C'est finalement une habitude du capitalisme à la Française, les années passent mais les flibustiers de la finance et des affaires restent les mêmes. Bolloré, Arnault ou Pinault, selon les époques, ils sont toujours là, quand il le faut. Aux commandes d'empires qui ont pu connaître la crise et les erreurs de stratégie, mais jamais le renoncement au développement. J'ai vu naître au début de ma carrière de journaliste ces "Empires" devenus mondiaux.
Bolloré a révé de sa voiture électrique et il ira au bout de son projet que ses détracteurs et proches prennent parfois pour une "danseuse". Son groupe est aujourd'hui devenu un conglomérat industriel et de médias, il a su préparer l'avenir.
François Pinault qui a passé les commandes de son groupe à son fils François-Henri a transformé le groupe de distribution en groupe de luxe, pas à pas, avec méthode, même si à ce jour, les investisseurs ont encore des doutes sur son efficacité. Mais le PPR n'a plus aujourd'hui de raison d'être si ce n'est sur le plan historique Pinault Printemps Redoute, le deuxième P n'est déjà plus et le R n'est pas vraiment une marque de luxe.
Quand au dernier, Bernard Arnault, il a su consolider et développer son groupe de luxe LVMH, plus de 60 marques au compteur dans la mode, les vins et spiritueux, les montres...mais dont Louis Vuitton le malletier, reste après tant d'années toujours la "vache à lait" adorée des investisseurs et de son Président. C'est lui qui vient donc de se faire remarquer à nouveau, quelques mois à peine après le décès de Jean-Louis Dumas en mai 2010, l'emblématique gérant d'Hermès, qui luxe suprême a réussi en quelques années à conduire son groupe au firmament des capitalisations boursières de la Bourse de Paris, malgré une taille beaucoup plus modeste que le numéro un mondial du luxe !
Les dés ont été jetés discrètement comme à son habitude, d'ailleurs inutile de chercher un quelconque franchissement de seuil sur le site de l'AMF, le Gendarme de la Bourse.
C'est donc le 23 octobre que la révélation de l'intérêt de Bernard Arnault pour Hermès a été publiquement annoncé :
"LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton, leader mondial du luxe, déclare détenir 15 016 000 actions de la société Hermès International, représentant 14,2% du capital de cette société.
L’objectif de LVMH est d’être un actionnaire à long terme d’Hermès et de contribuer à la préservation du caractère familial et français qui est à l’origine du succès mondial de cette marque emblématique.
LVMH apportera un soutien sans réserve à la stratégie menée par la famille fondatrice et par les équipes dirigeantes, qui ont fait de cette marque l’un des plus beaux fleurons de l’industrie du luxe.
Le Groupe LVMH tient à préciser qu’il n’envisage nullement, ni de présenter une offre publique d’achat, ni de prendre le contrôle d’Hermès, ni de solliciter de représentation au sein du Conseil de Surveillance de cette société. LVMH précise qu’il détient un contrat d’instrument financier qui porte sur 3 001 246 actions Hermès International dont il a l’intention de solliciter la conversion.
LVMH détiendrait alors au total 18 017 246 actions Hermès International, soit 17,1% de son capital. Le prix de revient de sa participation s’élèverait en ce cas à 1,45 milliard d’Euros."
L'étonnement d'Hermès a été à la hauteur de la découverte d'une opération financière discrète baptisée "equity swaps", qui a donc été réalisée avec un succès indéniable. Elle laisse le régulateur bouche bée !
Dans le journal Les Echos, propriété du groupe LVMH, le Président de l'AMF, Jean-Pierre Jouyet, que l'on entend plus souvent selon ses détracteurs sur les sujets qui ne dépendent pas de ses compétences, que sur l'efficacité de la régulation boursière de la Place de Paris, constate qu'il est au bord de la route de la régulation boursière avec son radar qui ne marche pas !
Question des Echos : "La prise de participation de LVMH dans le capital d'Hermès s'est-elle déroulée convenablement à vos yeux ? Réponse du Gendarme :
"N'oublions pas que la publication de la déclaration de franchissement de seuil de LVMH [propriétaire des Echos, NDLR] ne vaut pas approbation de l'opération par l'AMF. Aujourd'hui, nous vérifions que la réglementation a bien été respectée, sachant que le titre d'Hermès est sous surveillance depuis plusieurs mois, compte tenu des forts mouvements observés sur cette action. Si, au vu des éléments en sa possession, le secrétaire général de l'AMF juge qu'il y a lieu d'ouvrir une enquête, alors celle-ci sera diligentée. Le principe de transparence lors de la montée d'un actionnaire au capital d'une société cotée est fondamental. Sa déclinaison n'est pas aussi précise et étendue que je le souhaiterais. Nous avions publié, fin octobre 2008, un rapport remis par Bernard Field, alors membre du Collège, sur les déclarations de franchissement de seuil de participation. Celui-ci recommandait clairement que les instruments dérivés du type «equity swaps» à règlement exclusif en numéraire soient comptabilisés comme des actions et pris en compte dans le calcul du seuil de 5% du capital déclenchant l'obligation d'information du marché. Cette proposition n'a pas été retenue dans la loi. C'est fort regrettable".Fort regrettable. Pas pour le Président de LVMH qui dispose à ses côtés de l'un des meilleurs conseillers en droit boursier depuis longtemps, celui-là même qui a permis la création de LVMH, Pierre Godé.
LVMH a donc pu faire cette opération tranquillement à ce jour. Nous verrons si le radar de l'AMF voit quelque chose d'anormal, mais que pourrait bien donner une enquête ? Pas grand chose en réalité.
Le ver est dans la soie.
Carré Hermès sur le site de la société.
Les héritiers Hermès ont eux réagi par le biais de deux communiqués rappelant que "Les actionnaires d’Hermès International, descendants d’Emile Hermès, ont pris la décision en 1993 d’introduire la société à la Bourse de Paris. Cette décision répondait aux objectifs suivants : assurer le développement à long terme de l’entreprise, offrir une plus grande liquidité aux actionnaires" et que "la famille Hermès contrôle près de 75 % du capital de la société Hermès International. Elle a réuni conjointement le Conseil de gérance et le Conseil de surveillance à la suite des opérations intervenues sur les titres de la société. Des mouvements non sollicités sur le capital ont conduit la famille à confirmer sa parfaite unité et sa volonté unanime de maintenir dans le long terme son contrôle."
D'un côté un groupe de luxe LVMH dont le fondateur Bernard Arnault met 1,45 milliards d'euros (pour commencer) sur la table pour prendre 17,1% du capital d'Hermès, de l'autre une société protégée par une commandite, dont les actionnaires confirment leur "unité".
La bataille ne fait que commencer. Elle sera peut-être médiatique, en tout cas, il serait très étonnant que dans quelques mois, les lignes n'aient pas bougé.
Désormais, le ver est dans la soie, maintenant qu'il y est venu, pourquoi partirait-il, il est dans son élément !