Française des Trésoriers d’Entreprise) et Responsable de la Division Trésorerie et Financements Intra-Groupe chez EDF. Dans un entretien exclusif, il nous livre son analyse sur l’avancement des projets de migration pour les entreprises facturières et sur les difficultés qu’il reste encore à lever.
En quelques mots, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre parcours personnel, ainsi que vos fonctions au sein d’EDF et de l’AFTE ?
J’ai rejoint EDF en 1980, après deux ans passés dans la banque. J’ai d’abord évolué au sein des départements systèmes d’information, comptabilité, et audit interne. En 1993, j’ai intégré la Trésorerie. Aujourd’hui, j’occupe le poste de Responsable de la Division Trésorerie & Financement Intra-Groupe. Ma mission consiste notamment à gérer l’ensemble des flux d’encaissement et de paiement, à centraliser la liquidité du Groupe et à fournir l’évolution de la position de trésorerie globale à la salle des marchés du Groupe.
Je suis également Président de la Commission SEPA au sein de l’AFTE. La Commission SEPA est composée de représentants de différentes entreprises intéressées par le sujet. Elle a en charge les relations avec les différentes parties prenantes : CCSF, CFONB, FBF, administrations, entreprises, etc… Mon rôle consiste à organiser et animer les débats portant sur les enjeux et défis soulevés par le passage au SEPA.
Initialement prévue en novembre 2009, l’introduction du SDD a été repoussée d’un an en France. Les obstacles rencontrés ont-ils pu être levés à ce jour ? Combien d’entreprises prévoient d’émettre des prélèvements SDD au 2 novembre 2010 ?
Pour les entreprises facturières, la gestion des mandats de prélèvement est au cœur des questions liées au SDD. Il subsiste encore aujourd’hui des freins majeurs à la migration, à commencer par le décalage entre les objectifs initiaux du SDD et la réalité opérationnelle observée dans les projets de mise en œuvre. Les instances européennes ont présenté le SDD comme une opportunité pour les entreprises de réaliser des économies substantielles, notamment via la dématérialisation des échanges. Cela aurait du être les cas pour les mandats, qui remplacent les actuelles autorisations de prélèvement. Mais force est de constater que les économies sont difficilement réalisables avec les règles actuelles : la gestion du mandat a été reportée sur le créancier, mais sa dématérialisation reste difficile, voire impossible dans la pratique.
La dématérialisation du mandat nécessite en effet le fonctionnement opérationnel de la signature numérique sécurisée, mais la France n’a pas encore concrétisé son projet INES (Identité Nationale Electronique Sécurisée) qui prévoit d’intégrer un dispositif d’authentification forte dans une carte d’identité électronique, semblable à celles déjà utilisées en Belgique. La valeur probante du mandat reste donc assujettie à la signature manuscrite. La seule preuve tangible, le seul document qui fait foi aujourd’hui, dans le cadre des nouvelles règles SEPA, c’est le mandat papier.
A ce jour, en France, seulement 75 entreprises ont fait la demande d’un ICS (Identifiant Créancier SEPA)[1] auprès de la Banque de France. Il y aura donc probablement quelques avant-gardistes, mais la majeure partie des entreprises représentées à l’AFTE, dont EDF, ne souhaite pas émettre de SDD tant que des solutions ne seront pas mises en place.
Le modèle de e-mandate proposé par l’European Payment Council (EPC), comportant une authentification forte via le site de e-banking du payeur, peut-il constituer une alternative ?
L’e-mandate[2] de l’EPC pourrait, en effet, être un outil au service du SDD. Mais celui-ci suppose une interface avec le site de la banque du débiteur. Malheureusement, c’est un service optionnel que les banques offrent à leurs clients, et ne constitue pas une caractéristique obligatoire du système de prélèvement SEPA. Nous ne sommes donc pas certains que ce système puisse fonctionner efficacement si nous n’avons pas la garantie que la majorité des 250 banques françaises qui gèrent les comptes de nos clients adhéreront au e-mandate.
Aujourd’hui, quelques banques proposent déjà des services qui s’apparentent à l’e-mandate. Cependant, ces offres ne correspondent pas à la version officielle de l’EPC et s’il nous faut gérer autant d’alternatives au e-mandate qu’il y a de banques, nous ne serons probablement pas en mesure de mettre en place un système de gestion efficient.
A l’heure actuelle, quelles pistes peuvent être envisagées pour débloquer la situation et permettre un redémarrage des projets SEPA ?
La semaine passée, l’AFTE a adressé à Christine Lagarde un courrier qui expose les difficultés que rencontrent les entreprises qui mettent en place des projets SDD. Plus précisément, il met en exergue deux points de blocage majeurs : d’une part, un scepticisme grandissant face à la dématérialisation du mandat, et d’autre part, l’absence de end date officiellement applicable aux moyens de paiement nationaux. L’absence de date de fin constitue en effet un frein à la migration vers le SDD, car les priorités des entreprises sont de ce fait reportées sur d’autres sujets et le resteront tant que le débat ne trouvera pas une issue claire et définitive. D’ailleurs, un certain nombre de projets SDD ont été mis en stand-by dans les entreprises, ce qui entraîne des rotations d’équipes et donc une dispersion des compétences.
Cependant, dans notre courrier, nous nous attachons aussi à proposer des solutions. Nous avons ainsi présenté trois pistes de déblocage : redéfinir le statut du e-mandate en le rendant obligatoire pour toutes les banques, alléger le processus d’authentification ou mettre en place un système d’authentification forte avec l’introduction de la carte nationale électronique d’identité sécurisée. Mais cette dernière option semble moins adaptée étant donné le temps nécessaire à l’équipement de l’ensemble de la population française, d’autant que cela ne résout pas le problème pour les clients étrangers. C’est pourtant l’objectif du SEPA de pouvoir utiliser les mêmes moyens de paiement dans les 32 pays concernés.
D’un point de vue plus général, la mise en place du SDD implique de lourds investissements. Quels bénéfices les entreprises facturières peuvent-elles attendre en retour ?
Je ne veux pas passer pour un « SEPA sceptique ». La mise en place du virement SCT permettra des gains rapides pour la plupart des acteurs concernés : particuliers, commerçants, entreprises et administrations. D’ailleurs EDF s’est engagé depuis 2008 dans cette voie et a été le premier acteur du marché à s’être lancé dans le virement SEPA. Mais contrairement au SCT, nous n’imaginons pas que le SDD puisse bénéficier d’un ROI rapide.
A court terme, le SDD coûte beaucoup d’argent sans gain à mettre en face. Si nous observons les gros émetteurs de prélèvements de la place, nous constatons qu’il s’agit essentiellement d’entreprises nationales qui prélèvent sur leur territoire. C’est pour cela que les entreprises cherchent, en général, à intégrer le passage au SDD dans des projets plus vastes et dont le ROI est à la fois plus certain et plus rapide. Chez EDF par exemple, la mise en place du SDD est intégrée au projet de rénovation de notre centrale d’encaissement, afin que le coût du SEPA puisse être contrebalancé par les gains globaux du projet.
Lors des différentes études de place menées sur le sujet en amont du lancement, les coûts de la migration n’ont pas été correctement évalués, les risques non plus. Les processus sont lourds, coûteux, et intégralement à la charge des entreprises facturières. En fait, le principal facteur de retour sur inversement serait une baisse significative des commissions interbancaires. Mais ce sujet est en réalité indépendant du SEPA. Pour des grands facturiers, il faut compter de 2 à 3 années de projet afin de mettre en place un dispositif complet SDD.
Parmi ces coûts élevés, on parle assez peu souvent des impacts organisationnels, en termes d’adaptation des processus de gestion et de coûts d’exploitation récurrents. Quelle est votre analyse à ce sujet ?
Beaucoup d’échanges avec la clientèle sont aujourd’hui dématérialisés, notamment lors de la souscription des contrats (internet, téléphone). Il y a donc de moins en moins de contacts physiques avec le client particulier, et il devient souvent plus difficile d’obtenir un mandat papier à l’instant de l’ouverture du contrat. Actuellement nous optons pour des règles de fonctionnement souples afin de fournir un service le plus rapidement possible au client. Demain, les règles du SDD nous imposeront un fonctionnement plus rigide, qui pourrait conduire le client à opter pour d’autres moyens de paiement, offrant moins de garanties aux entreprises. Nous craignons donc que la réglementation SEPA n’entraîne une chute significative du taux de clients domiciliés. Ceci est notamment vrai chez EDF, où nous observons une rotation annuelle des contrats clients de l’ordre de 10%, par le biais des déménagements.
La gestion du contentieux est également un point d’attention. En effet, la réglementation SEPA implique le passage d’une régulation a priori, par une autorisation préalable vérifiée par la banque émettrice, à une régulation a posteriori, par une extension des droits de contestation du client. Si nous pensons être en mesure d’industrialiser la gestion des contentieux avec les grandes banques nationales et internationales, nous doutons néanmoins de notre capacité à traiter efficacement et rapidement les litiges avec les clients dont les comptes sont domiciliés dans des banques régionales et établissements de plus petite taille.
Par ailleurs le délai de contestation élargi jusqu’à 13 mois après le prélèvement, prévu par la Directive sur les Services de Paiement, augmente considérablement le niveau de risque. Le pourcentage de contentieux étant par conséquent voué à augmenter, nous devrons mettre en œuvre des moyens organisationnels coûteux pour attester de la conformité du prélèvement. En outre, nous courons le risque de voir les refus de prélèvement augmenter. La liberté donnée aux banques de débiteurs de pouvoir refuser de prélever, en prenant systématiquement partie pour leur client, est au cœur de nos inquiétudes. Ceci est d’autant plus préoccupant que les associations de consommateurs semblent globalement hostiles au modèle de prélèvement SEPA.
La délocalisation du traitement des prélèvements vers des pays européens aux conditions plus avantageuses, ou bien la création d’un établissement de paiement mutualisé, sont-elles des options envisageables pour les grands facturiers afin de traiter leurs remises à un coût plus compétitif ?
Je ne pense pas que ces alternatives soient suffisamment rentables pour étouffer le coût du passage au SDD. L’émergence de nouveaux modèles économiques n’est pas à l’ordre du jour selon moi, même si cela reste possible.
Ce n’est pas le coût de traitement qui pèse lourd aujourd’hui, mais plutôt les commissions interbancaires. Ces dernières années, le volume des prélèvements a explosé, ce qui se traduit par des gains de productivité conséquents. Pourtant, les 0,122 euros de commission s’appliquent toujours en France et n’ont pas varié depuis des décennies malgré cette explosion des volumes de prélèvements. Aussi, l’AFTE souhaite que les commissions facturées soient ajustées sur les coûts de traitement réels, mais aussi que chaque créancier puisse négocier bilatéralement avec chacune de ses banques les conditions qui lui sont applicables.
Plus généralement, quel est votre ressenti par rapport au SEPA dans son ensemble ? A terme, représentera-t-il une avancée positive au niveau européen ?
Comme je l’ai déjà évoqué, le virement SCT constitue une avancée favorable et répond à un besoin avéré. Si les volumes sont encore faibles en France, ils devraient décoller dans les mois à venir. Par exemple, les administrations ont beaucoup travaillé sur le SCT et leur migration est imminente. Cela représentera un levier significatif et le virement national pourra certainement être abandonné dès 2012. En revanche, le prélèvement touche essentiellement aux habitudes nationales et est très hétérogène d’un pays à l’autre. Les besoins en prélèvement internationaux étant relativement limités, l’intérêt du dispositif est moins perceptible.
De plus, à la genèse même du projet SEPA confié aux banques au travers de l’EPC (European Payments Council), les parties prenantes n’ont à mon sens pas été suffisamment consultées lors de la définition des nouveaux moyens de paiement. Certains points bloquants auraient pu ainsi être anticipés et la légitimité de l’EPC ne serait pas contestée comme elle peut l’être aujourd’hui.
A noter que la mise en place du SEPA en France coïncide avec l’abandon des infrastructures X25 de France Telecom et la fin des protocoles de transmission Etebac 3 et 5. Cela ajoute une complexité supplémentaire, notamment auprès des entreprises de plus petite taille.
Tags :