Le gros homme et son petit chien

Publié le 05 novembre 2010 par Corboland78

Comme tous les jours ou presque je croise l’homme qui promène son chien. J’écris cette phrase simple machinalement, tel qu’il est logique de l’écrire pour exprimer ce que je vois, un homme qui promène un chien ; pourtant ce que j’ai écrit ne reflète pas ce que je vois mais plutôt ce que j’imagine voir, car en réalité c’est le chien qui promène son maître. D’ailleurs en fait, je pense qu’il en est toujours ainsi. Eventuellement le maître peut proposer de sortir le chien, c’est lui qui va décider qu’il est l’heure de quitter la maison et d’aller faire un tour avec l‘animal, parce qu’il est bon qu’il fasse de l’exercice et qu’il en profitera pour faire ses besoins. Mais une fois dehors, on voit souvent le clébard prendre l’initiative du trajet.

Cet exactement ce spectacle qu’offrent le gros homme et son petit chien. L’homme que je ne connais pas doit être retraité puisque en pleine journée tous les jours de l’année il balade son clebs, grand et costaud, encore vaillant bien que sa carcasse légèrement affaissée exprime la fatigue des ans qui passent ou plus sûrement la détresse d’une solitude amère. Tout en lui m’évoque le célibataire à moins que ce ne soit un veuf déjà ancien. Il n’a pas l’air bavard, j’irai même dire qu’il est certainement bougon mais ce ne sont que des suppositions gratuites et puisque c’est gratuit pourquoi s’en passer.

Son petit chien n’est pas d’une race bien précise mais pour vous donner une piste et activer votre imagination, partons du principe qu’il s’agit d’un genre de ratier, un rejeton de corniaud mal identifié et sans queue. Petit mais actif. Un dicton veut que le chien ressemble à son maître et je l’ai souvent constaté, pourtant ici je n’en vois pas confirmation. Toujours à fureter, à renifler de mystérieuses pistes, il court devant  son maître, tendant la laisse à son maximum et qui les voit passer ne peut qu’en déduire que c’est le cador qui entraîne l’homme vers une destination que lui seul sait. L’équipage est souriant, un grand costaud plié en avant, cramponné avec difficulté à un fil relié à une petite boule de poils noirs mâtinée de marron qui par une folle énergie remorque un fardeau monstrueux au regard de sa taille. Jacques Tati n’est pas loin.

Parfois l’homme s’énerve et tire sur la laisse pour retenir la bête. Le chien se calme quelques instants laissant croire à son maître qu’il a pris le contrôle de la situation mais ce n’est qu’une ruse vulgaire autant qu’efficace. Le grand, congestionné par l’effort de la marche à rythme forcé et la traction exercée sur la longe commence à reprendre son souffle, sentant la pression relâchée sur son collier le chien réimpose sa loi. Et les voilà partis tous deux à trotter, me rappelant ces documentaires de pêche au gros, où le pêcheur fixé au siège à l’arrière d’un bateau bande tous ses muscles sur sa canne venant de ferrer un énorme barracuda.

J’ignore où ils habitent – je ne sais pas grand chose dans cette affaire - j’ai vaguement l’idée qu’ils arrivent d’au-delà du Centre Commercial et qu’ils entrent dans notre domaine parce que les espaces verts sont charmants et très accueillants pour un chien qui voudrait se soulager la vessie ou plus si affinités. Si vous me lisez régulièrement vous avez constaté que la faune locale m’est familière, chiens, chats, oiseaux, tout y passe. Je vais bientôt pouvoir ouvrir un compte sur FaceBook et y inscrire mes « Trente millions d’amis » !