Des voix s’élèvent pour revendiquer davantage de « partage du travail » pour lutter contre le chômage et favoriser le développement durable par le ralentissement de la croissance ou même la décroissance.
Quelle curieuse idée, dont l'éfficacité est démentie de surcroit par les faits !
Aujourd’hui, c’est en lien avec la réforme des retraites que l’idée du partage du travail comme solution aux problèmes d’emploi d’une partie de la population en âge de travailler est de retour dans le débat économique.
Mais d’autres circonstances économiques devraient se traduire par un partage du travail car, l’emploi étant une denrée rare, pour que tous ceux qui sont en âge de travailler en occupent un, il faut partager l’emploi global entre un nombre plus grands d’individus
Partager le travail, cela signifie concrètement que :
- Les vieux qui travaillent plus longtemps, c’est moins d’emplois et plus de chômage pour les jeunes.
- Les femmes qui travaillent c’est moins d’emplois et plus de chômage pour les hommes.
- Les immigrés-étrangers qui travaillent c’est moins d’emplois et plus de chômage pour les français.
- Les plus qualifiés qui travaillent c’est moins d’emplois et plus de chômage pour les moins qualifiés.
Donc, dans ces conditions :
- Pour réduire le chômage des uns, il faut réduire le temps de travail des autres.
- Pour réduire le chômage des « jeunes », il ne faut pas faire travailler les « vieux » plus longtemps.
- Pour réduire le chômage le chômage des femmes, il faut que les hommes acceptent de partager.
- Pour réduire le chômage des hommes, il faut renvoyer les femmes au foyer.
- Pour réduire le chômage des immigrés, il faut que les français partagent.
- Pour réduire le chômage des français, il faut renvoyer les immigrés chez eux.
- Pour réduire le chômage des moins qualifiés, il faut que les qualifiés partagent.
- Pour réduire le chômage des moins qualifiés, il faut les renvoyer chez eux.
NB : je sais bien que « immigrés » et « étrangers » sont des réalités qui désignent des phénomènes qui ne sont se recouvrent pas complètement.
Toutes ces affirmations semblent frapper du sceau du bon sens, pourtant elles ne tiennent pas la route car il y a souvent un abîme en économie entre le "bon sens" courant et la réalité économique parfois beaucoup moins intuitive mais bien mieux vérifiée par les observations statistiques d’une population dans le long terme.
Pourquoi donc le travail, au sens de l’emploi, ne se partage pas ?
Tous simplement parce que l’emploi des uns, bien loin de détruire l’emploi des autres, en favorise l’essor.
L’emploi global n’est pas un gâteau de taille fixe, un nombre de poste ou un nombre d’heure donné, qu’il convient de partager en un plus grand nombre de parts pour chacun en ait une part.
C’est comme si d’une année à l’autre, la taille de mon gâteau d’anniversaire restait inchangée alors que le nombre de mes amis invités à le partager augmente. Je crois qu’à la longue, le cout d’opportunité pour mes amis d’être présent augmenterait.
Déjà, si on regarde les évolutions statistiques à très long terme, on voit qu’avec l’augmentation de la taille d’une population en âge de travailler sous l’effet de la multiplication des naissances ou sous l’impact d’une vague d’immigration, la population en âge de travailler augmente aussi.
Ipso facto, la population active (une partie de la population en âge de travailler) croît.
Si l’emploi augmente au moins aussi vite que la population active, alors le nombre de personnes occupées par un emploi augmente et le nombre de personnes au chômage diminue. C’est bien ce que l’on observe dans tous les pays qui se développent depuis deux sicles.
Voir le cas de la France dans ce tableau.
La population totale augmente, la population en âge de travailler augmente et l’emploi augmente aussi.
Ce qui fait que le chômage augmente, c’est l’insuffisante croissance de l’emploi relativement à celle de la population active (qui occupe un emploi ou qui est sans emploi mais en cherche activement un – personnes au chômage).
On comprend bien que, globalement, sous les effets démographiques présentés, l’emploi se développe.
Donc l’emploi des nouveaux venus ne se fait pas au détriment de ceux qui étaient déjà présents.
De nouveaux emplois se créent pour absorber cet afflux de main d’œuvre nouvellement disponible.
Évolution de la structure de la population active française occupée par secteurs
Dates
(début d'année)
Population active occupée
(milliers)
Secteur primaire (milliers)
Secteur secondaire
(milliers)
Secteur
tertiaire
(milliers)
Secteur primaire (%)
Secteur secondaire
(%)
Secteur
tertiaire
(%)
1806
12 871
8 379
2 623
1 869
65,1
20,4
14,5
1851
16 663
9 306
4 350
3 007
55,8
26,1
18,1
1896
19 050
8 181
5 926
4 943
42,9
31,1
26,0
1921
19 469
7 214
6 406
5 849
37,1
32,9
30,0
1955
19 354
5 044
6 640
7 670
26,1
34,3
39,6
1962
19 659
3 952
7 105
8 602
20,1
36,1
43,8
1968
20 266
3 160
7 589
9 517
15,6
37,4
47,0
1974
21 561
2 291
8 292
10 978
10,6
38,5
50,9
1980
21 889
1 887
7 697
12 305
8,6
35,2
56,2
1985
21 389
1 603
6 767
13 019
7,5
31,6
60,9
1990
22 233
1 251
6 692
14 290
5,6
30,1
64,3
0. MARCHAND et C. THÉLOT, Deux siècles de travail en France, INSEE, 1991 et recensement 1990.
Comment expliquer que plus de main d’œuvre disponible s’accompagne globalement
de plus d’emploi, plus d’heures de travail au niveau global ?
C’est le résultat du processus de destruction créatrice qui est un processus permanent d’innovation et qui va co-déterminer les processus de croissance économique (augmentation soutenue et durable de la production globale de l’économie) et de croissance de l’emploi.
C’est également la capacité de l’économie à fournir à cette nouvelle main d’œuvre le capital nécessaire et suffisant à son emploi c'est-à-dire à lui donner la possibilité de participer à la production du gâteau global de biens et services destinés à satisfaire les besoins de tous, le gâteau PIB, qui va déterminer la croissance de l’emploi et celle de l’économie.
Chaque fois qu’une entreprise se développe, elle doit investir pour pouvoir embaucher (et réciproquement), une fois que le taux d’utilisation de ses capacités de production atteint son maximum. L’interdépendance entre les deux facteurs de production permet de comprendre ce phénomène d’accroissement quasi simultané de l'embauche et de l'investissement.
A long terme, l’emploi et la production augmentent bien sous l’effet de la croissance de la population totale, de la population en âge de travailler, de la population active ; et l’emploi des nouveaux venus s’ajoute à celui des anciens déjà présents.
Dans ces conditions, plus de travail pour les vieux, les femmes, les immigrés, ne peut se traduire par moins de travail pour les jeunes, les hommes, les français.
Et les gains de productivité alors ?
Certes, rétorquerons les tenants du partage du travail, mais les gains de productivité obtenus grâce à l’investissement et à l’innovation permettent de produire plus en moins de temps. Ils permettent donc de réduire le temps de travail par personne occupée (en âge de travailler) car chacune produit plus en moins de temps. Cela doit donc permettre de favoriser l’embauche d’un plus grand nombre de personnes par la baisse de la durée de travail par travailleur.
En effet sous l’effet de la hausse de la productivité horaire, on observe bien à long terme (plusieurs siècles, et décennies) une forte baisse du temps de travail par personne occupée.
Mais dans ce cas, il ne faut pas se tromper sur le sens de la causalité. Ici, c’est la croissance de la productivité qui permet sur la longue durée de réduire la durée du travail par emploi.
De surcroit, simultanément, cette hausse de la productivité s’accompagne d’une hausse du pouvoir d’achat de la demande (sous le double effet de la hausse des salaires et de la baisse des prix) et d’une hausse de la capacité d’offre (sous le double effet de la baisse des couts unitaires et de la hausse de profits).
Il en découle donc une croissance simultanée de la production et de l’emploi. Les gains de productivité horaire on certes augmenté, la durée du travail par tête est plus faible, mais comme il a fallu répondre à une hausse de la demande, il a été nécessaire d’embaucher davantage, ce qui permet d’absorber davantage d’actifs, de fournir un emploi à plus de personnes actives.
Ne pas se tromper sur le sens de la causalité
On en déduit qu’il n y a rien du tout de comparable avec l’enchainement de causalité relatif à la RTT, au sens des 35 heures en France. Dans ce cas, le passage aux 35 heures (la RTT) n’est pas une conséquence des gains de productivité à long terme, mais un moyen supposé d’augmenter le nombre d’emplois en partageant l’insuffisance du nombre d’heure de travail disponible. L’hypothèse est que le nombre d’heure est donné et que pour faire travailler davantage de monde, il faut réduire lé durée du travail par tête. Une baisse du nombre de chômeur en résultera.
Cette vision malthusienne de l’emploi consiste tout simplement à se résigner,
à partager la pénurie.
Certes, la RTT (35 heures) a permis d’obtenir de faibles gains de productivité liés à la nécessité pour les entreprises de réorganiser le travail de leurs salariés pour réduire le cout du passage de 39 h à 35 h. Mais, bien évidemment, cela n’a pas permis d’inscrire la courbe des créations d’emplois sur une tendance durable à la hausse et celle du nombre de chômeurs sur une tendance durable à la baisse.
L’emploi et les revenus des uns, encore une fois, ne se créent pas
au détriment de ceux des autres.
Le partage du travail, sous toutes ses formes, comme solution aux diverses difficultés d’emploi de populations différentes, n’est pas efficace à long terme. On peut admettre que transitoirement, à court terme, cela peut favoriser l’emploi, mais ce n’est qu’un pis-aller, et une chimère à long terme.
A long terme, du fait des dizaines de milliers de créations et destructions quotidiennes d’emplois, d’activités, d’entreprises, en raison du progrès technique, des innovations, c’est de notre capacité de création de nouveaux emplois, de nouvelles activités, de nouvelles entreprises, que dépend la création nette d’emploi.
Si cette création nette est positive, cela veut dire qu’on crée plus qu’on ne détruit et le chômage baisse, les taux d’emploi et d’activité augmentent.
Si cette création nette est négative, cela veut dire qu’on crée moins qu’on ne détruit et le chômage augmente, les taux d’emploi et d’activité diminuent.
De surcroit, en raison de ce processus de destruction créatrice source de progrès (même s’il posent des problèmes environnementaux … car rien n’est complètement positif), il est tout à fait logique qu’à court terme, l’emploi des uns se crée au détriment de lui des autres, emplois frappés par l’obsolescence.
Pourtant, il ne faut pas se tromper de diagnostic et de médication. La meilleure chose à faire à court et à long terme, n’est pas de défendre des activités et des emplois condamnés à disparaitre inéluctablement mais plutôt de mettre en place un accompagnement des nouveaux chômeurs vers des formations et des emplois d’avenir.
Processus de destruction créatrice et appariement sur le marché du travail
Défendre des emplois et des activités obsolètes a un cout définitif, c’est une perte nette pour l’économie et la société. Il en est de même lorsqu’on cherche à partager le travail parce que des emplois disparaissent inévitablement.
En revanche, favoriser l’émergence et le développement des emplois d’avenir en accompagnant les personnes concernées a un cout qui peut se traduire in fine par un gain net. Ce qui est tout à fait différent et qui permet de faire croitre l’emploi sans le partager inutilement et inefficacement.
Mutatis mutandis, un marché du travil dynamique perte de résoudre les problèmes d'emploi sans partager le travail.
C’est bien la question de l’appariement qui est posée ici, c'est-à-dire celle de la meilleure combinaison entre qualifications et compétences exigées par un poste à pourvoir et qualifications et compétences de celui ou celle qui postule pour un emploi.
Cette question du processus d’appariement a été étudiée par les trois économistes qui ont reçu le Prix Nobel d’économie en cette fin d’année 2010.
A suivre …
A consulter
Reforme des retraites, chômage des jeunes et Nobel d’Economie
Appariements sur le marché du travail
« Prix Nobel d’Economie 2010 » pour Peter DIAMOND, Dale MORTENSEN et Christopher PISSARIDES
Conférence de Pierre CAHUC
Une nouvelle estimation des flux d'emploi et de main-d'oeuvre en France
Le « retour » de la « Politique économique », seconde édition, 2009
La discrète dégradation du débat économique
Travail, Emploi et Chômage 1/4
Travail, Emploi et Chômage 2/4
Travail, Emploi et Chômage 3/4
Travail, Emploi et Chômage 4/4
Le plein emploi 1/2
Le plein emploi 2/2