En France, est fonctionnaire toute personne qui, au titre d'un statut, exerce, au nom et pour le compte de la puissance publique (qui peut par ailleurs être, tantôt, l'État ou toute autre personne morale de droit public) un travail, occupant ainsi un emploi public, le plus souvent destiné à l'exercice d'une activité de service public.
Cela étant, il ne faut donc pas confondre un fonctionnaire avec un agent d'État de droit public ou privé, ce-dernier travaillant pour l'État ou toute personne publique en vertu de l'existence d'un contrat.
Ainsi, à l'inverse de tels agents, les fonctionnaires sont titulaires de leur poste, en cela qu'ils ont vocation à l'occuper durant toute leur carrière professionnelle, ce nonobstant toute possibilité d'avancement pendant celle-ci.
Aux fins de régir les conditions générales relatives au travail et aux emplois des fonctionnaires, l'on a constaté l'apparition, par une loi du 19 Octobre 1946, des premiers statuts généraux de la Fonction Publique.
Cependant, depuis lors, la situation juridique de ces textes à bien évolué, tant par des modifications législatives, que par la précision et les dérogations, toutes deux grandissantes, dont s'est doté par la suite le droit de la fonction publique.
Ainsi, est-il utile, tant dans le but d'une analyse concrète de ce statut général, que dans une perspective de rénovation d'icelui (et ce à l'instar des réformes actuelles tendant notamment à la modernisation de la fonction publique) de se poser la question de la réelle nécessité du statut général des fonctionnaires.
Il convient de répondre à cette question en empruntant deux démarches : tout d'abord en étudiant l'utilité immédiate justifiant cette loi lors de sa création (I), de par les difficultés existant avant 1946 (A) et par les problèmes ayant été résolus (B) ; puis, l'on peut répondre à ladite question en évoquant la nécessité limitée de ce statut général (II), en expliquant son impact actuel limité tant en droit (A) qu'en fait, de par la modification des politiques de recrutement dans la fonction publique (B).
I) Une nécessité incontestable à sa création :
Seront, en cette partie, évoquées les difficultés antérieures à la loi instaurant le premier statut général, ainsi que les règles fondamentalement utiles découlant dudit statut, et de ses quelques modifications ultérieures, le tout attestant d'une véritable utilité de ce texte.
A) La situation du Droit de la Fonction Publique avant 1946 :
A cette époque, l'inexistence du statut général pose deux problèmes majeurs en droit public.
Tout d'abord, l'on peut signaler une carence certaine en la matière.
En effet, si chaque corps de fonctionnaire dispose d'un statut particulier (édicté en règle générale par décret), il faut savoir que ceux-ci sont, bien souvent, adressés uniquement aux fonctionnaires civils de l'État, et non aux autres types de fonctionnaire, comme par exemple une Loi du 9 Juin 1853 instituant les pensions de retraite pour les fonctionnaires civils de l'État.
Cette disparité des sources juridiques pouvant dès lors provoquer une inégalité de situations entre les différentes fonctions publiques en présence.
Ensuite, l'ont peut attester cet état de fait par trois grandes décisions de jurisprudence prouvant à l'époque de l'inexistence de règles générales, de principes fondamentaux, régissant la situation de tout fonctionnaire, et ce du fait que le Conseil d'État devait intervenir pour combler cette carence en posant des principes généraux à valeur prétorienne.
C'est notamment le cas de l'arrêt "Lot", rendu par le Conseil d'État en 1903, qui admet la recevabilité des recours contre les mesures affectant le déroulement de la carrière d'un fonctionnaire, mais également de l'arrêt "Winkell" rendu par cette même juridiction en 1909, disposant quant à lui que la grève dans la fonction publique constituait un acte illicite, car contraire au principe de continuité du service public. On peut enfin, pour prouver de ces carences, évoquer l'arrêt "Demoiselle Bobard" datant de 1936, toujours venant du Conseil d'État, qui établissait quant à lui le principe de l'égalité d'accès à la fonction publique, sans distinction de sexe, sauf pour exigence spéciale du service.
Ainsi, voyons désormais en quoi le statut général de 1946 et les statuts généraux lui ayant succédé, à put combler ces carences, et ainsi répondre à ces nécessités de principes en des situations générales.
B) Les apports des divers statuts généraux des fonctionnaires :
Deux phénomènes majeurs et relativement importants sont à porter au crédit de la création du statut général des fonctionnaires.
En premier lieu, à l'inverse des dispositions statutaires prises par décret de façon relativement éparse avant 1946, ce texte législatif comporte un avantage majeur en cela qu'il s'applique à tous les fonctionnaires civils de l'État, comme le dispose l'article 2 de la Loi du 13 Juillet 1983, et ce quelle que soit la fonction publique d'appartenance.
Cet aspect général est à l'époque un grand atout quant à la simplification du droit de la fonction publique, en ce sens où toutes les règles fondamentales régissant l'activité du fonctionnaire sont les mêmes.
Ainsi, en second lieu, cette unité du texte met fin à la nécessaire intervention de la jurisprudence, qui pouvait certes apporter quelques règles comme cela a déjà été évoqué précédemment, mais pas d'une manière aussi complète et unique que pouvait le faire la législation.
En effet, le statut général évoque les grands principes d'exercice de tous les emplois de la fonction publique, en matière notamment de liberté d'opinion (article 6 du titre I du statut général), de droit syndical (article 8 du même texte), de droit de grève (article 10 de la Loi du 13 Juillet 1983, dernière version législative en date du statut général des fonctionnaires) contredisant en partie d'ailleurs la jurisprudence Winkell sus-mentionnée.
Outre ces diverses règles d'exercice de l'emploi du fonctionnaire, ce texte fondamental a apporté des conditions précises et générales d'accès à la fonction publique, notamment à l'article 5 du Titre I du statut général des fonctionnaires.
Ainsi, ce texte a répondu à un impératif de sécurité juridique, mais également d'égalité entre tous les fonctionnaires concernant les grands principes régissant leur fonction.
Cependant, il convient également de noter que cette série de lois constituant le statut général comporte un certain nombre de limites, surtout en l'état actuel du droit et de sa pratique.
II) Limites actuelles du statut général des fonctionnaires :
Tout d'abord, il est nécessaire de montrer l'impact limité de ce statut général dans l'état actuel du droit, tant celui-ci a été modifié. Puis de montrer que les politiques nouvelles limitent encore davantage la nécessité de ce texte.
A) Un impact limité en droit :
Deux phénomènes essentiels limitent donc l'impact de ce statut général, et ils sont tout deux d'ordre normatif.
En effet, s'il est normal d'estimer que le statut général des fonctionnaires paraît, aux premiers abords, fondamental et général, il faut cependant évoquer le fait que la portée juridique de ce texte se limite aux grands principes.
Ainsi, par le jeu de l'article 34 de la Constitution, la compétence du législateur pour établir ce statut ou le modifier par voie législative est limitée aux garanties fondamentales. En vertu de cet article, c'est donc le pouvoir réglementaire qui dispose, depuis 1958, de la compétence de principe en la matière. Par conséquent, par la voie décretale, le gouvernement détient un pouvoir important pour compléter les dispositions prises par la Loi. Ainsi, chaque corps ou cadre d'emploi composant la fonction publique doit-être dotée d'un statut particulier, comme le dispose la Loi du 11 Janvier 1984, pris par décret, ce qui rend l'entreprise de simplification et d'égalité du droit de la fonction publique toute relative, du fait d'une nouvelle disparité des sources de ce droit.
Cette disparité est également caractérisée par le fait que le statut général des fonctionnaires ne s'applique pas aux magistrats judiciaires et administratifs, ni aux fonctionnaires des assemblées parlementaires ou aux fonctionnaires de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), tous ces personnels disposant d'un autre statut général différent de celui-ci.
Enfin, ce statut général des fonctionnaires comporte certes une partie commune à toute la fonction publique civiles (sauf les exceptions susnommées), mais il se divise, par les titres II, III et IV, en autant de statuts généraux uniquement applicables respectivement, à la fonction publique d'État, Territoriale, et Hospitalière.
Abordons désormais la limite « politique » à ce texte.
B) La modification des politiques de recrutement des agents publics :
Depuis quelques années, en raison d'une volonté croissante d'efficacité de la fonction publique, l'on peut observer une certaine évolution de la composition de la fonction publique.
En effet, ces-dernières années, et plus que jamais depuis notamment la Loi du 26 Juillet 2005, l'on constate que le nombre de fonctionnaires est en baisse, au profit des agents contractuels au service de l'État.
Et pour cause, des possibilités ont été offertes aux employeurs publics de ne pas avoir recours à un fonctionnaire mais à un agent contractuel, et ce dans quatre cas prévus par le législateur à l'article 4 de la Loi du 26 Juillet 2005, c'est à dire en cas d'inexistence de corps de fonctionnaire, si la nature des fonctions de l'emploi de catégorie A l'exige, pour les fonctions impliquant un service à temps partiel, ou pour les fonctions correspondant à un besoin saisonnier ou temporaire.
L'on pourrait imaginer que ce recours aux agents contractuels n'est que limité, mais une autre disposition de cette même loi permet, si certaines conditions sont réunies, de bénéficier d'un Contrat à Durée Indéterminée de droit public suite à 6 années de travail accompli comme agent public détenant un Contrat à Durée Déterminée, ce qui élargit encore davantage l'emploi d'agents contractuels aux dépens des fonctionnaires.
Ces agents n'étant pas soumis au statut général des fonctionnaires, mais à de « simples » dispositions statutaires prévues par Décret, cela limite encore l'utilité et la nécessité du statut général des fonctionnaires (aux vues donc de l'évolution récente de la composition de la fonction publique) et ses apports d'unité et d'égalité des situations.
Ainsi, ayant parcouru les aspects à la fois positifs et négatifs du statut général des fonctionnaires, il apparaît nécessaire d'ouvrir le sujet sur deux questions.
En premier lieu, en considération du droit communautaire, le statut général a prouvé ses limites en quelques points, notamment concernant l'exigence de nationalité française pour être fonctionnaire, qui n'est plus, depuis un arrêt de la CJCE (3 Juin 1986, Commission contre France) et une loi reprenant les dispositions de cet arrêt en date du 26 Juillet 1991, pour aménager un certain nombre de fonctions pour les ouvrir aux ressortissants de tous les états de l'UE, et ce genre de phénomène peut bien se renouveler à l'avenir vu l'inflation législative en provenance de la Commission Européenne.
En second lieu, ce statut général, déjà relativement ancien, devra également se muer en considération des impératifs très récents de modernisation de la fonction publique pour la rapprocher, dans son fonctionnement et sa mentalité franco-française selon Fabrice Melleray, du secteur privé, aux fins de faire des gains de productivité et d'efficacité nécessaires en temps de crise économique et de restriction budgétaire.
Sources :
-Actualité Jurisprudentielle Droit Administratif (AJDA) 2008, page 900 ;
-Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, 2010, Dalloz ;
-Loi du 13 Juillet 1983 ; Loi du 26 Juillet 2005.
-Droit de la Fonction Publique, Vuibert, 2007.
Rémi Decombe.
Talkian.