L’Onera se livre ŕ un audacieux exercice de prospective.
Quand les industriels, les consultants, les analystes de tous bords nous décrivent les années 2050 de l’aviation commerciale, nous leur jetons un coup d’oeil distrait, perplexe ou tout au moins incrédule. En revanche, quand c’est l’Onera qui se livre ŕ cet exercice périlleux, il convient d’écouter attentivement. C’est, a priori, ce qu’il est convenu d’appeler Ťdu lourdť.
L’Office, qui aime se faire appeler Ťthe French aerospace labť en anglais dans le texte, entrouvre des dossiers consacrés ŕ un vaste exercice de prospective, une vision du transport aérien ŕ l’horizon 2050. ŤUne activité naturelle pour les chercheurs de l’Onera, multidisciplinairesť, explique Thierry Michal, depuis peu directeur technique général. Il s’agit de se pencher sur l’avenir et, Ťnotamment, de sensibiliser les décideurs français et européensť. Pourquoi 2050 ? N’est-ce pas un peu loin ? Certainement pas, Ťpour ce qui est de l’horizon 2020, c’est déjŕ finiť. Exact !
En revanche, l’équipe de l’Onera, soucieuse de mener des travaux génériques indépendants, évitant soigneusement de reprendre ŕ son compte ce que disent les industriels, s’inscrit dans un cadre qui, ŕ tort ou ŕ raison, apparaît un peu flou. Pas moyen de savoir, notamment, si les prévisions récentes de l’IATA, environ 15 milliards de passagers par an précisément ŕ l’horizon 2050, est prise en compte ou tout simplement jugée crédible et recevable.
Cette restriction de profane étant exprimée, on retiendra que plusieurs scénarios sont considérés simultanément : cadre opérationnel dépourvu de limites, contexte tout au contraire trčs réglementé, contraintes fortes liées ŕ la nécessité de limiter la consommation des ressources énergétiques ou, pire encore, apparition d’un monde fracturé.
Cela étant posé, la question primordiale est de décider oů investir. En d’autres termes, des choix lourds de conséquences ŕ long terme s’imposent. Faut-il plus spécialement chercher ŕ améliorer les avions, la gestion de l’espace aérien, les aéroports ? Ou encore les outils et méthodes ? L’éventail est trčs large et les bonnes pistes d’autant plus difficiles ŕ cerner. D’autant que l’Onera, bien dans son rôle, n’hésite pas ŕ explorer les pistes les plus audacieuses comme la propulsion électrique, hybride et, plus inattendu, nucléaire.
Cette derničre option, notons-le au passage, fut prise en considération il y a un demi-sičcle, aux Etats-Unis puis en France. Un avant-projet de supersonique civil ŕ propulsion nucléaire fut męme ébauché par Sud-Aviation puis abandonné pour des raisons de sécurité.
Comme on pouvait s’y attendre, l’automatisation trouve sa place dans les travaux de l’Onera, ŕ savoir la création informatique de trajectoires nourrissant directement le Flight Management System des avions, sans intervention du pilote. Lequel deviendrait alors un superviseur. D’oů l’éventualité d’une révolution culturelle qui, au-delŕ de la technique, exigerait une mutation psychologique tout ŕ fait inédite.
La boule de cristal de l’Onera permet aussi d’entrevoir des innovations moins perturbantes comme la montée en puissance de l’intermodalité, une gestion des vols vraiment soucieuse de l’environnement, des aéroports accessibles autrement qu’en se heurtant ŕ d’inextricables embouteillages, etc.
Les travaux de l’Onera, promis ŕ une extension européenne, sont rassurants. L’aviation Ťmoderneť se montre ainsi capable d’envisager le long terme autrement qu’en fonction du seul retour sur investissement. De lŕ ŕ imaginer, par exemple, un dérivé de l’A380 ŕ propulsion électrique et sans pilote ŕ bord, il reste un petit pas ŕ franchir. Mais il est interdit de sourire : rappelons-nous oů nous en étions en 1960, nulle part !
Pierre Sparaco - AeroMorning