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Projet, avec un P comme patchwork

Publié le 03 novembre 2010 par Variae

« Les conditions objectives d’une défaite de Sarkozy sont réunies ». Phrase, à la fois banale et frappante, dont la paternité revient à François Hollande. Si l’idée est désormais dans l’air du temps et dans le langage de la gauche, sa formulation est étonnante : elle suggère que toute la question de 2012 se concentre sur la personne du président de la République, sur son échec ou son succès, qui seraient fonction d’une série de variables – état de l’économie, santé sociale, opinion … et « projet de la gauche », bien entendu. Une « condition objective », parmi d’autres ; comme si le sarkozysme était une force naturelle, impérieuse, sur laquelle on ne pourrait avoir de prise que dans une conjonction heureuse de conditions favorables.

Projet, avec un P comme patchwork

Un autre constat est pourtant désormais tout autant monnaie courante au PS et à gauche : l’antisarkozysme ne suffit pas, il faut autre chose, un projet, une vision pour la France, une bataille idéologique, un rapport de force, un clivage gauche-droite. On ne saurait mieux dire. Pour autant, ces efforts verbaux sont-ils suivis d’effets ? On peut en douter ; il suffit de faire un test rapide, demander à un sympathisant de décrire l’orientation générale du PS, ou, question plus simple, une mesure forte portée par le même parti. Mon expérience personnelle en ce domaine est quasi systématique : si mes interlocuteurs reconnaissent sans difficultés le travail d’opposition mené par le parti socialiste, ils peinent beaucoup plus à décrire son positionnement, ou à rendre compte d’un axe marquant de son discours qui ne soit pas négatif – abolir le bouclier fiscal, lutter contre l’élévation de l’âge de la retraite, etc.

Et pourtant, le PS parle, produit, écrit, d’abondance même. Les députés et responsables multiplient les notes à la Fondation Jean Jaurès ou à Terra Nova. Le Laboratoire des Idées produit de copieuses synthèses qui viennent nourrir les tout aussi copieux textes du projet pour 2012, validé tranche par tranche depuis le printemps. Le texte sur « l’égalité réelle », en phase terminale d’élaboration, est un bon exemple : un feu d’artifice consciencieux de mesures en tous genres, depuis le service public de la petite enfance jusqu’au « bouclier rural » (!), en passant par l’allocation autonomie pour les jeunes. Des idées, des propositions, des segments de programme présentés comme sérieux et crédibles. Tel était aussi le contre-projet socialiste sur les retraites : deux pages, dans sa version courte, d’explication, de pédagogie, de subtil équilibre entre retraite à la carte, taxation de la finance, défense des 60 ans et aide à l’emploi des séniors.

Abondance de biens (intellectuels) ne nuit pas ? A voir. Tant que tout le monde est arque-bouté en contre, le patchwork tient, à défaut d’être très lisible. Mais qu’une brebis égarée oublie un instant le « devoir d’unité », et alors la confusion, et le doute, se font jour. C’était le cas sur les retraites, où un billet sur le blog d’un élu du courant Hamon-Emmanuelli a suffi à déclencher une phase de flottement aussi symptomatique que problématique, sur le sens réel du maintien claironné par le PS de la retraite à 60 ans (A taux plein ? Fortement réduite ?). On a ainsi le sentiment que cette profusion d’écrits, de propositions, d’idées, a au moins deux fonctions et effets ; donner une image de sérieux, donc ; mais aussi noyer dans la masse la diversité, pas vraiment résolue, d’un parti qui cherche son identité, après – enfonçons quelques portes ouvertes – la « fin des idéologies », la chute du mur de Berlin et la crise du capitalisme financier.

Encore convient-il de définir la nature de cette diversité. Elle ne correspond plus à des affrontements clairs entre lignes politiques fermes, « sociaux-démocrates » contre « socialistes de gauche », « libéraux » contre « républicains », « productivistes » contre « écologistes », mais à de complexes (et parfois confuses) variations individuelles. Certes, des aspects de ces conflits originels subsistent, ou sont instrumentalisés pour justifier telle posture ou telle candidature à la primaire. Mais sur le fond, les anciennes digues ont assez largement cédé : le « juste-échange » symbolise une sorte de paix des braves autour du protectionnisme ; tout le monde s’est converti à la critique de la mondialisation financiarisée, autrefois apanage des altermondialistes ; la défense des services publics – même dans le texte dirigé par Benoit Hamon – se fait « sans fétichisme » et en affirmant la nécessité de leur « individualisation ». Pour autant, ces compromis mous sont plus le résultat de la dégénérescence des anciennes identités de courant que d’une vraie adhésion positive à un nouvelle ligne générale socialiste ; en conséquence, ils n’ont pas de stabilité, sont peu prégnants dans l’opinion, et génèrent d’innombrables tangages à la moindre occasion – comme sur les retraites.

Une question fondamentale est donc posée : le parti socialiste (et plus largement la social-démocratie) a-t-il encore une identité, autre que son histoire et l’inertie de son puissant appareil d’élus ? Quel est le sens contemporain d’un concept et d’une doctrine nés dans une situation historique, économique, sociale et technologique en vérité fort différente ? Pourra-t-on indéfiniment lui administrer rustines, appendices et autres greenwashing de circonstance, sans réfléchir au sens et à la cohérence de l’ensemble ?

Cette difficulté idéologique globale est aggravée par une organisation partidaire bancale issue du dernier congrès. Le Congrès de Reims, c’est la victoire de la candidate d’une motion minoritaire (et sans identité très marquée), portée par un ensemble hétéroclite de forces avec lesquelles il faut composer à tous les moments de la vie du parti, de même qu’avec les vaincus de l’époque. Ce mode de travail se reflète directement sur les textes des conventions du projet, chacune étant confiée à un des quatre courants issus de Reims, et chacune reproduisant ensuite en son sein ce mode de fonctionnement choral, et la recherche systématique du moyen terme ! Comment s’étonner alors du résultat lui-même complètement rhapsodique : une convention sur le social sous le signe de « l’égalité », une autre sur l’économie louchant du côté du développement vert et de la « croissance autrement », une autre encore sur l’international prenant une posture réaliste … On ne repère aisément ni fil conducteur, ni concept unificateur (le care de Martine Aubry n’est décliné nulle part), ni analyse commune de l’état de la société, ni grand discours structurant sur le futur souhaité par la gauche ; inversement, ces textes ne se présentent pas non plus comme des boîtes à idées, et aucun « remue-méninges » militant n’a précédé leur élaboration, ce qui limite d’autant plus leur appropriation par les adhérents du parti. On renvoie, pour leur genèse, au fait que le contact a été rétabli avec « les intellectuels et les experts » ; lesquels ? Dans quelle perspective, suivant quels critères de sélection ? A force de raccrocher au petit bonheur idées d’experts, mesures d’inspiration politique, et concepts dans l’air du temps, on en arrive même parfois à d’étranges contradictions : ainsi le dernier texte parvient-il, à quelques lignes de distance, à commencer par dénoncer la stigmatisation de la jeunesse, pour ensuite préconiser le service civique obligatoire, qui revient pourtant à sanctionner le manque de civisme des mêmes jeunes !

Tout se passe comme si on misait secrètement sur une martingale, un coup de bluff au dernier moment pour emporter le tout et restituer une identité et une cohérence hésitantes – soit une candidature providentielle, soit l’effondrement de Nicolas Sarkozy et un puissant vote « contre » en faveur du premier parti de l’opposition. En attendant les bien tardives primaires qui pourraient apporter cette solution, il faudra encore, des mois durant, faire avec cette discrète cacophonie, qui participe sans doute à la faible confiance des Français dans la capacité de l’opposition à faire mieux que la droite. Le ou la candidat(e) qui sera ultimement désigné(e) devra ensuite, en quelques mois, rattraper le temps perdu sur ce point, tout en menant campagne face à la droite. 2007, deuxième ?

Romain Pigenel


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