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Lingua Franca

Publié le 02 novembre 2010 par Toulouseweb
Lingua FrancaTel un virus, le franglais se propage partout, imperceptiblement.
Nous l’avons dit, répété, martelé, le monde aérospatial français massacre sa langue. Et il ne
sert apparemment ŕ rien de multiplier regrets et critiques, tout comme il est visiblement impossible d’élever le débat. Rappeler que la langue est la clef de voűte d’une culture n’émeut plus personne, tout particuličrement dans un secteur fier de sa mondialisation ŕ marche forcée. Puisque l’usage de l’anglais est devenu le seul moyen de communiquer au sein de grandes entreprises multinationales, apatrides de fait, mieux Ťmultidomestiquesť (sic !), l’excuse est toute trouvée. A force de participer ŕ des échanges, des réunions, des séminaires en Basic English, il suffit d’ętre envahi par un soupçon de paresse intellectuelle pour ne plus trouver le mot juste en français : c’est l’anglais d’aéroport qui prend peu ŕ peu le pouvoir, qui s’installe au plus profond de nos neurones.
Entendons-nous bien, une langue doit évoluer, s’adapter ŕ son temps, admettre néologismes et emprunts. Mais seulement lŕ oů ils sont justifiés, nécessaires, utiles. Prenons un exemple qui s’étale jour aprčs jour dans la presse, la campagne de publicité d’Air France vantant ses petits tarifs sur le réseau intérieur. La compagnie ex-nationale affiche fičrement l’aller simple Paris-Nice ŕ 60 euros et précise que cette offre est une initiative de Ťla navette by Air Franceť. Oui, on a bien lu, Ťby Air Franceť. Nous mettons l’agence de publicité et son client au défi de justifier cette extravagante dérive. Ce n’est pas du franglais mais une faute de goűt.
L’industrie, elle aussi, se surpasse. Le grand prix de la semaine mérite sans doute d’ętre attribué ŕ Eurocopter qui, dans le dernier numéro de sa revue trimestrielle Rotor, détaille la montée en cadence de la production du NH-90. Il s’agit, écrit le scribe maison, de Ťsérialiserť le NH-90… On se frotte les yeux, on espčre un instant qu’il s’agit d’une coquille, on croit ensuite déceler une grosse distraction pour enfin se rendre ŕ l’évidence. A Marignane, sous le soleil chaleureux de Provence, au cœur des Bouches-du-Rhône, région latine par excellence, on parle couramment le volapük.
Cette dérive, qui ne fait qu’accélérer, est accompagnée d’exceptions, bienvenues, mais qui compliquent l’analyse du problčme. On s’empressera de souligner ici les efforts méritoires de l’hebdomadaire Air & Cosmos qui, dans un environnement hostile, défend trčs honorablement le français. Par ailleurs, quelques entreprises demeurent résolument francophones et fičres de l’ętre, ŕ commencer par Dassault Aviation, tandis que d’autres sont contaminées, faute de volonté suffisante qui leur permette de résister ŕ l’envahisseur. Ailleurs, est-ce un manque de volonté ? Sans doute conviendrait-il plutôt de parler d’indifférence, de désintéręt, de paresse.
Maigre consolation, le problčme n’est pas nouveau. Robert Espérou, ancien inspecteur général de l’Aviation civile et historien réputé des ailes commerciales françaises (1), a récemment exhumé un document qui en dit long sur l’ancienneté du sujet. Il s’agit d’une Ťinstruction généraleť d’Air France, datée du 15 octobre 1956, et intitulée ŤRespect de la langue françaiseť. Le directeur général de la compagnie, Louis Lesieux, polytechnicien éclairé, dénonce l’abus d’anglicismes qui émaillent les documents de l’entreprise. Il s’explique : Ťle français a forgé les premiers mots du langage aéronautique. Nous ne saurions renier cette tradition et, encore moins, lui substituer un jargon qui risque, ŕ la longue, par son extension, de dénaturer notre langueť.
La note de Louis Lesieux, ŕ bien y réfléchir, est plutôt rassurante, plus d’un demi-sičcle aprčs sa rédaction. En effet, la langue française est toujours debout ! Signe de modernité, le récent sommet de la francophonie, tenu ŕ Montreux, nous a d’ailleurs appris que le français bénéficie d’une enviable troisičme place sur Internet. En d’autres termes, le plus moderne des outils de communication s’accommode parfaitement bien de la langue de Voltaire et de Clément Ader.
En revanche, les dangers viennent de partout, les assauts se succčdent. Et la qualité de la langue en pâtit dangereusement. Ici, il n’est évidemment pas question de retour sur investissement, de juteuses synergies, de parts de marché prometteuses, de réduction des coűts, de marges bénéficiaires saisies d’un heureux mouvement de hausse. Non, on parle plus modestement de la maničre de dire et d’écrire. Le linguiste Alain Rey évoque plutôt la notion de code social partagé. Peu importe, finalement, la maničre de l’exprimer. L’inquiétude est bien réelle.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) Auteur d’une indispensable ŤHistoire du transport aérien françaisť, Pascal Galodé Editeurs.

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