Les pilotes de ligne français sont ŕ nouveau de trčs mauvaise humeur.
Il y a grčve et grčve. Sans prendre parti, sous approuver ou désapprouver l’expression d’un mécontentement ou les méfaits d’un différend, force est de constater qu’en France, la culture de la grčve est constamment portée ŕ son paroxysme. Ces jours-ci, on évoquerait moins difficilement ce travers si le pays ne sortait de mouvements sociaux difficiles, violents, gęnants, qui n’ont pas changé le cours de l’histoire, pire, qui n’ont servi ŕ rien. Alors que la situation est ŕ peine calmée sur le front des retraites, voici que les pilotes de ligne nous font une Ťrechuteť, adoptant un comportement dont nous pensions qu’il faisait résolument du passé.
Pour résumer, ils sont de trčs mauvaise humeur ŕ l’idée que l’on puisse taxer comme avantages en nature les billets gratuits qu’ils obtiennent de compagnies qui ne sont pas leur employeur. Ou encore les tarifs préférentiels que leur offrent des chaînes hôteličres, des loueurs de voiture et des gestionnaires de parkings d’aéroport. Admettons ! Mais de lŕ ŕ déclencher une grčve d’une durée de quatre jours, conjointement avec l’intersyndicale des personnels de cabine, il y a de la marge, un grande marge.
La position trčs dure adoptée par le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL, alias France Alpa) apparaît tout ŕ fait disproportionnée par rapport ŕ la Ťmenaceť en męme temps qu’elle témoigne d’un manque de sens des responsabilités. Le pavillon aérien français sort trčs lentement, pas ŕ pas, d’une coűteuse récession, la concurrence se raidit, l’éruption volcanique sans précédent d’avril a fait de sérieux dégâts, tout comme les mouvements sociaux de ces derniers jours. Bien sűr, on peut comprendre que pilotes et PNC veuillent s’opposer sans attendre ŕ l’un des articles du projet de loi 2011 de financement de la sécurité sociale puisque telle est l’actualité parlementaire et sénatoriale.
En revanche, on a du mal ŕ comprendre que cette opposition puisse justifier une grčve de quatre jours. Tous les arguments auraient-ils déjŕ été épuisés ? Le lobbying, les démarches tous azimuts n’auraient-ils servi ŕ rien ? Ou, tout au contraire, cette grčve aurait-elle pour principale justification de rappeler aux politiques que les pilotes, bien qu’ils constituent un électorat infinitésimal, sont capables de gripper la plus puissante des machines ?
Au moins ce mouvement disproportionné, sorte de rouleau compresseur sorti du hangar pour écraser une mouche, aura-t-il le mérite de relancer un débat aussi vieux qu’Air France elle-męme. A savoir que les pilotes de ligne français refusent systématiquement de se glisser dans le moule, d’entériner les rčgles générales. Qu’ils soient nombreux ŕ habiter au Sud de la Loire, bien que leur port d’attache soit en Ile-de-France, constitue déjŕ un bien beau privilčge. Ils montent réguličrement ŕ Paris, gratuitement, pour prendre leur service : c’est aussi simple que cela. Et l’administration fiscale n’y trouve évidemment rien ŕ redire.
Quand il s’agit, non pas de monter ŕ Orly ou Roissy pour travailler, mais pour partir en voyage personnel ŕ bord d’un avion d’une compagnie tierce, gratuitement ou presque grâce ŕ des échanges de bons procédés, c’est tout autre chose. Tout comme les tarifs préférentiels en amont et en aval du voyage. Ce sont bien des avantages, dont bénéficient, quoi qu’ils en disent, des privilégiés de la vie dont les grilles salariales sont enviables. C’est lŕ un constat, et non pas un reproche : les lourdes responsabilités des pilotes, les grandes exigences de leur profession justifient leurs rémunérations confortables. Il n’est męme pas besoin de faire appel ŕ une quelconque notion de corporatisme pour justifier de tels droits acquis.
Reste le fait que cette grčve de quatre jours vient tout simplement trop tôt ou trop tard. Qui plus est, elle n’est pas dirigée contre Air France et les autres compagnies françaises mais vise le gouvernement. D’oů le souhait, soit dit en passant, que le Ťnouveauť gouvernement que prépare le Président de la République s’enrichisse d’un vrai ministre des Transports. Entre-temps, le SNPL devrait expliquer, argumenter, alerter, mais certainement pas mettre d’autorité des avions au sol.
Reste ŕ envisager une autre éventualité, celle d’un échec de cette grčve prévue du 5 au 8 novembre. Si elle était peu suivie, les pilotes, ceux de la Ťbaseť, témoigneraient d’un sens des responsabilités plutôt rassurant. Ils contribueraient aussi ŕ redorer le blason de la France qui, pendant plusieurs semaines, vient de projeter ŕ l’étranger une image déplorable. Ce n’est plus comme cela qu’il faut s’y prendre, dans les cockpits, pour faire entendre sa voix.
Pierre Sparaco - AeroMorning