La plupart des adversaires du bon scolaire se divisent en deux catégories. Comme dit plus haut, ceux qui se retrouvent dans la première catégorie considèrent le bon scolaire comme une menace envers le statu quo de l’éducation publique, parce qu’ils craignent que beaucoup de parents choisiraient de mettre leurs enfants dans des écoles privées s’ils avaient l’argent pour le faire. D’un autre côté, ceux qui se retrouvent dans la deuxième catégorie considèrent le bon scolaire comme un Cheval de Troie, un mécanisme au travers duquel les autorités gouvernementales seraient capables de contrôler les écoles privées.
Je crois que l’éducation publique est dans un état de désastre dont aucun racommodage ne pourra venir à bout. En conséquence j’accueillerais volontiers tout développement qui accélèrerait la fin de ce monstre qui enfreint nos libertés tout en vidant nos portefeuilles. En d’autres termes, si je pensais que les bons scolaires pouvaient abattre le système scolaire public, j’examinerais la possibilité de les soutenir, malgré mes craintes.
Cependant, ceux qui considèrent le bon scolaire comme un Cheval de Troie, même s’ils ont raison, oublient un problème plus vaste et plus important. Les bons scolaires ne sont rien d’autre qu’une autre forme du « socialisme de marché » d’Oskar Lange. Ils sont une tentative de « jouer au marché » en utilisant un matériel socialiste, quelque chose qui n’a pas réussi en Union soviétique et qui échouera à la fin ici.
Le premier véritable champion des bons scolaires fut Milton Friedman, qui a présenté l’idée dans son livre Capitalism and Freedom, en 1962, comme un système d’incitations qui pourrait accroître les occasions d’éducation pour les jeunes Américains. Il reprit cet argument plus tard dans son livre Free to Choose, qui fut un best-seller et donna lieu à une série appréciée d’émissions de télévision [cassettes disponibles chez Laissez-Faire Books, NdT]. Les bons scolaires, disait-il, rendraient compétitif un marché actuellement dominé par le système monopoliste d’écoles gouvernementales.
Les critiques de Friedman sur les écoles publiques sont pour la plupart justes. Les écoles publiques sont un monopole importun et peu maniable, et comme tous les monopoles gouvernementaux, elles échouent quand il s’agit de donner une éducation aux enfants. Pour combattre ce problème de monopole, Friedman et d’autres, plus spécialement les éditorialistes néoconservateurs du Wall Street Journal, soutiennent le système de bon scolaire. Ils affirment qu’en allouant à chaque famille un bon pour permettre de payer les cours de l’école privée, les enfants qui se trouvent aujourd’hui dans des écoles publiques en ruines auront au moins une chance décente d’aller à l’école privée.
Si cette idée semble avoir des mérites au premier abord, elle a beaucoup de défauts. Premièrement, ainsi que les critiques conservateurs et libertariens le dénoncent, les bons scolaires, étant payés par les impôts, permettraient à l’Etat de contrôler les écoles privées comme il contrôle actuellement les établissements d’enseignement supérieur qui acceptent les divers fonds, subventions ou prêts pour étudiants. Comme l’éducation élémentaire et secondaire est envore plus contrôlée par les autorités étatiques que l’éducation supérieure, il n’y a pas de doute que les bons scolaires pourraient avoir un effet destructeur sur les écoles privées, qui se retrouveraient rapidement sous la coupe du gouvernement. D’autres que moi ont souligné de façon éloquente ce problème et je vais donc passer à la deuxième série de mes objections.
Comme dit plus haut, les bons scolaires sont une tentative de créer un marché où il n’y en a pas eu. Mais, comme Ludwig von Mises et Murray Rothbard l’ont démontré à de multiples reprises, un véritable marché est impossible sans droits de propriété privée. Les bons scolaires sont des fonds gouvernementaux fournis par les contribuables. Ils ne sont pas plus une propriété privée qu’une autoroute ou le Pont de Brooklyn.
La question de la propriété privée est cruciale, car sans de tels droits de propriété, les programmes de bons scolaires fonctionneraient selon le bon vouloir des autorités d’Etat, qui pourraient modifier les règles quand il leur chante. Un régime politique pourrait favoriser un système de bons sans contrôle, alors qu’un régime ultérieur pourrait demander des justificatifs voire vider complètement le programme, si les syndicats de professeurs le réclamaient.
Au contraire de l’argent que les parents, comme moi, ont utilisé pour payer les cours des enfants à l’école privée, l’argent en bons viendrait de l’Etat. Lorsque le gouvernement me taxait pour payer les écoles publiques, au moins il ne pouvait pas m’empêcher de dépenser le montant que je voulais pour les cours. C’était mon argent, ma propriété.
Ce ne serait pas le cas avec les paiements par bons scolaires. Comme ces bons ne sont pas la propriété privée des individus, leurs usages seraient limités par des autorités gouvernementales qui sont redevables auprès de groupes d’intérêts spéciaux ne se préoccupant pas des droits des familles.
Comme Mises et Rothbard l’ont souligné, sans droits de propriété privée le calcul économique devient une comédie d’erreurs. Deux scénarios possibles émergeraient dans le sillage d’un nouveau système de bons scolaires. Premièrement, la nouvelle monnaie parvenant sur le marché des écoles privées conduirait sans aucun doute à faire monter le prix des cours, laissant ainsi de nombreuses familles toujours incapables d’envoyer leurs enfants à l’école de leur choix. La hausse du prix des cours alimenterait également la fureur des politiciens qui accuseraient vraisemblablement les écoles privées de pratiquer l’extorsion, les rendant une cible plus facile pour une future réglementation non désirée et malavisée.
Deuxièmement, l’injection d’argent supplémentaire pour l’éducation conduirait à la création d’un certain nombre de petites « startups de l’éducation », certaines étant légitimes, mais beaucoup d’autres étant des opérations douteuses. Tout comme les mauvais investissements qui frappent les marchés du capital lorsque le gouvernement crée de nouveaux crédits à partir du vide, nous verrions rapidement de nouveaux gaspillages pour des établissements d’éducation qui, autrement, n’auraient jamais ouvert leurs portes. Il ne faudrait pas attendre longtemps avant que les adversaires les bons ne saisissent cette situation malheureuse pour convaincre les autorités politiques de tomber à bras raccourcis sur les écoles privées.
Et finalement il y a la perspective de la « théorie de la capture » elle-même. Comme les économistes l’ont montré, les firmes règlementées sont rapidement capables de « capturer » le processus de réglementation pour transformer cette dernière en barrière à l’entrée, qui repousse les autres entreprises hors du marché.
Un tel scénario est fort probable si les bons scolaires venaient à s’étendre. Les syndicats d’enseignants et les directions des écoles plubliques s’opposeraient tout d’abord aux bons, mais comprendraient ensuite comment l’afflux d’argent public peut leur donner plus d’influence sur le fonctionnement des écoles privées. Très probablement, elles formeraient des alliances avec les écoles privées les mieux installées et ne voulant pas entrer en concurrence avec des startups, et elles trouveraient des moyens de créer des dommages à leurs rivales ou de les éliminer totalement des affaires.
En d’autres termes, si l’idée des bons scolaires sonne bien pour ceux qui pensent avec raison que le monopole de l’école publique doit être mis en question, les programmes pour les mettre en oeuvre ont trop de défauts. Les bons ne créent pas les conditions d’un véritable marché parce qu’ils ne sont pas une propriété privée. Au contraire, comme l’idée de Lange du « socialisme de marché », ils sont une demi-mesure qui enfermerait en définitive les écoles privées dans un piège pire que celui qui existe aujourd’hui.
article du 19 septembre 2000 paru sur le site du Mises Institute
traduit par Hervé de Quengo