Magazine Amérique du nord

Les choses qu'ils portaient

Publié le 05 novembre 2010 par Olivier Beaunay

Je publie aujourdhui dans le cadre des "Vases communiquants" ce  texte de Marianne Jaeglé.

Ils portaient des sautoirs faits de perles multicolores, des pinces en plastiques de diverses formes et de toutes les couleurs destinées à maintenir en arrière les cheveux mouillés ; des élastiques, des serre-tête, des barrettes et des chouchous pour que, malgré le vent marin, chacune ait l’espoir de rester bien coiffée ; des lunettes de contrefaçon, aux sigles des plus grands créateurs italiens ; des serviettes de bain, des paréos, des jupettes à nouer autour de la taille dans l’objectif de cacher un fessier disgracieux, ou de faire valoir une chute de reins enivrante ; des maillot de bains, des robes de plage ; des tongs, des sabots en plastique de toutes les pointures, des mules à talons compensés en liège. 

Ils vendaient des cerfs-volants, des raquettes de bois ou de plastique, des kits de jouets comprenant un seau, une pelle, un râteau, quelques moules en forme de poisson ; des pistolets crachant des bulles de savon ; des paquets de mouchoirs en papiers ; des chaussettes pour hommes, femmes ou enfants ; des sacs à mains, des pochettes et des portefeuilles ; des imitations de stylos Mont-Blanc, de fausses Rolex, dont le mécanisme s’arrêtait rapidement et qu’il était non seulement impossible, mais aussi risqué de donner à réparer ; des morceaux de noix de coco qu’ils transportaient dans un seau en plastique en chantonnant : « Coco bello, coco ! » 

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Ils voyaient des hommes seuls et des jeunes gens ; des familles réunissant plusieurs générations ; des femmes âgées arborant des chairs flétries, qu’elles enduisaient consciencieusement de crème solaire ; des enfants qui creusaient le sable avec ardeur ; des obèses aux seins nus ; des adultes mangeant des gelati ou des pannini  ; des adolescents allongés sur des lits loués pour la journée ; des couples flanqués de leur enfant unique solitaire, qui refusait de jouer avec d’autres bambins inconnus ; des hommes jeunes et beaux, venus à plusieurs pour draguer ; des filles jeunes et belles, venues en bande se rassurer sur leur pouvoir de séduction ; des grands-parents tout habillés sur la plage ; des plagistes bronzés, musclés et moroses ; des maîtres-nageurs surveillant la baignade. 

Ils venaient d’Inde ou du Pakistan ; de Sénégal ou de Côte d’Ivoire ; d’Afghanistan, d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie ; de Chine ou du Tibet. Ils étaient jeunes pour la plupart. Il y avait parmi eux quelques femmes. 

Les Chinoises proposaient des massages ou des tatouages à l’encre ; elles confectionnaient pour les enfants de petits bracelets tressés à même leur poignet ou leur cheville, qui tintinnabulaient agréablement. 

Ils arboraient des bobs, des casquettes, des chapeaux de paille ; certains portaient sur la tête un ridicule petit parasol de plastique qui se fixait sur le crâne et n’abritait que lui. Ils étaient eux-mêmes la publicité de leur marchandise. Certains, des Africains, pour la plupart, allaient nu-tête, tout le jour, sous le soleil écrasant. 

Ils transportaient leur stock dans des sacs poubelle, qu’ils rejetaient sur leur dos ; sur des tringles à rideaux, qu’ils portaient en équilibre sur chaque épaule ; sur des présentoirs de bois. Ceux qui vendaient des serviettes de plage en avaient une vingtaine entassées sur leur dos. 

Quand un estivant leur faisait signe, ils se laissaient tomber à genoux dans le sable devant lui, et lui montraient alors le produit qui avait retenu sont attention. Puis, que la transaction ait été conclue ou non, ils rassemblaient leurs effets, remettait le tout en ordre sur leur dos, se relevaient avec effort, et reprenaient leur marche dans le sable, alourdie par leur chargement. 

Inlassablement, chaque jour pendant les quatre mois d’été, dès dix heures du matin, et jusqu’à dix-huit heures, ils proposaient leur marchandise ou leurs services aux estivants, qui achetaient parfois quelque chose, non sans en avoir âprement négocié le prix au préalable, car la vie est dure, de ce côté-ci aussi de la planète. 

Texte inspiré par Les choses qu'ils portaient, de Tim O Brien, dans son roman A propos de courage.


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