Jean Dolent ou la critique elliptique.
Jean Dolent : Amoureux d'Art. Lemerre. 1888, in-12, 244 pages. Portrait de Dolent en frontispice par Bracquemond, 1 eau-forte d'Eugène Carrière hors-texte.
1er chapitre d'Amoureux d'Art. Portrait de Jean Dolent par Bracquemond1887
J'ai changé bien des fois de certitude. Je suis moins, toujours moins sensible aux effets immédiats. J'aimais, j'aime toujours le beau fracas, l'aptitude à mettre les formes en actions, le don de trouver l'accord des tons intenses. J'aime la belle matière ; mais ce qui me prend le plus fortement, c'est l'œuvre où l'artiste me mène plus loin que là où il s'arrête – où il paraît s'arrêter.
J'aime toujours : Ribot, Henner, Israëls, Fantin-Latour, Vollon, Degas, Whistler, Jongkind, Harpignies. Puvis de Chavannes, Gustave Moreau, Rodin, Eugène Carrière me passionnent. Rops est subtil. Odilon Redon est singulier. Besnard, Cazin, Uhde m'intéressent ; Dalou me récrée.
Je vois en moi. Ce que je cherche, c'est un autre moi-même, un artiste qui me ressemble en beau, aussi sensible et mieux doué. Dans cette dernière évolution d'esprit, j'ai pris l'horreur, mieux le dédain des choses circonscrites. Mon idéal : Vérités ayant la magie du rêve.
J'ai le plus vif plaisir à feuilleter un album d'artiste : - un croquis- une indication – une recherche de mouvement – d'harmonie. « C'est si peu de chose » ; ce « peu de chose » m'enchante : une attache – une main – une oreille.
Ce que je publie aujourd'hui ressemble à l'album de l'artiste. Des notes prises à l'atelier – au Musée – dans la rue (dans la rue le plus souvent). Le pêle-mêle est rassurant ; pas de déformation par une inutile mise en œuvre.
Je reste dans mon sujet : je ne sors pas de la vie.
On me dit : Vous n'êtes pas libre. Vous ne pouvez juger librement un médiocre artiste votre ami.
Je réponds : Je suis libre, et, pour garder ma liberté, je n'ai pas d'ami, médiocre artiste.
Ce petit livre est un aérostat qui quitte terre aux premières pages – avec un homme dans la nacelle.
Eau-forte d'Eugène Carrière
Cette trouvaille du samedi me permet de signaler la grande étude de
Pierre Pinchon : Jean Dolent, 1835-1909. Écrivain, critique d’art et collectionneur. Presses Universitaires de Rennes, 2010, 16,5 X 24 cm, 290 pages. ISBN : 978-2-7535-1025-8
Voir la notice consacré à Jean Dolent par le même Pierre Pinchon dans la rubrique Gendelettres du site Les Commérages de Tybalt.
Voir dans Livrenblog la réponse de Jean Dolent à l'enquête de Charles Morice sur Gauguin.