Alors là, mes amis, pas question d'y aller par quatre chemins : Requiem pour un poisson est un roman passionnant. Voilà, c'est dit. Je pourrais me contenter de cette affirmation, avoir foi en ma force de persuasion, en la confiance que vous me témoignez, et en ces petits octets subliminaux que je glisse en filigrane dans mes chroniques pour appuyer mes dires, faire en sorte que vous succombiez vous aussi aux charmes des livres m'ayant amené bien au-delà du simple plaisir de lecture. Comme cela a par exemple été le cas pour le titre présenté aujourd'hui.
En 1938, au large de l'Afrique du Sud, un navire de pêche ramène à son bord un poisson pour le moins atypique : ses écailles semblent être d'un autre temps, sa mâchoire est gigantesque et ses nageoires ressemblent à des pattes. Très vite, Hélène Arundel qui travaille au museum d'histoire naturelle d'East London sait qu'elle tient là un Cœlacanthe, une espèce que tout le monde croyait disparue depuis plusieurs siècles. La question qui se pose alors est de savoir si d'autres spécimens sont toujours en circulation. Une étude plus approfondie permettrait peut-être en effet de combler les trous qui égrènent la cartographie du cycle de l'évolution.
En 1997, Marie apprend la mort d'un père qu'elle croyait déjà disparu de ce monde au lendemain de sa naissance. Ce père, biologiste de métier n'avait pas voulu s'embarrasser d'une famille. C'est cependant bien à Marie qu'il lègue l'intégralité de ses recherches, toutes portant sur l'étude du Cœlacanthe. Marie se prend au jeu, lit les carnets de son géniteur, s'intéresse de près à ses travaux et réalise que quelqu'un, quelque part, est déterminé à éliminer toute personne s'intéressant de trop près à cet animal hors du commun. Des meurtres qui font écho à ceux perpétrés près de quarante ans plus tôt.
Comment faire reposer l'intégralité d'un roman policier sur la découverte d'un poisson, fût-il rare ? La question effleure l'esprit bien sûr, mais juste le temps d'un revers de neurones. Le livre est là, les pages remplies de mots ne demandant d'ailleurs rien de mieux que de délivrer leur essence. Et quelle essence !
J'ai dit que Requiem pour un poisson était un livre passionnant. Cela se confirme, se vit même, dans la reconstitution que réalise Christine Adamo de la fin des années 30 et au-delà, que ce soit à travers l'évocation de l'Afrique du sud avec l'émergence de l'apartheid, du milieu scientifique gangrené par des questions d'ordre politiques, financières et humaines, de la passion scientifique elle-même, des pratiques et des enjeux de la pêche, ou bien même dans l'évocation du rôle et de la place de la femme au cours des sept dernières décennies.
Que ce soit par petites touches ou par le biais de descriptions ou de données plus générales, plus étoffées, sur la Recherche notamment, l'ensemble est impressionnant. Et ce, jusque dans la construction même du bouquin qui suscite quant à elle rien de moins que de l''admiration. Oui msieurs dames ! Vous avez bien lu. Parce que des histoires échafaudées de la sorte, agencées comme ici, ça vous arrache un lot d'onomatopées laudatives valant bien des discours. Difficile de ne pas penser au boulot colossal que ça a dû représenter, si colossal qu'on s'en voudrait presque de lire le bouquin en deux temps trois mouvements. En attendant le résultat est là, incontestable, servi par le style raffiné de Christine Adamo.
Cette construction, donc, pour en revenir à elle, s'articule autour d'une alternance temps anciens / temps moderne où pour chacun d'entre eux, le focus est mis tour à tour sur une quantité non négligeable de personnages - poisson compris - certains ne devant même apparaître qu'une seule fois. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, malgré ce foisonnement de points de vue, ce va et vient permanent dans le temps, le lecteur n'est jamais perdu. Il laisse venir à lui le souffle de la découverte, se dit que sur l'échelle de la vie il n'est tout compte fait que peu de chose. Il progresse en eaux profondes sans coup férir, quand bien même il est pris dans les filets d'une histoire dont il ne voudrait presque pas se dépêtrer. Je dis presque parce que Requiem pour un poisson fait partie des livres dans lequel on se fond avec plaisir. Pour sa richesse, pour son érudition qui a le mérite de n'exclure personne, mais aussi pour la curiosité qu'ils suscite alors même qu'on veut connaître le fin mot de l'histoire avec avidité. Si tout ça, ce n'est pas la marque d'un très bon roman, alors je ne sais pas ce que c'est.
Ah, pour info, je n'ai pas mis les petits octets subliminaux dont je parlais en début de chronique. Je me suis dit que ce n'était pas forcément nécessaire, non ?
Et puis j'ai la flemme.