Un seuil plancher atteint selon l’IFOP. Une rancœur de la rue qui confère à la haine. Une détestation de l’homme peut-être plus forte que celle de ses réformes : tout a déjà été dit sur l’antisarkozysme, sur ce rapport devenu épidermique entre le Président de la République et une majorité de nos concitoyens. Alors que les supputations sur le futur Premier ministre continuent de nourrir les chroniques, c’est aussi ce point qui doit être analysée : Le rapport entre Nicolas Sarkozy et les Français a basculé dans le champ de l’affect. Après l’euphorie de 2007 succède aujourd’hui une désillusion à la hauteur de l’espérance portée. Il est aujourd’hui le seul à pouvoir retisser les liens. Aucun premier ministre, si populaire soit-il ne pourra, par effet de halo, restaurer la confiance perdue entre le Président et les électeurs. C’est pourquoi l’option Borloo, qui comporte de nombreux atouts - comme Délits d’Opinion le mentionnait le mois dernier -, soulève aussi trois questions.
Le Président hypertrophie l’espace ; Malgré une plus grande parcimonie dans sa parole, qui donne incontestablement plus de force à ses propos, Nicolas Sarkozy occupe l’essentiel de l’espace médiatique, fait totalement corps avec son projet politique, reléguant les autres acteurs de l’exécutif au second plan. Comment imaginer aujourd’hui qu’il puisse tirer les fruits d’une ouverture sociale qu’il ne porterait pas lui-même. La nomination d’un premier ministre centriste qui serait pour d’autres Présidents et en d’autres circonstances un marche pied intéressant, ne fera t-elle pas ici office de négatif désavantageux ? En d’autres termes, le Président Sarkozy ne doit-il pas lui-même incarner ce virage social, plutôt que de déléguer cette séquence à un acteur sans conteste plus crédible, mais dont la filiation avec le Président n’est pas évidente ?
La seconde question n’est pas plus aisée à trancher. Après une séquence réformatrice tendue, la France a besoin d’un rassembleur. Mais n’en a pas fini avec cette envie de casser l’élite. Aujourd’hui c’est Nicolas Sarkozy qui endosse le rôle de fusible. Une situation qui doit impérativement changer. Or, quand Borloo met en avant son projet de réconciliation en vue de Matignon, il fait peut-être fait un excellent diagnostic. Mais un très mauvais calcul politique. Car il maintient Sarkozy dans le rôle du paratonnerre, celui qui est responsable de la crise et des maux de la France. La réconciliation doit venir de Sarkozy lui-même, non imposée par son Premier ministre. Ce jeu de passe-passe symbolique parait futile. Il est pourtant essentiel pour éviter que la nomination éventuelle de Borloo ne signe un désaveu du Président, et le conforte dans son rôle de défouloir.
Enfin, reste l’épineuse question de l’aile droite. Jean-Louis Borloo n’est pas le choix des électeurs conservateurs et sympathisants FN ; En conséquence, le candidat Sarkozy devra donc donner des gages à cette frange de l’électorat. Au risque de perdre un peu plus le centre tant convoité.
En 2012, c’est Nicolas Sarkozy et lui seul qui sera face aux candidats de gauche. Dans cette perspective, la répartition des rôles – le président qui contente l’aile droite, et Jean-Louis Borloo en opération séduction pour reconquérir le centre- semble boiteuse tant Sarkozy a clivé sur sa personne. Ce virage social, cette mue, le Président ne peut se permettre de l’externaliser sous peine de se désavouer. S’il venait à choisir Borloo, il n’aurait alors d’autre choix que de le vassaliser à l’extrême. Le Premier ministre devant être, aux yeux de tous, la voix et le visage du Président. Compte-tenu des caractères des deux hommes, cette péréquation est-elle seulement possible ?