08 - 01
2008
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"Lady Jane" est-il seulement le récit d’une vengeance, de l'escalade de la vengeance? C’est l’affichage de ce polar signé Robert Guédiguian qu’on attendait pas dans ce genre de film, dans le film de genre. Pourtant, si polar et intrigues existent bel et bien, la poignante dernière tirade de JP Darroussin à Ariane Ascaride ne laisse pas de doute : c’est de sa jeunesse et ses espoirs perdus que son personnage est inconsolable, est-ce là la voix du réalisateur avec ce choix du titre "Lady Jane", une chanson des Stones des années 70 ? D’ailleurs, le film démarre dès le générique sur les riffs de l’obsédant "On the road again" de Canned Heat, leit-motiv que l’on retrouvera tout au long du film quand il sera fait référence aux années 70 (BO éclectique de Cannet Head aux années 2000 en passant par Vivaldi).
Après le casse d’une bijouterie qui les a conduit à tuer un homme dans un parking dans les années 70, Muriel (Ariane Ascaride), François (Jean-Pierre Darroussin) et René (Gérard Meylan) ont décidé de ne plus de revoir. Jusqu’au jour où, trente ans plus tard, le fils de Muriel est kidnappé, aussitôt, elle demande de l’aide à ses anciens complices, ses amis d’enfance, pour réunir l’argent de la rançon.
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Avec l’argent volé de l’époque, Muriel a ouvert une parfumerie de luxe à Aix qu’elle a appelé "Lady Jane", elle porte ce nom aussi tatoué sur le bras. Contrairement aux apparences qui nous présentent François dans des vêtements de travail sur un modeste port de pêche (l’Estaque sans doute), il a monté une rentable entreprise de réparation de bateaux, marié, deux enfants. Seul René a tout flambé, il est à présent gérant d’une boite de nuit, plus au moins à la colle avec une prostituée mineure. Très vite, la bande se reforme pour aider Muriel, très vite, les habitudes de violence hors la loi reprennent le dessus, chacun des deux hommes s’en va déterrer une arme dans une cachette. Si René traîne un peu les pieds, François semble revivre, sans états d’âme, il braque une bande de voyous pour leur dérober l’argent d’un casse, plus tard, il n’hésitera pas à tuer. Pourtant, François est à la fois crédule et pas dupe. Il y a une scène entre François et René où le second demande au premier si il est toujours amoureux de Muriel et la réponse de François est terrible : il se force à être amoureux pour entendre son cœur qui ne bat plus depuis si longtemps…
Si François tente de se ranimer en reproduisant le passé, Muriel, qui avait aménagé un présent heureux, n’y fait appel que le dos au mur pour sauver son fils. Meurtrière hier, victime aujourd’hui, Muriel transforme malgré elle ses deux anciens complices en justiciers, d’ailleurs, ne les a-t-elle pas toujours manipulés? Le personnage de Muriel est opaque, bien que filmée avec amour par Robert Guédigian, Ariane Ascaride dessine un personnage opaque de femme dure, volontairement seule, passée du statut de fille défendant son père à celui de mère protégeant son fils, ayant dans l’intervalle esquivé sa vie de femme.
Film sombre tourné souvent la nuit et en hiver (le réalisateur dit qu’il voulait faire de ses personnages, engoncés dans leurs manteaux trop lourds, des fantômes), c’est plus d’un constat d’échec général qu’il s’agit que de la fin d’une amitié en particulier, c’est donc bien pire… Bien que les flash-backs sur les années 70 soient rares, le passé est omniprésent en filigrane, c’est une des grandes forces du film, un passé qui ne fait plus recette, une nostalgie dont on se passerait mais qu’on instrumentalise dans l’urgence (Muriel avec François, voire René). Les fourrures d'un hold-up que les trois délinquants offraient à tout leur quartier (première scène du film), personne ne s’en souvient…
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JP Darroussin est infiniment juste, comme toujours, et parfois bouleversant, comme dans la dernière scène où il vide son cœur à Ariane Ascaride/Muriel, sur elle, sur eux, sur la jeunesse qu’il ne retrouvera jamais, il exprime tant de souffrances qu’on est submergé par l’émotion. Car la souffrance de François n’a rien à envier à celle d’une mère dont on vient de tuer son fils sous ses yeux, il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur, voire une sorte d'équité dans le désespoir… En sortant de la projection quelqu’un disait "il n’a pas mis de politique cette fois-ci", mais n’est-ce pas ce vide sans repères ni valeurs ni héritage du passé (au profit de l’argent facile et de la satisfaction immédiate de tout) que le réalisateur décrit, le néant culturel de la politique actuelle ? Au drame intime traité sous le forme d’un film noir fait écho le drame d’une société dans âme…
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