quart : " C - Sur la vérification d'identité de mineurs
Aux termes de l'article 78-3 du Code de procédure pénale, " dans tous les cas, [l'intéressé] est présenté immédiatement à un officier de police judiciaire qui le met en mesure de fournir par tout moyen les éléments permettant d'établir son identité et qui procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires. [...]
Lorsqu'il s'agit d'un mineur de dix-huit ans, le procureur de la République doit être informé dès le début de la rétention. Sauf impossibilité, le mineur doit être assisté de son représentant légal " [ Deuxième alinéa dans la rédaction issue de la loi du 3 septembre 1986].
I Il résulte de l'enquête de l'Inspection générale des services et des auditions faites que plusieurs officiers de police judiciaire étaient présents dans les locaux du commissariat d'Asnières au moment de l'arrivée de M. A. S. et de M. Y. D., dont, au rez-de-chaussée, un commissaire de police adjoint [ Je crois me souvenir que j'étais au commissariat le 10 juillet 2001. "] J'ai entendu
des injures et des cris et je suis allé dans le poste. " Quant au lieutenant C., il a exposé qu'il était, lui aussi, dans la salle des officiers de quart et que le sous-brigadier chef de poste lui " a rendu compte d'une vérification d'identité concernant deux personnes ". " Entendant des cris, je me suis ensuite dirigé vers le poste. [...] Le commissaire P. et moi-même, officiers de police judiciaire, avons décidé de placer les deux jeunes gens en garde à vue, l'un pour outrage et l'autre pour outrage et rébellion. " L'un et l'autre ont quitté ensuite le poste.
I Les deux officiers de police judiciaire n'ont pas reçu les interpellés pour les mettre à même de justifier de leur identité.
I C'est la décision de garde à vue pour outrage et rébellion qui a entraîné l'information du procureur de la République.
S'agissant de l'obligation d'informer le procureur de la République
I dès le début de la rétention d'un mineur de dix-huit ans, le commissaire Z. a exposé que le procureur " est immédiatement avisé lorsque la situation de mineur est évidente et, lorsqu'elle ne l'est pas, lorsque l'identité a été établie " : " En l'espèce, l'établissement de la qualité de mineur a nécessité un petit délai. "
La pratique subordonnant l'information du procureur à l'établissement de l'identité du mineur aboutit à priver de tout sens la prescription légale. L'information doit être faite dès que la minorité est alléguée.
I Cette obligation s'imposait d'autant plus qu'il semble établi que les deux jeunes gens ont décliné leur identité aux fonctionnaires de police dès leur interpellation, et au plus tard à leur arrivée au commissariat.
La Commission considère que les dispositions prescrites par le Code de procédure pénale n'ont pas été respectées, le 10 juillet 2001, au commissariat d'Asnières.
Sur un plan général, elle a le sentiment que des pratiques anciennes pour les opérations de vérification d'identité se sont poursuivies malgré les modifications apportées par la loi du 10 août 1993 modifiant les articles 78-1 et 78-2 du Code de procédure pénale. Le commissaire central d'Asnières alors en fonctions avait pourtant établi en février 1996 une note de service sur les contrôles d'identité visant à " présenter de manière exhaustive mais simple le cadre juridique existant en y intégrant les interprétations jurisprudentielles intervenues depuis la promulgation de la loi afin qu'il soit mis un terme définitif à des ambiguïtés génératrices d'une mauvaise ambiance et par là même susceptibles de décourager ou démobiliser ceux qui tentent de faire correctement leur travail sur la voie publique " [6. Note de service du 8 février 1996, visant notamment la loi no 93-992 du 10 août 1993, des circulaires du ministère de l'Intérieur des 21 octobre 1993 et 7 décembre 1995 et une note du procureur de la République près le TGI de Nanterre du 28 avril 1994.]
Deux points particuliers doivent retenir l'attention :
- la mère de M. Y. D. a précisé qu'elle s'était déjà rendue à différentes reprises au commissariat pour indiquer que son fils ne pouvait pas produire une carte d'identité, les pièces d'état civil nécessaires étant en cours d'établissement au Maroc, et que le procureur de la République en avait été informé ;
- en second lieu, le père de M. A. S. a déclaré que quinze jours plus tôt, son fils aîné s'était vu infliger une amende pour stationnement irrégulier et que l'un des fonctionnaires mis en cause dans les incidents du 10 juillet avait eu " un comportement agressif à son égard et envers A. qui était arrivé sur les lieux ".
D - Sur l'information des représentants légaux des mineurs
" Sauf impossibilité, le mineur doit être assisté de son représentant légal. " (Art. 78-3 déjà cité.)
Le père de M. A. S. a été prévenu par son fils aîné, témoin de l'incident devant la gare de Bois-Colombes, et s'est rendu aussitôt au commissariat, où il a été reçu. Revenu le lendemain vers 9h30 au commissariat, il a été informé " que la garde à vue était prolongée " et qu'il pouvait " aller chercher de la nourriture pour les deux jeunes gens ".
La mère de M. Y. D. déclare qu'elle n'a été informée qu'à 21 h 30 par deux fonctionnaires de police que son fils " était retenu au commissariat d'Asnières pour contrôle d'identité ". Il est rappelé que M. Y. D. avait été transporté deux heures plus tôt au service des urgences de l'hôpital Beaujon. Mme Y. D. ajoute que les deux fonctionnaires sont revenus quelques minutes plus tard pour lui demander son numéro de téléphone 7 : " Un peu plus tard, le lieutenant C. m'a dit qu'il y avait eu un incident au commissariat, que Y. était transporté à l'hôpital et que ma signature était nécessaire pour pouvoir l'opérer dans l'urgence. "
La Commission constate que l'information des parents des deux mineurs a été défaillante.
E - Sur l'emploi de la force strictement nécessaire
Il a été exposé à la Commission que les fonctionnaires de police ont dû employer la force pour imposer le menottage à M. Y. D. puis pour le conduire vers une cellule de dégrisement " vu [son] état d'excitation ".
Les constatations faites sur place sur la disposition des locaux du poste, sur la séparation d'avec le local d'accueil du public, sur l'emplacement du poteau de soutènement, sur la proximité des bureaux où se trouvaient les officiers de police judiciaire, sur les incessantes allées et venues de fonctionnaires de police dans ce qui est un lieu de passage obligé à l'intérieur du commissariat, ne permettent pas à la Commission de retenir dans leur intégralité les déclarations qui lui ont été faites par les fonctionnaires de police et leurs supérieurs hiérarchiques sur le déroulement des faits.
Elle constate que la force employée a atteint une violence dont le certificat médical déjà cité décrit les conséquences, et dont le retentissement physique et psychologique chez cet adolescent ne saurait être ignoré.
7 Il semble que le numéro donné par M. Y. D. lors de son interpellation ait été mal transcrit (permutation de deux chiffres). Ces faits " laissant présumer l'existence d'une infraction pénale " dont la juridiction pénale est saisie, il n'y a pas lieu pour la Commission
nationale de déontologie de la sécurité de faire application de l'article 8 alinéa 3 de la loi du 6 juin 2000 [ Si la commission estime que les faits mentionnés dans la saisine laisse présumer l'existence d'une infraction pénale ; elle les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément auxdispositions de l'article 40 du Code de procédure pénale]
+ RECOMMANDATIONS
1. La formation théorique sur la conduite des vérifications d'identité donnée à l'ensemble des personnels de police avant le 31 octobre 1993 doit être périodiquement renouvelée. Dans son avis du 30 octobre 2001 (réponse du ministre de l'Intérieur en date du 4 janvier 2002), la Commis sion avait déjà appelé l'attention sur la nécessité d'assurer une meilleure formation initiale et continue des fonctionnaires de police en matière de contrôle d'identité et sur le rôle des officiers de police judiciaire. Elle réitère cette recommandation.
2. Une instruction pratique, ou un ensemble de fiches techniques mises à la disposition des personnels de police, devrait préciser de façon concrète le déroulement des opérations de vérification d'identité, les fonctionnaires légalement compétents pour y procéder, la conduite à tenir dans les différentes situations envisageables (par exemple, absence momentanée d'officier de police judiciaire au commissariat, difficultés pour informer le parquet).
3. S'agissant en l'espèce, sous réserve de l'appréciation des tribunaux saisis par ailleurs, de l'emploi de la force physique à l'intérieur d'un local de police, où se trouvaient, à ce moment-là, environ une dizaine de fonctionnaires et officiers de police judiciaire, dont il n'est pas soutenu qu'ils auraient été en difficulté, la Commission rappelle " l'obligation pour les agents de conserver, quelles que soient les circonstances, une maîtrise d'eux-mêmes, ainsi que le respect des règles de déontologie et l'application des dispositions du Code de procédure pénale " [Avis du 30 novembre 2001 (voir rapport annuel 2001 - site www.cnds.fr)].
Elle regrette que l'encadrement, qui a assisté à une partie des incidents, n'ait pas eu le rôle de rappel de la règle de droit qui est le sien.
4. Enfin, la Commission préconise qu'une réflexion soit menée, dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue des fonctionnaires de police, sur les modalités d'un dialogue à maintenir entre les personnels de sécurité et les adolescents.
Adopté le 23 mai 2002