ETATS-UNIS
1993 et 2006
Jay McInerney est avec, Bret Easton Ellis, le principal membre de la "Brat Pack", ce mouvement littéraire des "sales gosses" des années 80, fréquentant les nuits branchées de Manhattan et faisant le portrait de cette génération dans leurs romans : argent facile, sexe, drogue, soirées mondaines à n'en plus finir.
Cela donna le portrait désabusé des yupies, ces jeunes cadres dynamiques branchés de Manhattan qui pètent un cadre, le plus célèbre étant Patrick Bateman, le cadre tueur en série d'American Psycho.
Ces écrivains drogués des nuits folles de Manhattan ont poussé la médiatisation à outrance ; Jay McInerney, ayant vendu deux millions de titres de Journal d'un oiseau de nuitse déguise en tortue ninja sur les plateaux télés....
Mais ne voir que cet aspect foldingue de l'écrivain serait vraiment passer à côté d'un grand écrivain. Ce côté scandaleux (il s'est assagi depuis !) ne doit pas faire oublier que c'est un chroniqueur admirable, un portraitiste de talent et qu'il a sans aucun doute écrit la comédie humaine new-yorkaise des années 80/2000.
Cette comédie humaine est vue à travers le regard d'un couple de trentenaires romantiques, Corrinne et Russel Calloway, la princesse et le prince qui ont tout pour être heureux ; c'est le couple envié par tout le monde. Venant de "province", ils vont tout faire pour gravir les échelons. Elle est courtière, lui travaille dans une maison d'édition. Mû par une ambition folle, il a décidé de lancer une OPA pour racheter la boîte. C'est l'époque de Reagan, du fric facile, des spéculations boursières....
Mais la chute n'en sera que plus dure....
Splendeurs et misères d'un couple dans le vent. Chronique d'un échec annoncé...Il s'agit bien sûr d'une chronique satirique de cette époque. McInerney scrute à la loupe les soirées mondaines à n'en plus finir où se côtoient sexe, argent et drogue.
Mais si satire il y a, elle est profondément atténuée par la sympathie qu'éprouvel'auteur envers ses personnages. Ce couple, on le sent bien, est fragile, sensible, ils s'interrogent sur leur avenir et le bien-fondé de leurs actions. C'est Corrinne qui, la première, plutôt dépressive, a un regard très critique sur ce milieu.
On pense à l'influence de Scott Fitzgerald, dont McInerney est un fervent admirateur.
Nous retrouvons ce couple 15 ans plus tard en ....2001. Ils ont eu des enfants, ils ont un loft à Tribeca, ils fréquentent le Manhattan de l'Upper East Side. Nous sommes le 10 septembre 2001 au soir
11 septembre : gros blanc. McInerney choisit de ne pas décrire l'attentat.
Ce qui l'intéresse, c'est l'après et les répercussions de l'événement sur une population hyper favorisée, blasée de tout, qui court de galas en galas. On se trompe, les filles se droguent...
Dans ce cataclysme, Corrinne va rencontrer Jim, un courtier qui a tout envoyé valdinguer quelques mois avant, qui cherche à refaire peau neuve. Ayant échappé de peu aux attentats, étant en retard à un rendez-vous au Windows of the world", il tombe sur Corrinne dans les ruines fumantes, alors qu'elle est venue faire du bénévolat pour nourrir les secouristes.
Et là, se profile l'horizon d'une nouvelle vie, loin de la vacuité des soirées mondaines.
Une éclaircie mais aussi la culpabilité qui est toujours là, qui vous hante. Evitant toute mièvrerie, l'auteur signe un chef d'oeuvre de mélancolie. On pense tout de suite au nouvelliste hors pair John Cheever qui lui, a chroniqué le malaise de la classe moyenne dans les banlieues américaines, la possibilité du bonheur entrevu et puis le renoncement final...
Inerney, c'est du Cheever dans le centre de Manhattan.
Il scrute, avec tendresse et délicatesse, la blessure, le renoncement, les regrets. Magnifique oeuvre romanesque et très belle histoire d'amour impossible.