À l’heure où la raréfaction à venir des ressources nous amènent à échafauder de nouveaux paradigmes sociaux, il peut être bienvenu de se rappeler qu’une grande partie de ce travail a déjà été effectué il y a maintenant près de 40 ans par le docteur Gerard K. O’Neill de la prestigieuse université de Princeton. À cette époque, les exploits de Youri Gagarine et de Neil Armstrong s’inscrivaient dans l’histoire récente et laissaient penser que l’espace tout entier se trouvait à notre portée. C’est dans cet état d’esprit que Gerard O’Neill échafauda son projet de colonisation de l’orbite terrestre – même si sa formation de physicien l’incitait à bien plus de prudence que beaucoup d’autres dans de telles projections.
Vue d’artiste de l’intérieur d’une colonie cylindrique (NASA Ames Research Center)
D’ailleurs, il ne se lança pas dans cette réflexion de son propre chef mais à la demande de la NASA, ce qui laisse supposer une étude du plus grand sérieux. Cependant, le problème de départ ne consistait pas à proposer un moyen de concrétiser les rêves de la science-fiction mais bel et bien à trouver une réponse à l’impasse de l’exploitation à outrance des ressources naturelles en énergie et en matières premières – une préoccupation de premier plan dans la communauté scientifique dès les années 60. La réponse d’O’Neill à cette problématique a de quoi surprendre car il propose de conquérir l’orbite proche, donc le ciel, en réponse à la disparition de minerais et d’énergies fossiles, c’est-à-dire des éléments du sous-sol…
Vue d’artiste de l’intérieur d’une colonie cylindrique (NASA Ames Research Center)
En fait, O’Neill n’avait pas perdu de vue que c’est bien au-delà de l’atmosphère terrestre qu’on trouve en abondance les matières premières et l’énergie – respectivement, dans les astéroïdes géocroiseurs et la lumière du soleil. Au contraire des panneaux photovoltaïques que nous connaissons tous à présent, la vision d’O’Neill consiste à aller chercher cette énergie là où elle ne se trouve pas filtrée par les différentes couches de gaz atmosphériques qui nous protègent d’une grande partie des rayons cosmiques, c’est-à-dire de leur puissance, mais là où elle est la plus forte – dans l’espace, où les rayonnements solaires sont bien plus abondants et surtout permanents. Quant aux astéroïdes, ils représentent une quantité de minerais bruts équivalente à plusieurs fois celle de la Terre…
Vue d’artiste de l’extérieur d’une colonie cylindrique (NASA Ames Research Center)
Mais, comme c’est souvent le cas avec la science, dont la réponse à une question amène la plupart du temps dix autres questions supplémentaires, cette solution présente elle aussi son cortège de contraintes. Les satellites chargés de récolter cette énergie exigent une maintenance permanente compte tenu de la vaste quantité de micro-débris qui pullulent dans l’orbite de la Terre ; et comme envoyer des équipes de réparation à intervalles réguliers reviendrait bien trop cher, le plus simple consiste en fait à les y installer de manière permanente – ce qui soulève un autre problème, bien plus préoccupant : l’espace restant le milieu le plus hostile à la vie qui soit, une simple station spatiale ne suffit pas…
Maquette d’une colonie de type Sphère Bernale (NASA Ames Research Center)
Bref, il faut des villes entières dans l’espace, construites à partir de minerais extraits de la Lune comme d’astéroïdes errants, et habitées par des techniciens capables non seulement de maintenir ces cités en bon état mais aussi par les éleveurs et les agriculteurs qui pourront les nourrir – sans oublier le cortège obligé de médecins, d’administrateurs, d’industriels, d’ouvriers, etc. Des villes sous forme de vastes sphères plus ou moins allongées, voire de gigantesques cylindres de plusieurs dizaines de kilomètres de long et d’une demi-douzaine de diamètre, qui génèrent une gravité artificielle en tournant sur leur axe longitudinal – par force centrifuge donc – et dont le revêtement de métal protège ses habitants des rayons cosmiques.
Vue des modules agricoles d’une Sphère Bernale (NASA Ames Research Center)
Il s’agit donc ni plus ni moins que de coloniser l’espace proche. Encore une fois, non pour flatter les rêves des auteurs de science-fiction mais pour répondre à ce qui reste à la fois le plus grand défi et la plus grande menace que connaît actuellement la race humaine. C’est une question de survie pour celle-ci en fait, c’est-à-dire – au-delà de l’aspect monumental de l’entreprise – une simple question de bon sens. Ou du moins quelque chose de cet ordre. Un défi que nous aurons à affronter un jour ou l’autre, car les ressources de notre monde tant en énergie qu’en matériaux bruts restent aussi finies que la planète elle-même (2) – et cette situation ne s’arrange pas à chaque jour nouveau, bien au contraire…
Vue d’artiste d’une colonie toroïdale (NASA Ames Research Center)
Mais si O’Neill nous explique ici, par A + B, pourquoi l’humanité doit quitter son berceau, il nous explique aussi comment y parvenir. Il ne se contente pas de poser le problème sur la table en laissant à d’autres le soin de trouver la solution. Or, les solutions techniques qu’il envisageait au moment de la rédaction de ce livre existaient déjà toutes à l’époque – autrement dit, elles appartiennent de nos jours au registre du banal… De plus, la troisième édition de cet ouvrage s’enrichit de nombreux articles par des spécialistes des technologies de l’aérospatiale (3) qui reviennent sur les idées d’O’Neill en proposant des solutions à la fois encore plus modernes et moins coûteuses.
Vue d’artiste d’une partie d’une colonie toroïdale (NASA Ames Research Center)
C’est une réalité indiscutable, du moins sur le plan strictement technique : la colonisation de l’orbite terrestre se trouve bel et bien à portée de nos mains, et il n’appartient qu’à nous de décider de la saisir pour trouver enfin la réponse à ce problème des ressources qui, autrement, pourrait bien signifier la fin de la civilisation…
La question qui s’ensuit est simple : qu’attendons-nous ?
Vue d’artiste de l’intérieur d’une colonie toroïdale
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur. ↩
(2) à moins qu’on parvienne enfin à surmonter le défi des nanotechnologies, ce qui reste un autre problème… ↩
(3) tels que Peter Glaser, George Friedman, Rick Tumlinson et John Lewis, en plus d’une introduction de Freeman Dyson. ↩
Récompense :
Prix Phi Beta Kappa en 1977, dans la catégorie Science.
Notes :
Le modèle de colonisation spatiale d’O’Neill inspira bien sûr de nombreux auteurs de science-fiction et des œuvres encore plus nombreuses, sur tous les médias : on peut citer en particulier le roman Rendez-vous avec Rama (1973) d’Arthur C. Clarke – qui connaissait personnellement O’Neill, voilà pourquoi son roman parut avant The High Frontier – ainsi que la série TV Babylon 5 (1993-1999) créée par Joe Michael Straczynski mais aussi l’anime Mobile Suit Gundam (1979) de Yoshiyuki Tomino. Le concept du « cylindre O’Neill » est maintenant devenu un élément à part entière du genre.
La première édition de cet ouvrage fut traduite en français et publiée en 1978 sous le titre Les villes de l’espace – Vers le peuplement, l’industrialisation et la production d’énergie dans l’espace (Robert Laffont, collection Les Visages de l’Avenir, 368 pages, ISBN : 2-221-00062-5).
The High Frontier: Human Colonies in Space, Gerard K. O’Neill, 1976
Collector’s Guide Publishing (3ème édition révisée), 2001
184 pages, env. 21 €, ISBN : 1-896-52267-X
- la page web du livre sur le site du Space Studies Institute
- l’avis de la National Space Society
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