Anton Corbijn, jeune réalisateur issu du clip, avait livré avec Control, en 2007, un biopic du chanteur de rock Ian Curtis. Pour son deuxième long-métrage, changement radical de genre. The American, adapté d’un roman de Martin Both, lorgne vers le film d’espionnage psychologique. Déroutant mais séduisant.
La campagne de promotion autour de The American vend le film pour ce qu’il n’est pas. Tandis que la bande-annonce laisse augurer un film d’action raté, l’affiche, proche de l’esthétique du célèbre designer Saul Bass, rappelle La Mort aux Trousses et autres thrillers hitchcockiens. Si cette dernière comparaison n’est pas sans pertinence, The American s’inscrit en contradiction avec le concept même du thriller (to thrill en anglais : frémir), ou tout du moins avec son acceptation générale - du rythme, de l’action, du suspens. En détournant volontairement les codes du genre, Anton Corbijn prend son public à contrepieds, quitte à le frustrer, et à le décevoir.
Là où le thriller réside souvent dans une réalisation à intrigue(s), The American est construit comme un film de personnages. Voire même « de personnage » - au singulier - puisque George Clooney s’y révèle souvent seul et omniprésent. L’acteur interprète un tueur à gages en retrait(e) dans un village reculé des montagnes italiennes. Sa mission n’a rien de bien excitant : se faire oublier de ses ennemis et confectionner en toute discrétion une arme à feu. Pour le reste, on connaîtra peu de choses des risques et dangers qui se jouent : le MacGuffin hitchcockien est traditionnellement mis au service de l’action, mais Anton Corbijn transpose le procédé dans une stupéfiante immobilité narrative.
Succession de non-événements, le scénario est construit sur une étonnante symbiose entre le temps et l’espace, entre un tueur à gages fantomatique qui s’occupe tant bien que mal et les paysages inquiétants et sinueux du décor filmé. Par sa démarche intrinsèque, The American est une « œuvre chiante » dans le sens où il ne se passe pas grand-chose à l’écran. Du mauvais « art et essai », diront péjorativement certains. Pas de réelle évolution psychologique et narrative, des enjeux dramatiques minimes : Anton Corbijn semblerait pour ainsi dire se contenter d’une réalisation sage sans oser se confronter à un réel sujet. Pourtant, il en est tout autre.
Autour de la remarquable composition de George Clooney, tout en intériorité, The American constitue un portrait méditatif particulièrement audacieux et maîtrisé de son personnage principal en s’attaquant à un défi ambitieux : comment dresser un portrait psychologique par l’unique forme visuelle ? Anton Corbijn y répond sans dialogues ni grandes scènes d’action, mais avec les outils qu’il maîtrise le mieux : le sens du cadre et la composition de l’image. L’équilibre des plans et la photographie, souvent saturée et lugubre, constituent un univers qui incarne totalement le personnage. Le dispositif cinématographique mis en place est entièrement dévoué à cette œuvre, si bien que même les rares scènes d’action, en soi peu inspirées, semblent n’exister que pour souligner l’indifférence et le renoncement d’un tueur mélancolique et antipathique.
Anti-thriller expérimental, The American mérite d’être vu, ne serait-ce que parce qu’il apporte la preuve que le cinéma n’est pas que du dialogue et de l’action. Il peut même trouver toute son essence dans l’immobilité d’une situation, d’un décor, d’un personnage. Anton Corbijn y parvient remarquablement.
En salles le 27 octobre 2010
Crédits photos : © Mars Distribution