« Mammifère de la famille des équidés, sauvage ou domestique, plus petit que le cheval, à grosse tête et longues oreilles, à robe généralement grise. »
Ah ! ces oreilles…Disons, pour rester politiquement correct, que, par exubérance de cartilage et profusion de poil, l’oreille d’âne tiendrait du baroque, tandis que l’oreille du cheval, rotatif cornet bien proportionné, relèverait du classique. Différentes donc, mais bien sûr également respectables. Chacun son style, en voilà des histoires ! L’essentiel n’est-il pas d’ailleurs d’entendre quand on vous parle ?
Noé sur l’Arche aimait parler aux deux ânes, leur dire « mes frères » bien avant François d’Assise aux oiseaux. Peu sectaire, il affectionnait d’instinct ce quadrupède promis à un bel avenir dans le Nouveau Testament : assistant de nativité à Bethléem dans la misère de la paille, monture de la mère et de l’enfant en Egypte dans l’angoisse de la fuite, porteur de messie à Jérusalem dans la gloire des rameaux. Et quand le fils de l’homme s’écrie sur la montagne : « Heureux les pauvres en esprit, le royaume leur appartient », pas de doute pour moi : il inclut l’âne, règle une dette.
Tout porte à croire que la concomitance du retour de l’âne dans nos prés et du progrès de l’illettrisme dans nos classes n’est qu’une coïncidence . On se félicite autant de voir 80% d’une classe d’âge accéder au bac que le baudet ressortir de la comtesse de Ségur pour sonoriser nos campagnes.
Cet animal ne semble stupide qu’au meunier qui tient à le faire avancer quand il ne veut pas, comme le maître à faire parler l’élève qui aime se taire, ou le chef syndical à mettre le ministre autour d’une table s’il n’a pas faim. Ni l’âne ni l’enfant ni le ministre ne sont « autistes » : ils sont tenaces. Eh oui, le reproche d’entêtement est réversible, et le soupçon d’ânerie revient souvent en pleine figure de qui vous le lance à la tête.
L’idée que le bourricot raffolerait de son et de chardon procède de la même campagne de dénigrement. Donnez-lui l’herbe grasse d’un « pré de moine » ou l’avoine d’un yearling, vous le verrez ravi. Il n’est pas rustre, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Evidemment, tous les trésors d’éducation dans les meilleurs haras de Normandie ne sauraient faire d’un grison du Poitou un grand prix d’Amérique. Les gènes, ça compte aussi. Un secret du bonheur ? se connaître et s’accepter. L’âne, comme chacun, n’y parvient qu’à temps partiel. Au souvenir que Poppée se baignait dans le lait d’ânesse, il prend soudain à notre aliboron des rêves de grandeur :
Un baudet chargé de reliques
S’imagina qu’on l’adorait…
Ou tel autre âne du fabuliste, fier de porter l’argent de la gabelle, et faisant « sonner sa sonnette » : mal lui en prend, il meurt sous les coups des bandits.
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Proverbe du jour : Il n’est pas moins inepte de battre un âne bâté que de fourbir un esprit fourbu.