Le Grand parc du Puy du fou propose aux visiteurs une expérience temporelle. Mais le voyage dans l’histoire promu par ce parc à thèmes se transforme bien vite en une exploitation univoque du présent.
Ce parc à thèmes raconte beaucoup sur la vie contemporaine et son support matériel qu'est la ville. La question n'est pas de savoir si les visiteurs vivent la fiction des lieux qu'ils traversent. Elle est bien plus de comprendre pourquoi on a voulu simuler ici la ville traditionnelle.
Les répliques de villages ne sont pas des formes du passé même si la qualité des constructions laisse penser à un simulacre bien fait. Ce dispositif n’est pas sans entrer en résonnance avec le mouvement du New Urbanism.
Simulacre et narration
L'actualité du parc se vit dans l'instant dont le plan guide est le métronome. Ce dépliant est distribué dès l’entrée du parc. Il associe des horaires, des lieux et des évènements. Si vous scrutez bien celui-ci, ce que tous les visiteurs font, vous comprendrez bien vite que chaque scénette historique est couplée avec un spectacle en plein air. Il faut comprendre par là que l'architecture n'est que le prétexte d'une narration à la charge d'un spectacle.
Dans les années 1950, Walt Disney invente une discipline architecturale promise à un grand succès : l’imagineering. Pour produire une forte expérience chez le visiteur devenu spectateur, l’architecture et la technique sont inféodées à l’imagination de l’effet dont l’unique but est de provoquer du spectaculaire dans la perception des lieux. Cela renvoie aussi la récente exposition Dreamland du centre Georges Pompidou et à une certaine manière de produire la ville aujourd’hui.
Quant le spectaculaire remplace l’expérience
Dans le Grand parc, on a postulé l'hypothèse du temps univoque. D'une certaine manière on y peaufine un modèle de ville où l'architecture serait un décor urbain support d’un récit marketé. L’exposition du passé n'est ici qu'un prétexte, le plus grand commun dénominateur pour un projet résolument politique où le spectacle remplace l'expérience.
Cela montre bien que le temps est un capital. Si la ville est un espace privilégié dans l'accumulation et la reproduction du capital, il faut s'intéresser au capital temporel. Il faut aussi observer qu’on a su spéculer ici sur le capital temporel. Mais tout se passe aussi comme si le lieu du temps partagé nécessitait aujourd’hui la création d’une illusion. La question qui se pose à nous dans le Grand parc est celle de la pluralité. Cet endroit élimine la proximité de l’inconnu dont parlait Emmanuel LEVINAS.
Ensuite, alors que le développement durable prône l’économie des ressources, il nous faut d’interroger notre mode de consommation du temps. Pour économiser du temps, pour aller plus vite notamment, nous consommons les autres ressources naturelles jusqu’à leur épuisement. Raisonner nos modes de consommation passe donc par une meilleure gestion du temps.
Le Grand parc renvoie aussi à l’attachement affectif qui nous relie au patrimoine, c'est-à-dire aux édifices issus d’un monde révolu. Leur intérêt réside moins dans leur qualité intrinsèque que dans leur déploiement dans la durée. Je crois lire dans cette sacralisation obscure une tentative d’épouser le temps et d’y trouver refuge dans un monde trop fluctuant.
Renversement de paradigme
Enfin, la considération de l’espace ne suffit plus en matière d’aménagement. Nous avons étalé nos villes jusqu'à ce qu’elles fassent corps avec le territoire. Nous avons ensuite conquis la hauteur en densifiant l'espace. Le débat récent sur les tours à Paris en est un épisode. Désormais c’est bien dans l’organisation de la mise à disposition de l’espace dans le temps que se joue la partie. Nous partons donc du constat que toute tentative de modifier l’espace est vaine si elle ne s’accompagne pas d’une forme d’aménagement du temps.
Il ne s’agit pas ici d’opposer naïvement l’espace et le temps car selon Epicure, le temps est la forme de la matière en mouvement. Mais nous sommes passé de l’espace comme support matériel du temps partagé au temps comme support de l’espace partagé. C’est un passage très important même si cela a un caractère univoque dont cet exemple précis.
La grande question, celle qui devrait dominer les débats des aménageurs d’aujourd’hui, est bien de savoir si l’espace public, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, peut encore accueillir l’expérience individuelle tout en conservant son caractère collectif et pluriel. C’est pourtant à cette condition que nous pourrons voir se déployer les temps urbains, librement choisis par tous.
Pour le temps des villes, débat animé par François Chaslin, 11 octobre 2010 à 19H00, petite salle du centre Georges Pompidou, dans le cadre du cycle culture urbaine à la BPI
Extrait de l’intervention de J. Richer