Loin de n'être que du jazz, ce quartet très inventif pioche avec malice dans toutes leurs connaissances musicales, faisant fi de tout conformisme, et livre une oeuvre ouvertement poétique de
toute beauté, très éloignée d'un quelconque classicisme sonore. Ils ne définissent d'ailleurs pas leur jeu comme tel mais se décrivent plutôt comme un groupe d'indie-rock. En fait, la combinaison
unique de leur instrumentation donne à leur musique un son inimitable et très accessible, bien loin des clichés solennels et élitistes que l'on retrouve souvent dans le jazz contemporain, au
risque de le voir se fermer au grand public. Portico Quartet est ouvert sur le monde et s'en inspire joyeusement. «Nous n’avons jamais intellectualisé notre approche et cette fusion de style
s’est imposée comme un processus naturel. Nous n’avons pas cherché non plus à être affilié à une scène particulière. La chose la plus importante c’est d’être pertinent».
Une pertinence et une singularité qui s'affichent d'abord par leur emploi d'un instrument très peu connu, le "hang drum", qu'a acheté Duncan Bellamy, batteur et pianiste de
Portico Quartet. Le hang est un instrument suisse inventé en 2000 qui s'inspire principalement du travail métallurgique que l'on retrouve avec le gong ou la cloche, mais qui pour sa part comporte
jusqu'à 8 notes, dont 1 fondamentale. Il s'exprime en polyphonie (les notes se superposent) et permet de jouer des phrases répétitives très planantes avec une résonance importante. C'est
Nick Mulvey, également percussionniste, qui en joue. Jack Wyllie est au saxophone soprano et à l'électronique (boucles et samples), Milo
Fitzpatrick à la contrebasse et aux arrangements du quatuor à cordes. « le hang n’est rattaché à aucune référence culturelle, à aucune technique particulière. Cela nous a d’emblée permis
de développer des idées sans avoir à trop nous soucier des conventions et cela a clairement influencé notre jeu ».
Une fois apprivoisée la "bête" et mis en place les premiers morceaux, le groupe se fait d'abord connaitre en jouant dans la rue: «Pendant plusieurs mois, nous jouions chaque samedi après-midi aux
abords du National Theatre. C’était un peu comme d’enchaîner 5 à 6 concerts à la suite et cela nous a donné beaucoup de liberté». Après s’être progressivement construit une solide réputation dans
les circuits universitaires, leur originalité n’a pas manqué d’attirer l’attention d’amateurs de jazz influents, en particulier Will Gresford, le programmateur du Vortex Jazz Club, qui les a
invités à être la première signature de Vortex Babel Records. S'en suivra un premier album très remarqué ("Knee Deep In The North Sea") et une nomination au Mercury Prize. «C’était une énorme
surprise et cette soudaine exposition médiatique a profondément modifié notre manière de fonctionner, avoue Jack. Par exemple, nous avons cessé de jouer dans la rue, notre emploi est déjà
suffisamment chargé comme ça».
Deux ans plus tard le label Real World signe "Isla", produit cette fois-ci par John Leckie (Radiohead) et l'album sort en octobre 2009. La majorité des morceaux ont été enregistrés dans les
conditions du "live" et sonnent tels de vraies poésies symphoniques. Comme d'habitude j'ai pris soin de publier quelques titres qui sont tout à fait révélateurs de ce qu'entreprend ce quatuor et
qui ne manqueront pas de réveiller votre curiosité. Boucles, lignes de saxophone aériennes, ce fameux hang qui semble venu d’ailleurs, les cliquetis subtiles de la batterie et la force de la
contrebasse épurée, la combinaison unique de leur instrumentation donne à leur musique un son inimitable et enivrant. Le voyage est doux, limpide, aérien, et ne pèse d'aucun superflu de masse ou
de forme. Un usage du monde magnifique à posséder absolument.