Ne vous méprenez pas : il ne s'agit pas ici de dire que les juristes recherchent la fortune et la gloire... ça, tout le monde le sait !
Mais suis-je capable moi-même d'imaginer ce que mes voisins recherchent ? Je me lance. Aux historiens, je reconnais la tâche d'ordonner la mémoire collective et de découper la succession des évènements ainsi relatés en périodes constituant autant de jalons compréhensibles dans la marche de la Civilisation. Aux littéraires, la mission de mettre en lumière le génie des hommes (et des femmes
"Et aux juristes ?", me direz-vous. Eh bien, commençons par faire court : aux juristes, la responsabilité d'expliciter le contenu des règles juridiques et peut-être aussi - en partenariat concurrence avec les politologues, les sociologues, les psychologues et même les philosophes - leur raison d'être. Après s'être interrogé sur les conditions dans lesquelles les êtres humains acceptent d'obéir collectivement à certaines règles, c'est-à-dire de conformer leurs pensées et leurs actions à des pensées et des actions préétablies, les juristes sont ainsi amenés à apprécier (une certaine part de) la légitimité des dispositions juridiques en vigueur.
J'entends bien entendu certaines protestations ou interrogations. Pour l'instant, je ne m'expliquerai pas nécessairement sur tout. C'est qu'il est ici, à mon avis, une idée qu'il faut essayer de faire passer de manière urgente, avant toutes les autres : la détermination de ce qui est ou doit être licite (pour une action) ou bien de ce qui est ou doit être légal (pour un acte juridique) ne procède presque jamais d'une opération mécanique ou machinale mais, au contraire, d'une opération complexe mêlant acte de connaissance et un acte de volonté.
En d'autres termes :
- Il ne suffit pas de connaître les dispositions juridiques régissant une situation de fait donnée (ce qui nécessite déjà certaines compétences) pour en inférer avec suffisamment de précision le comportement que l'on devait/doit/devra avoir. Autrement, on s'expliquerait difficilement qu'il y ait autant de litiges portés devant le juge, autant d'argent dépensé en frais de représentation et autant de sincérité dans la colère, les larmes et les cris de la plupart des justiciables. Et puis, on imagine mal que le législateur (lato sensu) puisse recenser dans ses textes ou même simplement prévoir toutes les situations de fait que le monde offre aujourd'hui et offrira demain ; il ne peut donc, le plus souvent, que raisonner à partir de "catégories". En voici un exemple à la fois simple et très connu :
Soit la très courte loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public. Son article 1er dispose que "Par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, les tribunaux de l'ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque .[al. 1/] Cette action sera jugée conformément aux règles du droit civil, la responsabilité de la personne morale de droit public étant, à l'égard des tiers, substituée à celle de son agent, auteur des dommages causés dans l'exercice de ses fonctions.[al. 2/] La présente disposition ne s'applique pas aux dommages occasionnés au domaine public." [al. 3]
Seulement voilà : que faut-il entendre, au juste, par "véhicule quelconque" ? Un engin de chantier est-il un "véhicule" au sens de la loi n° 57-1424 ? Et que dire pour un traîneau destiné au transport des blessés sur les pistes de ski, un avion, un hélicoptère ou encore un conteneur d'ordures ménagères ? Autant de questions qui se sont réellement posées parce que des personnes ont été les victimes d'accidents impliquant de tels objets ! Votre curiosité est piquée au vif ? Commencez donc par faire un petit tour sur le site internet de l'Ac@démie de gymnopédie juridique...
- A l'inverse, il ne suffit pas de connaître le résultat concret que l'on souhaite atteindre pour en inférer avec une chance suffisante de succès les dispositions juridiques susceptibles d'y mener. Une vérité qui a longtemps été oubliée par les autorités politico-administratives françaises ; ce qui n'a pas été étranger à la dégradation très sensible de la qualité des textes juridiques. Mais également une vérité qui est trop souvent méconnue des jeunes entrepreneurs et même des simples citoyens ; ce qui explique bon nombre de déboires financiers et judiciaires...
Finalement, le recours aux juristes est bien souvent salutaire. Et en même temps, il ne l'est pas toujours. C'est que le droit, à l'instar peut-être de la médecine, est tout autant une science qu'un art : on y invente des choses, on en déduit d'autres et surtout, on subit, on se débat et on manipule beaucoup... Il en résulte que l'explicitation du droit est toujours plus ou moins à refaire, c'est-à-dire à redécouvrir et à réinventer. C'est évidemment ce à quoi s'emploient, en premier lieu, nos chercheurs.
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