A 55 ans, l’auteur d’origine anglaise s’éclate dans la nostalgie. Il avait 19 ans à la fin de ces années 60 du peace and love ou, plus réaliste, du sexe, drogue et rock’n roll. Lui est passé à côté, plus sage que la moyenne. La jeunesse 69 se rebellait contre la rigidité morale des vainqueurs du nazisme et prônait, contre la vertu du travail, de la famille et des comptes du samedi, l’hédonisme, l’amour libre et l’austérité du partage. Le proverbe dit que quiconque se souvient des années 60, c’est parce qu’il ne les a pas vécues. En effet, les autres, les vrais, ont constamment plané, dans le ventre des filles, les fumées de la marie (juana) et l’acid trip des riffs musicaux.
Cette nouvelle enquête de l’inspecteur Banks, du Yorkshire, entremêle 1969 et 2005. Deux crimes ont été commis qui pourraient être liés. Le premier, jadis, d’une jeune fille férue de méditation et de concerts pop, assassinée au couteau à cran d’arrêt dans un bois alors que jouait Led Zeppelin. Le second, aujourd’hui, d’un jeune homme en journaliste, massacré à coups de tisonnier dans son cottage loué pour une enquête. Au milieu, ce mystérieux groupe pop des Mad Hatters, en référence à cette expression anglaise ‘mad as a hatter’ qu’on croirait sortie d’Alice au pays des merveilles et qui signifie tout simplement : fou à lier.
C’est l’occasion, pour Robinson, de se documenter sur ces années musicales d’une Angleterre qui changeait de monde avec l’irruption à l’âge adulte des baby-boomers. L’occasion aussi de confronter deux inspecteurs, le Chadwick de 1969 et le Banks de 2005, et leurs méthodes d’intuition humaine. On était plus rude en 69, jugeant sévèrement cette ‘année érotique’ qui voyait surtout les garçons profiter des filles attirées par leur spectacle au micro. Mais 2005 marque l’arrivée de nouveaux ambitieux égoïstes tels la commissaire nouvellement nommée Gervaise et le néo-major Templeton. Ils sont selfish, brutaux et efficaces. Bien loin du caporalisme années 60, mais aussi de l’humanisme années 80 de Banks.
Tous ces télescopages font un roman dense, qui explore en profondeur les changements vécus en une génération. Alan Banks contemple son fils Brian qui a fondé un groupe rock et sa nouvelle copine actrice Emilia ; il compare avec les Mad Hatters et leurs groupies vite prises, vite larguées, le tout dans les brumes du LSD. Il se demande comment l’inspecteur Chadwick a mené l’enquête en 1969 et comment il a réussi à trouver un coupable, comment son équipe va le faire aujourd’hui.
Le récit se lit bien, en fragments alternatifs d’une époque à l’autre, qui s’éclairent mutuellement et donnent du relief à une histoire qui n’en fait au fond qu’une. Voilà un grand Peter Robinson.
Peter Robinson, Le coup au cœur (Peace of my Heart), 2006, Livre de poche 2009, 501 pages, 7.12€