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Droit de grève et réquisition : la difficile conciliation (CE, réf., 27 octobre 2010, M. Stéphane L. et a., Fédération nationale des industries chimiques CGT)

Publié le 01 novembre 2010 par Combatsdh

Caractère nécessaire et proportionné de mesures de requisitions compte tenu des risques de pénurie totale

par Serge Slama

greve-total.1288542051.JPGEn appel, le juge des référés du Conseil d’Etat confirme l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève en rejetant la demande de suspension de l’arrêté de la préfète des Yvelines du 22 octobre 2010 réquisitionnant pour 6 jours des salariés grévistes de l’établissement pétrolier « Total » de Gargenville compte tenu des risques de pénurie aéroportuaire totale à Roissy et d’interruption des services d’urgence. Comme ceux pris par d’autres préfets au même moment, l’arrêté de réquisition en question était fondé sur le 4° de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), dans sa version issue de la loi du 5 mars 2007 de prévention de la délinquance (jamais soumise au Conseil constitutionnel).

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Mentionnons que, parallèlement à cette affaire, le tribunal administratif de Melun avait suspendu, le 22 octobre, à l’initiative de la CGT, un arrêté du même jour du préfet de Seine-et-Marne visant à réquisitionner la quasi-totalité du personnel de la raffinerie de Grandpuits compte tenu à son caratère disproportionné. Cet arrêté avait pour effet « d’instaurer un service normal au sein de l’établissement et non le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurités publics ». L’ordonnance reconnaissait néanmoins la possibilité pour le préfet de « requérir les personnels en grève d’une entreprise pétrolière dans le but d’assurer l’approvisionnement en carburant des véhicules de service d’urgence, de secours » et assurer le maintien de l’ordre (TA de Melun, réf., 22 octobre 2010, n°1007309) – ce que fit le préfet la nuit même. Ce second arrêté fut cette fois-ci confirmé (v. dépêche AFP du 25 octobre 2010). Saisi dans les mêmes conditions, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles rend le 23 octobre 2010 une ordonnance dans le même sens (n° 1006866). C’est cette ordonnance versaillaise que le juge des référés du Conseil d’État confirme en appel, après avoir admis l’intervention de la CGT.
Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de consacrer le droit de grève comme « liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative [référé-liberté]» mais aussi validé la possibilité de restreindre ce droit, conformément au préambule de 1946 (v. CE Ass. 7 juillet 1950, Dehaene; CC n°79-105 DC 25 juillet 1979 droit de grève à la radio télévision). Dans une affaire appliquant déjà les mêmes dispositions du CGCT (dans leur version issue de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure), il avait validé la possibilité de « requérir les agents en grève d’un établissement de santé, même privé, dans le but d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins » dès lors que ces mesures sont « imposées par l’urgence » et « proportionnées aux nécessités de l’ordre public » notamment les impératifs de santé publique (CE, 9 décembre 2003, Mme Aguillon et a., n°262186, au Rec. CE : à propos de sages femmes. Voir aussi le contrôle de constitutionnalité de cette disposition au regard notamment de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : Cons. constit. n°2003-467 DC du 13 mars 2003). En l’espèce, après avoir avoir rappelé ce considérant de principe, le juge des référés relève que le préfet peut légalement « requérir les salariés en grève d’une entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public ». Dans le cadre du contrôle approfondi, il se livre néanmoins à un examen minutieux de la situation de l’espèce en mettant en balance:

  • D’un côté, s’agissant de la nécessité de la mesure de réquisition et de leur
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    proportionnalité aux risques « pour la sécurité routière et l’ordre public »:
    • le fait qu’à la date de l’arrêté, les stocks de carburant à l’aéroport de Roissy « ne couvraient plus que trois jours de consommation » et qu’ils « devaient être complétés en raison des délais de traitement et de livraison nécessaires » ;
    • que cela pouvait « conduire au blocage de nombreux passagers, notamment en correspondance, et menacer la sécurité aérienne en cas d’erreur de calcul des réserves d’un avion » ;
    • et qu’en outre, la pénurie croissante en Ile de France menaçait alors « le ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité »

Dès lors la réquisition en question, en raison des stocks de carburant aérien et de la capacité de traitement de l’établissement de Gargenville constituait « une solution nécessaire, dans l’urgence, à la prévention du risque de pénurie totale de carburant aérien à l’aéroport, en l’absence d’autres solutions disponibles et plus efficaces ». Il s’agissait aussi, aux yeux du juge des référés, d’« une solution nécessaire à l’approvisionnement en urgence de la région Ile de France ».

  • De l’autre côté :
    • pour les fonctions de livraison de carburant aérien, de traitement du kérosène et de livraison d’essence et de gazole, le personnel requis apparaît « limité aux équipes de quart nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité ». Les effectifs concernés ne représentent « qu’une fraction de l’effectif total de l’établissement » même si, eu égard à leurs fonctions, ils constituent en réalité « l’essentiel des salariés grévistes ».
    • En revanche, pour la réception et/ ou livraison de carburants et de fioul domestique, la requisition préfectorale ne correspond pas « aux nécessités d’ordre public » mais l’administration a indiqué à l’audience publique que « ces mentions (…) erronées, n’étaient pas appliquées et ne pouvaient pas l’être ».

Cette ordonnance illustre toute la difficulté d’assurer une conciliation entre le respect du droit de grève et la satisfaction des besoins essentiels de la population et de l’économie. Car, bien souvent, en période de pénurie (ou en période de pointe dans les transports), le service « minimum » nécessaire pour satisfaire ces besoins correspond en réalité au fonctionnement quasi-normal de l’entreprise et, par conséquent, à la réquisition de la majeure partie des salariés grévistes, réduisant leur droit de grève à peau de chagrin. Ces ordonnances validant les réquisitions préfectorales ont d’ailleurs contribué à la fin du mouvement de grève des raffineries quelques jours après. Rappelons que la Cour de Strasbourg estime que « les restrictions légales au droit de grève devraient définir aussi clairement et étroitement que possible les catégories (…) concernées » (Cour EDH, 3e Sect. 21 avril 2009, Enerji Yapi-Yol Sen c. Turquie, no 68959/01, ADL du 23 avril 2009 – v. aussi Cour EDH, 5e Sect. 28 octobre 2010, Trofimchuk c. Ukraine, Req. n° 4241/03 – ADL 29 octobre 2010 et catégorie “droit de grève”).

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CE, réf., 27 octobre 2010, M. Stéphane L. et a., Fédération nationale des industries chimiques CGT (n° 343966)

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Actualités droits-libertés du 31 octobre 2010 par Serge SLAMA

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