Dans un pays comme la France qui voit son Etat ponctionner encore et encore toute activité un tant soit peu prospère, il était heureux que ce statut de JEI permette tout de même un petit répit aux entrepreneurs dans la phase très délicate de lancement d’une entreprise, dont la mortalité infantile est très élevée notamment dans les secteurs très concurrentiels comme celui d’Internet, des NTIC, des biotechnologies, etc. Mais c’était sans compter Nicolas Sarkozy et sa majorité UMP : l’article 78 du Projet de Loi de Finance 2011 propose d’entamer largement ce statut de JEI, et supprimer ainsi les exonérations fiscales qui écrasent les entreprises en création.
Olivier Ezratty, spécialiste de l’innovation et de l’entrepreunariat high-tech en France, s’est fendu d’un article extrêmement détaillé et argumenté sur ce sujet; on y découvre bien évidemment une analyse de l’article 78, mais l’auteur revient aussi sur la façon dont Bercy a étudié les dispositifs d’aide à l’innovation pour concevoir le Projet de Loi de Finance. Les aides comme le Crédit d’Impôt Recherche, bénéficiant essentiellement aux grandes entreprises, ont été pour l’essentiel préservé grâce au lobbying de ses bénéficiaires. Les investisseurs en capital, représentés par leurs association professionnelle l’AFIC, sont parvenus à préserver la niche fiscale sur les Fonds Communs de Placement dans l’Innovation. Les « petits » entrepreneurs de sociétés innovantes, sans lobby, ne sont pas parvenus eux à conserver le statut JEI.
Ainsi, cette affaire, pas encore finie puisque la Loi de Finance n’a pas encore été votée, permet d’amener un certain nombre de questions. En France, est-il possible d’entreprendre, d’innover, lorsque le cadre législatif et fiscal peut changer du jour en lendemain? En effet, le statut de JEI est ici remis en cause moins de 5 ans après sa création, or, pour fixer les idées, une entreprise de biotechnologie a besoin d’entre 10 et 15 ans pour mettre au point une molécule thérapeutique. Si chaque jour, un entrepreneur ouvre son journal en se demandant quelle nouvelle règle fiscale ou du droit du travail a changé, peut-il planifier, prévoir, investir? L’Etat, censé être le gardant absolu du long terme, apparaît ici tel qu’il est réellement, à savoir une entité gérée par des hommes politiques court-termistes. Cet Etat rajoute un élément d’incertitude pour les entrepreneurs, qui évoluent pourtant dans un environnement qui n’avait pas besoin d’être encore complexifié.
Autre question : un jeune acceptera-t-il de prendre, demain, le risque de se faire embaucher dans une petite entreprise, si il sait que l’environnement de son employeur potentiel est aussi instable? Ne préférera-t-il pas tout simplement entrer dans un grand groupe français à la papa, ou pire encore pour le pays ne voudra-t-il pas tout simplement aller travailler à l’étranger, où le dynamisme, la prise de risque, et l’innovation sont récompensés à leur juste valeur en tout cas pour de nombreux pays?
Enfin : l’actuel gouvernement peut-il désormais se présenter en champion des petites entreprises, de l’innovation, lorsqu’il se montre faible avec les forts (les lobbys industriels) et fort avec les faibles (les « petits » entrepreneurs, plus occupé à travailler qu’à hanter les couloirs de Bercy)?
Les réponses sont malheureusement évidentes : non, un entrepreneur ne peut créer et investir sereinement si il redoute que l’Etat change les règles du jeu du jour au lendemain; non un jeune ne se fera pas embaucher par une jeune entreprise, puisque le risque qu’il prend sera de toute façon découragé par le fisc; enfin, non, le gouvernement n’a jamais été, n’est pas, et ne sera vraisemblablement jamais du côté des entrepreneurs.