Pourtant, en fin de compte, un slogan a émergé : les jeunes sont descendus dans la rue pour défendre leur emploi, car « plus de seniors au travail, c’est moins de juniors embauchés ». Mais ce slogan, s’il a retenu l’attention des médias, n’a aucun sens, il remonte à la vieille idée de Malthus : il n’y a pas d’emplois pour tous.
« Plus les vieux travailleront longtemps, moins les jeunes auront du travail »
Reconnaissons d’abord que la formule est plus séduisante et apparemment plus novatrice que « faire la révolution » : c’est un peu passé de mode, quand les derniers bastions communistes se fissurent, à l’exception notable de la Corée du Nord, qui fait certainement rêver la jeunesse. Plus séduisante et plus novatrice que « Sarkozy démission », une obsession syndicaliste et gauchiste qui ne traduit pas la spécificité des problèmes des jeunes.
Par contraste, le chômage des jeunes, voilà qui est intéressant. La France détient en effet le record du nombre de jeunes en recherche d’emplois : 27% des moins de 25 ans. Or, la réforme des retraites, en prolongeant la période d’activité des séniors, encombre le marché du travail et aggrave donc le chômage des juniors.
Si c’est vrai, on comprend la réaction des jeunes, face aux seniors qui viendraient leur voler leur emploi. L’argument n’est pas très surprenant dans la bouche de lycéens nourris, en matière économique, par leurs professeurs et par les médias, au biberon des lumières de la pensée économique dominante : Marx, Keynes et Bourdieu. Sans le savoir, ils ont ainsi véhiculé le malthusianisme le plus primaire.
Notre confrère Valeurs actuelles, sous la plume de Richard Kitaeff, dans un papier intitulé « Manifs : paroles de lycéens » a recueilli quelques paroles dignes de figurer dans le livre des records. Notons celle-ci : « C’est mathématique : plus les vieux travailleront longtemps, moins les jeunes auront de travail ». Si c’est mathématique, c’est donc que c’est scientifique : on ne leur a pas encore appris à se méfier des mathématiques en économie car, avec les plus beaux modèles du monde, il ne sort que ce que l’on a mis dans les hypothèses de départ. Donc un senior de plus au travail, c’est un emploi de moins pour les jeunes. C’est limpide.
Du partage du travail au partage des emplois
Il faut dire qu’ils n’ont pas été les premiers à présenter cette analyse. Toutes les thèses du partage du travail reposent sur cette hypothèse : il y a un nombre donné d’emplois, ce que J. Garello a appelé « un stock de travail, comparable à un réservoir de pétrole de chez Total ». Ainsi, s’il y a 25 millions d’emplois, et 27 millions d’actifs potentiels, il faut pour régler le problème du chômage des deux millions qui restent sur le carreau, les transformer en autre chose, par exemple en retraités.
La thèse du partage du travail, brillamment illustrée par Martine Aubry lors de la glorieuse installation des 35 heures, est encore plus subtile : au-delà de l’idée d’un nombre donné d’emplois, il y a un nombre donné d’heures de travail disponibles. Diminuons la durée du travail et il y aura un emploi pour chacun : passer de 39 heures à 35, soit 4 heures de moins, c’est permettre à des travailleurs de trouver un emploi.
On connait le résultat. Problème pour les toutes petites entreprises : un commerce ayant deux employés qui travaillaient 40 heures, soit 80, va-t-il embaucher un troisième pour les dix heures manquantes ? Mais une grande entreprise ? Neuf travailleurs passant de 39 à 35 heures, et voilà un emploi nouveau créé. Mais comment faire si on veut 35 heures payées 39 ? Dans ce cas on construit une usine à gaz pour aider les entreprises, en ponctionnant un peu plus le contribuable, à qui l’on retire l’argent qu’on vient de lui donner comme salarié. Tout le monde sait aujourd’hui que les thèses du partage du travail ont détruit des emplois, et l’idée des retraités mangeurs d’emplois est tout à fait erronée.
La première erreur est de considérer les salariés comme des pions interchangeables. Un salarié de 60 ans, ingénieur informatique fort de 40 ans d’expérience ou un ouvrier hautement qualifié sera-t-il remplacé par un titulaire d’un BTS ou d’une licence pro ? Cette thèse cache un profond mépris des personnes et de leur spécificité : une personne ne peut en remplacer une autre. Il y a pire : retirer du marché du travail un salarié au profil spécifique créera en fait du chômage, car, faute de trouver quelqu’un ayant les mêmes caractéristiques, on devra réduire toute la production et licencier d’autres actifs.
Vision statique ou vision dynamique de l’économie ?
La seconde erreur est plus grave encore : c’est l’idée du stock de travail, qui participe d’une vision incroyablement statique de la vie économique : puisque le nombre d’emploi est rare, il faudrait donc gérer au mieux la pénurie. Cette thèse s’applique peut-être à la fonction publique : si l’on dispose de tant de milliards et si le salaire des fonctionnaires est de tant, on peut par division calculer le nombre d’emplois. Sans augmentation des impôts, impossible d’en créer plus, sauf à payer chacun moins. Mais l’administration n’est pas dans une logique marchande, et il vaut mieux que les dépenses publiques diminuent au lieu d’augmenter.
Par contraste, dans le secteur productif, il n’y a aucune limite à la création de richesses, donc d’emplois, puisque les besoins humains sont infinis. Si les entreprises embauchent, c’est pour produire plus de richesses en biens ou services. Un senior qui reste au travail, c’est un productif de plus qui va permettre d’accroître la production, donc les revenus qui en découlent, donc la demande. Autrement dit, plus il y a d’actifs occupés, plus il y a de revenus, donc plus cela crée, par dynamique, des emplois nouveaux, pour répondre à ces demandes nouvelles. Comme le résume J. Garello : « Plus il y a de gens qui travaillent, à tout âge et dans n’importe quel emploi, et plus il y a de travail pour tous. Car la rémunération du travail des uns crée des débouchés pour les biens produits par le travail des autres ».
L’emploi crée l’emploi
La réalité économique confirme l’analyse théorique. En longue période ce sont les pays qui ont eu la plus forte progression des actifs (comme les USA) qui ont eu le moins de chômage ; ce sont les pays qui ont eu moins d’actifs, qui ont connu un chômage plus élevé. L’emploi crée l’emploi, les actifs créent d’autres emplois d’actifs.
Malheureusement le malthusianisme est présent dans l’esprit des hommes politiques de tous horizons : le maintien au travail des séniors crée le chômage des jeunes, crient lycéens et syndicalistes ; les travailleurs immigrés créent du chômage chez les Français, diront d’autres ; le développement du travail féminin crée du chômage chez les hommes, affirmeront les troisièmes ; travailler plus et plus longtemps réduit les autres au chômage, affirment les derniers. Derrière tous ces slogans la thèse dominante est la même : il y a une masse et une seule de travail disponible ; il faut donc ou se partager le gâteau, ou mettre dehors certains actifs pour faire de la place aux autres.
La réalité économique est à l’inverse : elle est faite de création, de dynamisme ; la richesse crée la richesse ; l’emploi crée l’emploi. Mais alors pourquoi y a-t-il du chômage, si c’est si simple ? Simplement parce que l’on refuse les règles élémentaires du jeu économique. Ainsi, en ce qui concerne les jeunes, on multiplie les barrières à l’entrée en exigeant par exemple qu’ils aient le même salaire que ceux qui ont déjà une expérience : résultat, 25% de jeunes actifs au chômage. Mais ce n’est pas le marché qui a créé ce chômage, ce sont les réglementations étatiques.
La France est un des pays qui a le plus de chômeurs ; c’est aussi le pays où l’on travaille le moins longtemps dans la semaine, dans l’année, dans la vie, avec en particulier le taux d’activité des seniors le plus faible. Que nos lycéens ouvrent les yeux devant cette évidence : retirer encore des seniors du marché du travail, c’est accroître finalement le chômage des jeunes. Manifestement, les jeunes français, mais aussi les leaders syndicaux sont toujours soumis aux préjugés du malthusianisme : ils n’ont rien compris aux mécanismes de la création des richesses et des emplois : toutes les contraintes étatiques créent du chômage, toutes les libertés, y compris celle de travailler plus longtemps, créent des emplois.
Article repris de la Nouvelle Lettre avec l’aimable autorisation de Jacques Garello