L’un de ses plus grands poètes disait de lui, à la pointe extrême de ses côtes: « Ici…où la terre s’achève et où commence la mer …».
Son fondateur et premier Roi était un Capétien de droite ligne paternelle.
Ses frontières ont été fixées de manière quasi définitive, il y a 760 ans.
Sa République a cette année 100 ans.
Sa langue est parlée sur quatre continents par plus de 200 millions de personnes de diverses nationalités.
Il existe de nombreux pays qui ont porté de lourdes responsabilités dans l’évolution des civilisations occidentales, dans leurs dominations sur les autres civilisations. Plus ou moins, connaît-on quelques ingrédients de leur Histoire et des régimes qui les ont menés, quelquefois dans les sombres chemins de la colonisation, l’esclavage, ou la dictature.
Ce pays là est resté discret. On pourrait attribuer cela à sa petite taille ou à sa situation géographique, qui sans être isolée, l’isole du continent européen, un peu comme un pays caché derrière un autre ; une seule frontière et l’océan !
Et c’est la mer, souvent sauvage frappant ses côtes, qui lui a donné son courage et sa force.
On peut aussi attribuer sa discrétion à l’âme de ses ressortissants. C’est une âme façonnée par l’action plutôt que par les questions, par la pugnacité de son corps trapu plutôt que par l’assurance d’un géant. Elle s’est intégrée partout avec moindres conflits, elle a taillé son chemin dans des territoires inexplorés et c’est la première à cercler le Monde avec le sillage des navires qu’elle a inventés.
En 1250, avec la conquête de l’Algarve (Al Garbe) sur les Maures le Portugal est pratiquement le premier pays d’Europe à fixer les frontières qu’il a conservé jusqu’à ce jour.
En octobre 1910, il a instauré sa République en renversant la Monarchie. Ses désordres intérieurs, la misère féodale, une bourgeoisie progressiste entravée, lui faisaient aspirer à la moderne démocratie.
Il aurait pu réussir ! Cependant, les corps d’armée attachés aux traditions, l’église catholique jalouse de ses pouvoirs et ses richesses, les gros propriétaires et les nostalgiques de l’ancien régime ont bien malmené l’histoire qui a suivi. Révoltes militaires, sécession de certaines villes ou régions, coups d’états successifs, exploitation et misère du peuple, indétermination internationale avec l’arrivée du premier conflit mondial, tout cela a mis à mal l’équilibre politique et l’économie du pays, le conduisant comme l’Italie et l’Allemagne vers l’instauration d’une République indéfinissable, en 1926, après une rébellion menée par le Général Gomes da Costa. En 1928 la direction des affaires est remise entre les mains du Professeur d’économie, Antonio de Oliveira Salazar, député fondateur du parti catholique. Intelligent et efficace, d’abord Ministre des Finances, ce dernier cimente la cohésion des forces conservatrices en plaçant ses amis dans les postes clés et s’assure un pouvoir sans partage dès 1932. En 1933, libres associations et syndicats indépendants sont interdits, les pouvoirs de la Police politique sont élargis, permettant arrestations et tortures sur simple dénonciation. De nombreux démocrates, républicains, socialistes, communistes sont ainsi emprisonnés, certains meurent sous les coups ou sont défenestrés. Les communistes, de loin les plus solidaires et organisés sont la cible première de la Police de Vigilance et de Défense de l’Etat (PVDE). Beaucoup d’opposants sont déportés vers les colonies africaines.
En 1936, Salazar se détermine ouvertement contre la République espagnole et soutien le soulèvement du Général Franco. Une partie de la Marine se révolte avec l’intention de partir combattre auprès des républicains espagnols, trois bâtiments de guerre appareillent du port de Lisbonne. Salazar ordonne leur bombardement dans l’estuaire du Tage. Une dizaine de marins est tuée, une soixantaine est arrêtée.
Tout ce qui précède, on peut le trouver dans les livres d’Histoire. Par contre la petite histoire qui suit, elle, est bien peu connue. Pourtant elle le mériterait, car elle traduit le courage et la générosité des uns et la couardise et la lâcheté des autres.
Le 17 octobre 1936, un navire quittait les quais d’Alcantara à Lisbonne. A son bord, 154 prisonniers dont 34 des marins mutinés partaient pour une destination inconnue.
Le bateau fit escale aux Açores, au port de Angra do Héroismo où il débarqua certains prisonniers destinés à la Forteresse de São João Batista et en embarqua d’autres pour être menés vers une déportation en Afrique.
D’habitude, et d’après les connaissances que les prisonniers avaient de ce type de déportation, les individus étaient dispersés dans différentes colonies et destinés à des travaux forcés dans des propriétés diverses, exilés loin de tout, en semi liberté. Lorsqu’ils arrivèrent sur l’ile de Santiago, la plus grande de l’archipel du Cap Vert et furent installés dans la « Colonie pénale » de Tarrafal, voyant l’état inachevé des installations, ils imaginaient encore que leur destination n’était pas définitive.
Le nouveau Directeur du camp les détrompa très vite : « Qui entre par ce portail perd tous ses droits et doit seulement accomplir ses devoirs. Qui vient à Tarrafal, vient pour mourir ! ».
Décrire les années qui suivirent dans le détail, demande bien plus qu’un simple aticle. Le camp était installé dans un bassin plat entouré de montagnes et ouvert sur la baie et l’océan ; une terre inondable par des pluies torrentielles, dans laquelle se formaient des poches d’eau stagnante où pullulait des milliards de larves à moustiques. Les vents y soufflaient avec une violence inouïe, chargés d’un sable noir volcanique qui se faufilait partout, dans les draps, sous les vêtements, dans l’eau et la nourriture et vous râpait le visage comme une toile abrasive. Hébergés sous des tentes de toiles qui se déchiraient avec les intempéries, les prisonniers aménagèrent par la suite leur propre prison sous les coups de bâton, comme ils creusèrent les fosses dans lesquels beaucoup furent ensevelis. L’eau, il fallait aller la chercher dans de vieux bidons d’essence portés sur les épaules à un kilomètre de là, dans un puits où se déversaient les eaux pourries par les charognes d’animaux. Pour boire sans crainte, les détenus inventaient toutes sortes de méthodes en cachette pour stériliser l’eau. Les déjections et les ordures étaient de la même façon menées sur le dos et jetées dans l’océan, mais pour cela il fallait entrer dans les vagues sous la surveillance des gardes et la menace des requins. Les Directeurs successifs savaient ainsi utiliser les opportunités offertes par les lieux et le climat pour user les énergies et détruire les convictions. C’est de là que vient le surnom de « camp de la mort lente ». Les premières années furent les plus terribles. Les conditions de détention furent peu à peu connues à l’extérieur et la pression de l’opinion finit par gêner le gouvernement de Salazar. Les conditions changèrent, mais très, très lentement et la détention resta une torture quotidienne.
Le camp de Tarrafal ferma ses portes en janvier 1954; 340 hommes y avaient accompli la somme de deux mille ans, onze mois et cinq jours de détention.
Il est possible de découvrir cette histoire au travers du récit de la vie de l’un des prisonniers, les références citées concernent surtout des écrits en portugais, il existe malheureusement peu de textes sur le sujet en langue française. sur : http://otarsolrac.centerblog.net
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