A Paris se tient jusqu’au 9 novembre une exposition sur ‘Le visage dans tous ses états’ au Réfectoire des Cordeliers, en plein Quartier latin (entrée libre !). Elle n’est pas grande, se visite en une demi-heure et vaut le coup d’œil. Le Gamin, fan de dessin et de formes, l’a beaucoup aimée.
Il n’y a que des visages dans cette exposition tout entière à eux dédiée. Les voûtes profondes du réfectoire sont comme les cieux qui abritent la diverse multitude. Tous les arts sont convoqués, de la peinture à la sculpture, de la poterie à la photo ; toutes les époques sont présentes, de l’art premier à l’art contemporain en passant par l’art classique ; tous les pays sont réunis et se contrastent. L’exposition ne masque pas une ambition encyclopédique en une centaine d’œuvres. Tout dire et refléter la diversité des manières.
Le fil conducteur est presque philosophique, mais pas pesant car les panneaux explicatifs sont laissés petits et dans l’ombre ; ne les lit qui veut. Les autres iront d’une face à l’autre, enchantés par les expressions. Le sculpteur Mauro Corda est à l’honneur, avec ses grandes résines superbement mises en scène par l’éclairage tombant. Mais c’est le photographe Patrick de Wilde qui accueille les visiteurs avec ses portraits d’ailleurs : un vieux musulman, un gamin moine en Mongolie, une femme indienne.
Le visage fait exister. Il fait de vous dans le regard des autres une femme, un homme, un éphèbe, un vieillard ou un enfant. Il vous dit la race, l’ethnie et même la tribu pour qui sait lire les signes scarifiés ou les peintures rituelles. Le maquillage contemporain n’est en cela que peinture de guerre des executive women de la mode ou des affaires. L’homme reste visage nu, dans l’altière vérité de la lumière rationnelle grecque reprise par les Lumières. Même mort, les visages de défunts permettent le souvenir, donc la lignée des ancêtres. Ils relient le présent ici-bas à l’avenir au-delà, ils disent les structures du squelette, la matrice des formes qu’on retrouve chez les enfants et petits-enfants. Des résines en miroir montrent les deux faces, l’interne et l’externe. Ce n’est pas pour rien qu’une carte d’identité comporte toujours une photo tête nue. Les dieux mêmes ont le visage des hommes.
Le visage reflète l’âme, cet intérieur mystérieux que l’autre aimerait bien percer. Ce qui est visible permet-il de lire l’invisible ? ‘Le comédien’ de Mauro Corda a le visage de marbre, mais un visage en creux anime son ventre en fonction de votre mouvement et de la lumière : il prend toutes les formes, il est théâtre. Nombreux sont les physionomistes, les diseuses de bonnes aventures ou les jeteurs de sorts, les limiers de police, les commerciaux souhaitant convaincre, les médecins ou les psys souhaitant guérir, les professeurs face à une classe, qui cherchent à lire dans les visages. Ce n’est que depuis Giotto au XIIIe siècle que la peinture livre des expressions plutôt que des stéréotypes. C’est que la personne était née dans la culture occidentale, re-née plutôt, avec la Renaissance. L’homme n’était plus un rejeton multiple de Dieu mais individu particulier qui devait moins obéir aux Commandements éternels que frayer par lui-même sa voie dans le monde et durant sa vie. Même le plus impassible des visages transmet les émotions intérieures. Ne serait-ce que par l’éclat d’un regard, l’étincelle qui anime les zygomatiques ou fait frémir imperceptiblement les lèvres. Cet enfant qui a faim souffre et ses yeux agrandis disent tout ce qu’il ressent. Ce masque rusé perce les secrets les mieux enfouis pour envoûter. Cette grecque dit beaucoup de sa sagesse intérieure due à la paix de l’âme. Un gourmand avale gloutonnement un plat d’huître sur un tableau de petit maître. Les chanteurs sont pris dans leur unisson, ils ne voient rien de ce qui les entourent, bouche ouverte, traits tendus.Une bien belle exposition qui fait penser tout en jouissant du multiple.
Exposition Le visage dans tous ses états, Réfectoire des Cordeliers, Université Paris-Descartes, 15 rue de l’École de médecine, Paris 6ème, 18 octobre – 9 novembre 2010.