Dans la prairie, on allaite, et on allaite longtemps.
Lorsque la biboudavril est venue s'installer dans mon ventre, le biboudemars était donc encore au sein.
Ne voyant aucune raison valable de mettre fin à cette relation*, j'ai donc tenté ma chance et inscrit un co-allaitement à notre horizon.
Je dis bien "tenté ma chance", car lorsqu'on entame une grossesse en étant encore allaitante, rien ne garantit que le bambin encore au sein pourra le rester.
Huit années de conseil en allaitement m'ont enseigné que la grossesse peut mener à un sevrage forcé, par manque de lait, douleurs aux seins, ou rejet difficile à contrôler de la part de la maman. Et une fois le bébé né, le co-allaitement rêvé comme histoire d'amour partagé et de tendresse fraternelle, cause parfois hélas, un épuisement frôlant le burn-out en raison de trop de sollicitations et de trop peu de soutien.
Par chance donc, durant la grossesse le biboudemars ne semblait pas gêné par mon ventre très rond. Ni par le nouveau goût de mon lait. Vers 5 mois de grossesse, cependant, mon lait s'est tari.
Nous avons maintenu des "têtées calins "comme avant, aussi nombreuses. Je craignais des éventuelles douleurs aux mamelons, mais elles ne se sont pas manifestées. Le biboudemars a compensé le manque de lait en triplant sa ration alimentaire, preuve s'il en était besoin, de la très haute valeur nutritive du lait maternel.
La première co-têtée eu lieu très vite après la naissance, et ne fut pas une réussite : au premier petit bruit de la bébée, le grand frère s'écarta bien vite du sein, nous lançant à l'une comme à l'autre un regard méfiant.
Pour la biboudavril par contre, ce fut un moment intense.
Scrutant avec curiosité le visage de son frère à quelques centimètres du sien, cet instant marqua pour elle une rencontre très importante.
Je comptais beaucoup sur le co-allaitement pour qu'un lien se crée entre le frère et la soeur. La réalité ne fut
pas exactement à la hauteur de mes espérances. Du moins pas tout de suite.
Le biboudemars, bien que ravi d'avoir à nouveau un bar à lait copieusement fourni, ne saisissait pas du tout la notion de partage, et exigeait que j'enlève de l'autre sein le machin geignant qui y était accroché.
Patience, explications, persévérance.......même si les co-tétées atténuaient peu la jalousie naturelle du plus grand, l'allaitement restait pour moi le meilleur moyen de le materner ,même une fois sa soeur née.
En ce qui me concerne au début, j'ai assez bien vécu cette nouvelle utilisation en tandem de mon décolleté. Cependant après plusieurs jours, j'ai commencé à éprouver cette envie de rejeter le grand, de l'éloigner de mon corps, par un reflexe de défense et de protection qui était tout à fait primitif. Mon cerveau de guenon moderne étant informé que ce genre de sentiments pouvaient se manifester, j'ai écouté mon bon sens, qui me disait que mon fils n'avait pas changé du tout au tout en une journée. Et que, grand frère ou pas, ses besoins étaient les mêmes. J'ai donc demandé à ma chimpanzée interieure de la mettre en veilleuse, et j'ai serré les dents.
Pas longtemps, heureusement. Ces sentiments se sont vite dissipés. Reste parfois encore cette sensation désagréable d'être dévorée, qui me fait mettre fin immédiatement à la tétée en cours, le temps de souffler quelques instants.
Entre les deux bibous, petit à petit le lien s'est noué.
Le petit pied de la poupougne nouvelle née, qui venait se nicher ordinairement sur mon ventre, s'est une première fois aventuré vers le torse de ce grand frère tout neuf. En premier lieu repoussé, ce petit pied fut ensuite toléré, puis accueilli.
Répondant aux regards insistants de sa petite soeur, le biboudemars a un jour avancé sa petite main vers cette minuscule personne. Caressant les cheveux, passant un doigt sur les joues rebondies, saisissant les petits doigts qui se tendaient vers lui....
Puis dès que la biboudavril fût assez grande, ce fut elle qui alla chercher la main de son frère, qui la lui donna bien volontiers. Retenant mon souffle pour ne pas briser la magie de l'instant, j'assistais aux premieres loges à la création de cette relation entre frère et soeur.
Cela fait 18 mois à présent que cette relation se poursuit. Le co-allaitement fait partie de notre vie à tous les 3, et c'est toujours un partage. Je restreins désormais le grand aux tétées du coucher et du réveil, et il appelle parfois sa soeur si elle tarde à venir le rejoindre. La poupougne, de son côté est toujours contente de ces moments de tendresse partagée.
Mes enfants me gratifient souvent de moments touchants, où l'une s'interrompt pour faire un bisou à l'autre. Et où l'un tente de faire rigoler sa soeur par des chatouilles.
Nous continuerons donc, jusqu'à une date indeterminée.
*Je vous parlerai une autre fois de l'allaitement long.
nb: la sensibilité douloureuse des mamelons durant la grossesse peut être atténuée par la prise régulière de levure de bière.