Sans suite. Selon l’AFP, le parquet de Paris a classé sans suite une plainte déposée par l’association anticorruption Anticor visant une convention passée en 2007 entre l’Elysée et Publifact, la société de l’ancien journaliste Patrick Buisson, pour la fourniture de sondages. La convention d’un montant de total avoisinant 1,5 million d’euros, passée sans appel d’offres, a été réglée sous la forme de près de 130 factures. En d’autres lieux cette situation juridique anormale aurait donné lieu à des poursuites pour délit de favoritisme mais le Parquet a estimé que l’irresponsabilité pénale dont jouit le chef de l’Etat “doit s’étendre aux actes effectués au nom de la présidence de la République par ses collaborateurs“.
L’affaire remonte à juillet 2009 quand la Cour des Comptes, dans son rapport de contrôle des comptes et de la gestion des services de l’Élysée relève que la convention a été passée sans “qu’aucune des possibilités offertes par le code des marchés publics pour respecter les règles de la mise en concurrence (…) n’ait été appliquée”. Les magistrats financiers pointent la double particularité du contrat. Son caractère plus que succinct (une seule page) et exorbitant au plan financier car, Publifact ne réalise pas les sondages mais est seulement un intermédiaire entre les instituts de sondage et l’Elysée.
Loin d’être un fait isolé, la Cour met au grand jour une étrange pratique. La publication dans la presse d’une quinzaine de sondages réalisés par la structure de Patrick Buisson mais payés par l’Elysée.
Les révélations prennent tournure politique, le terme d’Opiniongate est lâché. Le PS demande alors la mise en place d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale qui sera rejetée au nom de la séparation des pouvoirs.
Il faudra attendre le 11 février 2010 et le dépôt de plainte contre X pour “délit de favoritisme” de l’association Anticor pour que l’affaire prenne une tournure judiciaire.
C’est là où la décision du Parquet devient intéressante. A l’origine, la convention incriminée a été signée par Emmanuelle Mignon , directrice de cabinet à l’époque de M. Sarkozy. Le Parquet estime toutefois que la responsabilité de cette dernière ne peut être mise en cause car elle “n’a juridiquement aucun pouvoir en propre, (elle) n’a pas de pouvoir personnel, même en cas de délégation de signature“. Il s’appuie en cela sur l’irresponsabilité pénale dont jouit le chef de l’Etat en application l’article 67 de la Constitution pour l’étendre “aux actes effectués au nom de la présidence de la République par ses collaborateurs“.
Il ne s’agit pas d’une surprise. Cette vision extensive, pour ne pas dire extra-large, de l’irresponsabilité pénale du Chef de a déjà été employée avec succès pour protéger François Pérol d’une plainte pour prise illégale d’intérêts. L’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée avait été propulsé au printemps 2009 à la tête du groupe Banques Populaires Caisses d’Epargne (BPCE) après avoir suivi directement, et même selon certaines sources initié, la fusion des deux banques lorsqu’ il était à l’Elysée.
Eric Halphen, ancien magistrat, s’avoue peu surpris de la suite donnée à la plainte de l’association Anticor dont il est président d’honneur. Dans les colonnes de Marianne 2 il lâche une vérité déplaisante : ” Ce classement sans suite du Parquet montre que les enquêtes qui concernent les proches du pouvoir ou les agissements du pouvoir ne pourront jamais aboutir ni même se déclencher dans notre pays actuellement” (…) Mais en dehors du chef de l’Etat lui-même, c’est le problème du statut du Parquet qui est posé, de la façon dont les enquêtes se déroulent. Nous sommes malheureusement un peu démunis dans l’état actuel des institutions pour déclencher des enquêtes gênantes“.
Juridiquement, et démocratiquement, la notion du périmètre Elyséen retenue par le Parquet est choquante car elle n’est pas liée à la personne du Président mais, à l’espace et aux bâtiments qui constituent et abritent physiquement la présidence. Voilà donc le palais de l’Elysée mué en sanctuaire où tout ce qui s’y passe échappe au droit commun.
La faute à la réforme constitutionnelle intervenue en 2007 en vertu de laquelle, le Président de la République jouit en raison de ses fonctions, d’une immunité judiciaire interdisant l’exercice contre lui de toute action judiciaire (civile, pénale, prud’homale) pendant la durée de son mandat.
Une situation totalement déséquilibrée car si le Président bénéficie d’une immunité très large (pas plus de poursuites judiciaires que de mesures d’enquête ou d’instruction), celui-ci peut et Nicolas Sarkozy ne s’en prive pas, intenter des actions judiciaires sans crainte de procédures à son égard.
Et pour que l’immunité judiciaire soit totale pendant la durée du mandat, la réforme de 2007 a pris soin de ne prévoir aucune procédure permettant aux parlementaires d’engager la responsabilité politique du Chef de l’Etat, par la voie de la destitution.
Avec un Parquet et un parlement aux ordres, “la poutinisation rampante ” du régime évoqué par Arnaud Montebourg en 2008 ne constitue pas un excès de langage mais une dérive bien réelle de nos institutions.
Crédit photo : capture d’écran Canal +
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