ROMAN HISTORIQUE
Paris, 1938. D'origine alsacienne, parfaitement bilingue, Edouard Kiefer, ancien poilu, ex-RG, est le détective chargé de la sécurité du seul palace de la rive gauche, le Lutetia. D'une rigueur et d'une conscience professionnelles transmises de son père, il en connaît tous les secrets et les recoins, se faisant le plus discret possible, et a pris la manie de confectionner pour chacun sa petite fiche, client comme employé prêt à être embauché. Hautes figures littéraires et artistiques (James Joyce, Matisse, Albert Cohen) y côtoient le menu gratin jusqu'à ce que l'Abwehr, sous l'occupation, prenne possession des lieux. Lorsqu'enfin l'hôtel se trouve libéré de ces indésirables, il est réquisitionné pour une toute autre tâche, qui le lave de ce passé fâcheux, celle d'accueillir les "rapatriés", comme on nommait alors les déportés revenus des camps...
Au début, on a comme l'impression d'anecdotes mises bout à bout, comme des pièces de puzzle s'assemblant logiquement pour constituer un roman, comme la formidable reconstitution de la vie intérieure d'un monde à part, celui d'un palace. Puis l'Histoire prend le pas sur l'histoire fragmentée, sur le récit anecdotique, et le Lutetia s'ancre véritablement dans l'Histoire, le protagoniste fictif étant utilisé comme spectateur-pivot de cette évolution, comme dépositaire de ces portraits de passages, bien réels, de ces fragments de vie recueillis. On assiste ainsi à la résurgence de personnages avant, pendant et après la guerre, plus que jamais vulnérables et perméables au travers de ce lieu mythique solide comme l'airain qui traverse le temps et leur devient cher / chair, comme une part d'eux-mêmes. On reste béat d'admiration par la somme de documentation et d'informations qu'a dû réunir Pierre Assouline pour faire surgir ce beau roman historique.
Les raisons de son choix pour le Lutetia dans ses entretiens.
ASSOULINE, Pierre. – Lutetia. – Gallimard, 2005. – 438 p.. – ISBN 2-07-077146-6 : 21 €.