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Espionnage, lobbies et conflits d'intérêts : la France de Sarkozy

Publié le 04 novembre 2010 par Letombe
Espionnage, lobbies et conflits d'intérêts : la France de Sarkozy

Il suffit d'une accusation du Canard Enchaîné d'espionnage présidentiel et d'un livre-brûlot de Dominique de Villepin contre la « cour de perroquets apeurés » autour de Sarkozy pour que l'attention se porte à nouveau sur les sales coulisses d'une présidence décadente et contestée. A l'Elysée, on fait mine d'ignorer l'attaque, comme hier avec la « fable » du Karachigate ou les cambriolages d'ordinateurs de journalistes qui ne « concernent » pas le patron de Sarkofrance. Nicolas Sarkozy a autre chose à faire. Ce jeudi, il reçoit pendant deux jours le président de la plus grande dictature du monde, Hu Jintao, ... à Nice. Pourtant, le climat est délétère, des enquêtes de la DCRI au lobbying occulte et autres conflits d'intérêts.
Sarkozy contradictoire
Mercredi, Bernard-Henri Lévy expliquait que le sort de l'iranienne Sakineh, condamnée à mort pour adultère, était une préoccupation majeure de Sarkozy. Sarkozy aurait directement menacé l'Iran de représailles si Sakineh était exécutée. Sans blague ? Le président français a l'indignation sélective, voire commerciale. Il n'a pas félicité, même d'un communiqué de presse, le nouveau prix Nobel de la Paix. Et pour cause, Liu Xiaobo est chinois. De retour d'un voyage à Londres, où il a tenté une diversion militaire avec un accord « historique » de coopération franco-britannique, Sarkozy rencontre jeudi et vendredi le président chinois. Le programme, évidemment, est tenu secret. On ne sait même pas pourquoi cette rencontre a lieu à Nice et non à Paris.
La veille, le président français avait organisé une réunion sur les menaces terroristes et a reçu un rapport de Jean-Marie Bockel sur la prévention de la délinquance juvénile. Il y a 3 mois, le secrétaire d'Etat à la Justice justifiait que cette mission était le volet préventif du discours ultra-sécuritaire de Grenoble. A lire ses recommandations au fil des 94 pages du rapport, on tombe des nues. Bockel enfonce des portes ouvertes (« Replacer le père ou le tiers au cœur de l’autorité », « Mieux ouvrir l’école aux familles pour leur intégration », etc) ou reprend quelques propositions UMPistes polémiques et toujours sécuritaire comme la détection des troubles du comportement chez les enfants de 3 ans. Contradiction ou erreur d'aiguillage ?
En coulisses, Sarkozy passe du temps à peaufiner son casting pour le prochain remaniement gouvernemental. Borloo se fait chahuter par des députés UMP. On a beau répéter que les ministres, y compris le premier d'entre eux, ne sont que des marionnettes exécutantes, on nous entretient  longueur d'articles et de commentaires un faux suspense. Le remaniement est une mauvaise sitcom.
Le cabinet noir
D'ailleurs, Dominique de Villepin sort un livre sur ... Nicolas Sarkozy. Un brûlot, à en croire les bonnes feuilles publiées par l'Express, contre les excès du premier président Bling Bling de la Vème République. Dans son « Esprit de cour », l'ancien premier ministre livre une charge au vitriol contre la monarchie sarkozyenne, dénonçant son Roi et « une cour invraisemblable de perroquets apeurés ». « Nicolas Sarkozy a d'abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement. Il l'a également rabaissée par ses dérapages verbaux, sur lesquels je ne m'appesantirai pas, pas plus que sur l'étalage de sa vie privée, justement parce qu'elle doit rester privée. » Ces constats en rejoignent d'autres, mais Villepin les sert de sa plume acérée: « l'hyperprésidence a poussé au paroxysme les pratiques de cour. A défaut de réellement réformer, Nicolas Sarkozy s'est replié sur son pouvoir symbolique, croyant que plus une cour est voyante, plus le pouvoir de son prince doit être grand. » La critique est globale : l'abus des nominations présidentielles, nominations ou déchéances autoritaires, climat détestable qui nuit à l'efficacité gouvernementale, doublement de sa rémunération, exposition de sa vie privée, « multiplication de saillies intempestives », etc.
Un pouvoir personnel et quasi-monarchique se juge aussi à l'aune de sa police. Or justement, le même jour, Claude Angeli du Canard Enchaîné dénonçait les pratiques d'espionnage de journalistes qui seraient en vigueur à l'Elysée. Selon le journaliste, « depuis le début de l’année, au moins, dès qu’un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens, Sarkozy demande à Bernard Squarcini, [directeur de la DCRI] de s’intéresser à cet effronté. En clair, de le mettre sous surveillance, de recenser ses relations et, surtout, ses informateurs.» Le journaliste précise qu'une cellule spéciale, un « groupe monté à cet effet au sein de la DCRI », est en charge de ce sale boulot qui débute quasi-systématiquement par l'étude des factures détaillées des téléphones fixes et mobiles des journalistes visés. Il ajoute que Sarkozy « supervise » personnellement ces opérations.
A l'Elysée, on critique ces accusations jugées « totalement farfelues ». Le porte-parole Luc Chatel parle d'« allégations grotesques ». Au Canard, on n'apporte aucune preuve, si ce n'est des témoignages anonymes de subordonnés de Bernard Squarcini. Ailleurs, on s'interroge : ces travaux déplairaient au patron du renseignement intérieur. Les faire dévoiler par l'hebdomadaire satirique est une manière de faire passer le message ... à l'Elysée. Mercredi après-midi, le patron du Canard enfonce le clou : « Ecoutez, l'Elysée peut dire ce qu'il veut, les sources du Canard sont bonnes et on ne se lance pas avec un titre comme ça sans biscuit. » Quoiqu'il en soit, la défense présidentielle est un peu courte. Ce « cabinet noir » n'est pas sans rappeler l'affaire des sondages de l'Elysée, dévoilée par la Cour des Comptes en 2009 : des centaines de sondages politiques étaient commandés et financés par l'Elysée, publiés par quelques médias complaisants sans que le financement élyséen ne soit jamais mentionné. Qui dit mieux ? L'association Anticor qui avait porté plainte pour favoritisme  - les dits sondages avaient été commandés sans appel d'offres - vient d'être déboutée : le parquet de Paris vient de classer l'affaire sans suite au motif que seul le Président de la République était le réel commanditaire des dits sondages et qu'institutionnellement ... il ne peut être accusé ni jugé.
Le 1er juillet 2008, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur était créée, fusionnant la DST et les Renseignements Généraux. Nicolas Sarkozy défendait ce rapprochement expresse et forcé comme une modernisation nécessaire du renseignement français à l'aune des nouvelles menaces, notamment terroristes. Il évacuait bien rapidement le rattachement directement à son autorité de la nouvelle DCRI.
Depuis, la DCRI a été plusieurs fois critiquée : elle est intervenue pour identifier la source des rumeurs d'infidélité conjugale au sein du couple présidentiel en février dernier ; elle a espionné un journaliste du Monde, Gérard Davet, à deux reprises au moins, dans l'affaire Woerth/Bettencourt. En septembre 2009, elle a été surprise filant Dominique de Villepin, au début du (premier) procès Clearstream. En mars 2009, elle a enquêté sur un lycéen blogueur. Parallèlement, les violences de Grenoble ou en marge des manifestations contre la réforme des retraites ont été mises sur le compte de la désorganisation des Renseignements Généraux. Le patron des ex-RG a d'ailleurs démissionné voici 15 jours en plein mouvement social.
Députés de tous ou avocats de certains ?
Le lobbying fait peur, à juste titre. L'absence d'encadrement et de transparence alimente rumeurs et soupçons. En Sarkofrance, le sujet est au coeur des débats sur les conflits d'intérêts, que Nicolas sarkozy a promis d'encadrer via les travaux d'une commission qu'il a installé en septembre dernier. Seulement, le périmètre de cette mission est étroit (les parlementaires en sont exclus), et aucune promesse de législation n'a été faite sur le sujet. A l'inverse, trois projets de loi sur le sujet, déposés par l'opposition, ont été rapidement rejetés mi-octobre par les députés UMP, Xavier Bertrand en tête.
Une trentaine de députés, majoritairement à l'UMP, sont avocats. Et l'un d'entre eux s'apprête à prendre les rênes du parti présidentiel. Jean-François Copé, maire de Meaux, député et président du groupe UMP à l'Assemblée, a rejoint le cabinet Gide-Lorette en 2007 pour arrondir ses fins de mois. Attaqué par Martin Hirsch, l'ancien Haut Commissaire aux Solidarités Actives, dans un ouvrage sur le conflit d'intérêt publié le mois dernier, Copé ne supporte pas qu'on doute de sa probité. Mais à l'Assemblée, lui comme son groupe a systématiquement rejeté les propositions de lois relatives à l'encadrement des conflits d'intérêts et la transparence financière de la vie politique.
Jean-François Copé n'est pas un cas isolé. En marge de l'affaire Woerth/Bettencourt, le rôle de certains membres du cabinet Woerth a pu choquer : son jeune directeur de cabinet Sébastien Proto a des relations amicales et intimes avec quelques nouveaux notables du pari en ligne. Ce qui ne l'a pas empêché de se saisir du dossier, quand il travaillait au ministère du Budget. Autre cas exemplaire, Eric de Sérigny cumule les fonctions de conseiller bénévole auprès d'Eric Woerth et consultant en restructuration et finances chez Athema qui conseillait... Molex. 
Vendredi dernier, le quotidien Libération s'inquiétait plus largement sur l'influence des lobbies dans les travaux parlementaires. Et rappelait le rôle de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, éphémère député pendant la suppléance d'André Santini de 2007 à 2009. Son influence est connue depuis longtemps. L'homme, si prompt à donner des leçons tous azimuts, a conservé des liens avec son ancienne profession. Alors qu'il était déjà conseiller de Nicolas Sarkoy au ministère de l'intérieur, il participait à trois sociétés de lobbying dont il était actionnnaire. Libération rapporte que la situation a peu changé : de 2007 à 2009, Frédéric Lefebvre a conservé le contrôle de Domaines Publics, une société révélée au grand public par un reportage de l'émission d'investigation de Canal+, en 2006. En 2009, le chiffre d'affaires annoncé était de 3,64 millions d'euros. Les deux co-présidents de la société sont actuellement Jean-Michel Arnaud, par ailleurs patron de Metro France, et Steven Zunz, ancien assistant parlementaire du député UMP Christian Estrosi. Le directeur général est toujours Stéphan Desnoyes, proche de Frédéric Lefebvre avec lequel Lefebvre et Zunz ont créé Pic Conseil en 1996.  Le même Desnoyes travaille également à Enjeux Publics, une autre société de lobbying (« vous accompagner et vous assister dans l'ensemble de vos relations avec les pouvoirs publics, locaux, nationaux, européens » promet leur site).
En 2008, Frédéric Lefebvre avait touché quelques 200 000 euros de dividendes au titre de ses 51% du capital de PIC CONSEIL. A l'époque, Frédéric Lefebvre avait expliqué que PIC CONSEIL n'avait plus d'activité de lobbying. Il avait aussi attendu deux années pour fermer, en avril 2009 seulement, sa propre société de lobbying (« Frédéric Lefebvre Conseil »). Pourtant, en 2009/2010 (l'exercice fiscal de la société se clôturant à fin mars), il semble bien que PIC CONSEIL ait à nouveau généreusement distribué les 200 000 euros de bénéfice net de l'année : malgré ce bénéfice, les capitaux propres de la société sont restés stables, à 1,09 million d'euros, ce qui signifie qu'il y a bien eu distribution de dividendes. En d'autres termes, Frédéric Lefebvre, à l'époque député, a touché des dividendes d'une société de lobbying...
Le lobbying n'est qu'un volet des affaires de conflits d'intérêts si visibles en Sarkofrance. La nomination d'un François Pérol, conseiller économique de Nicolas Sarkozy propulsé à la tête des Banques Populaires et des Caisses d'Epargne fin 2008 alors qu'il traitait justement des affaires bancaires est un exemple. Les affaires Woerth/Bettencourt ou Wildenstein en sont d'autres : confusion des fonctions de trésorier de l'Ump et de ministre du budget ou fraude fiscale jamais contrôlée de gros donateur du parti, les frontières sont poreuses entre le service d'un clan et la conduite des affaires de la nation.
Ami sarkozyste, où es-tu ?

Sarkofrance

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