Le billet : facebook et les autres

Publié le 03 novembre 2010 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Affiche créée et diffusée par le groupe Tea Party du Wisconsin.

Dans les années 50, la télévision évinçait nonchalamment, mais temporairement, la radio et le cinéma comme moyen de diffusion d’images et d’informations de masse. Les gens allumaient, regardaient, éteignaient. Ils ne faisaient pas grand chose sinon de toucher deux fois un bouton à intervalles irrégulières. Dans les années 2000, Facebook est le deuxième site le plus visité au monde et ses graines sont à aller chercher vers une idée saugrenue et sociale d’un jeune américain de Harvard assez visionnaire pour compiler plusieurs facteurs, un algorythme et une discussion. Tout cela pour rendre indispensable deux pages sur fond blanc et ajouter un peu plus tard un minable chat pour que les utilisateurs ne s’en aillent pas. Le tour est joué, tout le monde est présent sur la toile, sur la toile de Mark le nerd. Tout est question de connaissances, de liens, de relations, d’amitiés, de friend request (et d’hormones pour faire simple) mais, au delà de cela, Facebook rassemble. Facebook rassemble près de 500 millions de personnes, d’individus qui se sont hâtés d’entrer sur le réseau social le plus populaire au monde pour pouvoir échanger avec leurs différents cercles d’amis des informations non vitales. En même temps qu’il rassemble, Facebook est le premier réseau social à avoir largement profité du capitalisme : selon un récent classement du magazine américain Forbes, Mark Zuckerberg serait, à 26 ans à peine, la 40ème fortune mondiale avec une coquette somme dans les poches d’environ 25 milliard de dollars. Ajoutez aussi à cela quelques centaines de milliers de dollars sous ses claquettes, espèce rare de « chaussures » qu’il affectionne.

Le monde est étrange, extraordinaire, contradictoire et paradoxal. D’un côté Mark Zuckeberg, nouveau héros du dernier David Fincher, nouveau personnage au story-telling parfait. Il incarne le jeune adolescent repoussé par une fille vers l’alcool, le temps d’une soirée, qui va réussir à rassembler plusieurs centaine de millions de personnes en l’espace de quelques années sur une page comportant des caractères bleus sur un fond blanc. Au delà du fait que Mark Zuckeberg ait réussi à uniformiser nos vies et à faire de nos relations sociales des statuts de plus ou moins 140 caractères (norme de Twitter), ce jeune (celui que l’on montre du doigt dans nos sociétés actuelles, celui qui chôme, glande, casse mais est super-diplômé) aura eu un jour la bonne idée de rassembler 1/12 de la population mondiale dans un même lieu. Virtuel ou non, propre aux envies hormonales de ses utilisateurs ou non, ce lieu qui est un produit du capitalisme par excellence brasse des dizaines de cultures qui s’y retrouvent en masse et bientôt à la hauteur de géants humains tels que l’Inde ou la Chine. Voilà le résultat positif d’un petit con de Harvard qui aura réussi à créer un outil de socialisation universel, disponible partout à la fois, compréhensible par tout un chacun et formant le troisième pays au monde. Dans cette histoire, David Fincher n’y aura vu que deux procès et un être assez suffisant parlant trop vite pour en faire un film. Ici, il est lieu de comparer cet étrange outil de rassemblement qu’est devenu Facebook avec la réalité.

La formule, la fameuse.

Car l’Occident, qui aura créé ce produit Facebook, n’est en rien à l’image de cette immense communauté humaine qui se mélange et qui s’expose librement au delà des frontières, sans prendre en compte ces dernières. Rien qu’en Europe (au vu des dernières éléctions nationales, présidentielles ou législatives), sept pays possèdent un parti nationaliste et populiste ayant dépassé les 15% aux dernières élections : la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie, la Serbie. Et d’autres pays sont sur la même voie, la Suède voyant entrer un élu d’extrême droite au Parlement, les Pays-Bas faisant du parti populiste Parti pour la Liberté la troisième force politique du pays, ou encore la Belgique plongée dans un capharnaüm politique depuis la victoire des séparatistes Flammands aux dernières élections. Tout cela, selon Riva Kastoyano, procède d’un désir de « magyarité, au rétablissement du lien entre peuple, territoire et nation ». Au même moment en Russie, un institut de recherches du ministère russe de l’intérieur comptabilisait 150 groupes néonazis actifs sur le territoire en corrélation avec 370 crimes racistes au premier trimestre 2010 (+ 39%). Encourageant.

De l’autre côté de l’Atlantique, le bilan est tout aussi peu reluisant. Aujourd’hui 3 novembre se sont déroulées les élections à mi-mandat aux Etats-Unis. L’émergence de la mouvance du Tea Party – et de ses idées ultra-conservatrices – qui a vu son influence grandir depuis la réforme de la santé d’Obama est l’exemple parfait de la forme que peut prendre ce populisme américain, populisme pouvant faire croire à une population que son président est un terroriste, un musulman, un homme d’Etat comparable à Hitler. Ce parti populaire va bien au delà du « government is not the solution to our problem; government is the problem » de Ronald Reagan. Ses idées sont populistes, gangrénées par un pantin animateur de la chaîne de télévision ultra-conservatrice Fox News nommé Glenn Beck, lui même soutenu par Sarah Palin, la MILF hystérique la plus connue d’Alaska. La réponse démocrate et modérée est venue bien tardivement de la part de Jon Stewart, fameux présentateur sur Comedy Central, qui dit un jour de Glenn Beck : « C’est le type qui dit tout haut ce que pensent les gens qui ne pensent pas ». À la veilles des élections, le rassemblement démocrate de Jon Stewart fut bien faible au regard de la popularité grandissante des idées du Tea Party. Et le changement est là, les américains ont décidé de retourner la chambre des représentants en donnant notamment leur confiance en Rand Paul et Marco Rubio, deux Tea Partiers.

Ainsi, il y a Facebook, ce mastodonte de pop culture, cette envie de partager notre vie entière dans un monde virtuel regroupant des cultures très différentes provenant de plus de 180 pays. Et de l’autre côté de la barrière virtuelle, il y a cette réalité repoussante et en complète opposition avec le réseau social créé à Harvard : ici, pas de brassage, de « sociabilité », de rencontres amicales. Ici, le populisme et le nationalisme grimpent lentement en temps de crise économique des deux côtés de l’Atlantique, chacun réagissant par un populisme qui lui est propre, refermant progressivement ses frontières et fustigeant quelques minorités par ci par là. Créé par l’Occident avant la crise économique, Facebook semble malheureusement demeurer la dernière part d’humanité de l’humanité face à ces mouvances grondantes. Ces derniers et leurs idées portent plus sur des cibles que des objectifs : l’immigration, l’islam, le multiculturalisme. Selon, encore, Riva Kastoryano, « il est temps de voir émerger [...] une nouvelle forme d’organisation politique qui rassemblerait toute la diversité culturelle et nationale qu’elle incarne ». Et si Facebook en était l’incarnation primaire ?