Connaître rapidement les conditions écologiques d’un milieu donné ne nécessite pas un inventaire complet des espèces en présence (végétaux, animaux…) ni même les mesures des paramètres abiotiques qui y règnent, cela serait bien trop complexe. L’observation et l’étude des communautés végétales (phytocénoses) en lien avec la géologie de terrain suffisent en général à révéler ces conditions variables au cours du temps. Le travail d’investigation (identification, comptage…) revient au phytosociologue et permettra ensuite d’établir des cartes de végétation à grande échelle, tout au moins à celle de la région. Celles-ci sont enfin utilisées par tout un chacun jouant un rôle de gestionnaire ou d’aménageur de la région concernée (forestiers, agronomes, agents des secteurs protégés, services techniques de l’équipement, acteurs de l’urbanisation…). «La végétation peut être utilisée comme un indicateur biologique dans la mesure où elle intègre un grand nombre de paramètres écologiques.»
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PROTOCOLE ET MODE OPERATOIRE
A partir des cartes géologiques dont dispose le phytosociologue, ce dernier repère des ensembles de végétaux tout aussi homogènes que ne peut l’être le milieu étudié (dunes, fourrés arbustifs, hêtraie, mélézeins, pelouses alpines, pessières à myrtilles, prairie humide, combe à neige…). Il évalue la structure de la communauté végétale et en établit la composition floristique par relevés phytosociologiques. Les observations seront autant verticales (stratification) qu’horizontales (superficie). Pour le repérage effectué sur de petites surfaces, l’outil (ou méthode) préféré de l’écologue de terrain est le carré (ou quadrat de un mètre sur un mètre) que l’on jette au hasard sur le sol : on relève alors tout végétal qui y est présent à l’intérieur (on pourrait faire la même chose pour le comptage d’arthropodes est autres invertébrés). A part pour de rares cas (rochers), on fera autant de mesures que nécessaires pour trouver des valeurs invariables pour le domaine étudié, c’est la phase qui détermine l’aire minima à mesurer.
Bien entendu, si l’on désire évaluer le nombre de végétaux présents dans un vaste espace, il faudra augmenter soit la taille du carré que l’on matérialisera par des fils tendus, soit le nombre de jet du carré faisant un mètre carré :
- sur des rochers, la surface du quadrat n’est que de quelques centimètres carrés,
- dans une tourbière, elle sera de un à 5 m²,
- dans une prairie, de 10 à 20 m²,
- dans la lande, de 20 à 100 m²,
- dans une forêt, de 100 à 200 m²…
… et toujours sont établies les fiches signalétiques -sorte de carte d’identité- des espèces reconnues et identifiées.
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CARTE D’IDENTITE ANALYTIQUE DES ESPECES VEGETALES
Plusieurs critères permettent d’établir ces fiches précieuses :
♦ L’abondance et la dominance ou indices d’abondance-dominance :
L’abondance d’un espèce végétale λ, qui va de 1 à 5, est liée au nombre total d’individus (de l’espèce λ) comptés. La dominance de λ est fournie par l’évaluation de la surface couverte par l’ensemble des individus de l’espèce λ. En réalité, on regroupe les deux indices, étroitement liés l’un à l’autre, en un seul qui se situe sur une échelle allant également de 1 à 5 : si le recouvrement est faible, c’est le nombre d’individus qui s’impose et si, inversement, le degré de recouvrement est important, c’est la valeur de la dominance qui deviendra prépondérante. Ainsi, l’échelle d’abondance-dominance (BRAUN-BLANQUET et al., 1952) est la suivante :
- + : individus rares (ou très rares) et recouvrement très faible
- 1 : individus assez abondants, mais recouvrement faible
- 2 : individus très abondants, recouvrement au moins 1/20
- 3 : nombre d’individus quelconque, recouvrement 1/4 à 1/2
- 4 : nombre d’individus quelconque, recouvrement 1/2 à 3/4
- 5 : nombre d’individus quelconque, recouvrement plus de 3/4
Pour exemple, la gentiane ponctuée devra être représentée par au moins dix individus pour offrir le même degré de recouvrement d’un seul pied de rhododendron.
♦ La fréquence d’une espèce est donnée par le nombre moyen de fois où elle est rencontrée (nombre total divisé par la surface, en m², ayant servi à la mesure), rapporté à 100, de façon à obtenir un pourcentage.
♦ La sociabilité est un indice majeur puisqu’elle exprime la répartition d’une espèce végétale λ sur le territoire étudié. D’éparse à dense, une espèce présente en effet ses propres caractéristiques (isolé, en touffes petites ou grandes, en peuplement dense). En fait, cet indice donne une bonne idée de la force de concurrence (pour l’eau, la lumière) propre à l’espèce λ.
Pour exemple, la fréquence du blé dans un champ de culture variera en fonction de la pluviométrie : un bonne saison (pour l’agriculteur et non pour le touriste !) donnera un indice de fréquence fort, alors qu’une saison sans pluie le fera redescendre. Ce qui n’a rien à voir avec l’indice d’abondance-dominance qui restera le même.
♦ La périodicité concerne le cycle de croissance et de développement (phénologie) d’une espèce λ, sur une année durant (de la germination à la mort, ou à la disparition de l’appareil végétatif aérien). Elle est donnée, par exemple, par l’observation d’un même quadrat, tout au long d’une année. Ainsi, un mètre carré de terrain étudié dans le milieu révèle une succession d’apparitions et de disparitions qui vont du printemps à l’automne : «les espèces bulbeuses délicates s’accommodent, au printemps, de la faible activité du tapis végétal ; leur appareil aérien et fructifère disparaît quand la deuxième vague apparaît, dominée par les espèces annuelles puis par les espèces vivaces à rhizomes.»
La périodicité fixe la durée, donc l’intensité temporaire de la concurrence de l’espèce λ sur un même carré de relevé.♦ La stratification donne une représentation verticale de l’association végétale en milieu plus ou moins fermé (présence forte d’arbres). Elle est à l’espace ce que la périodicité est au temps. Les végétaux considérés peuvent s’associer en formant des strates qui se superposent. Cette organisation verticale permet à un plus grand nombre d’espèces de cohabiter sans vraiment se faire concurrence, pour la lumière surtout. Ainsi, un rocher ne comportera qu’une seule strate que l’on dira muscinale (présence de mousses et de lichens), alors qu’une forêt en comportera plusieurs qui semblent s’emboiter avec, de bas en haut, les lichens et mousses (strate muscinale), les herbacées et les fougères (strate herbacée), les arbustes de tailles diverses (strate arbustive) et, pour finir, les arbres (strate arborescente) dont il ne faut pas oublier la canopée, notamment en milieu tropical.
A la suite de toutes ces observations, le phytosociologue effectuera le travail complexe qui est de trier les caractéristiques compilées en un premier tableau informatif, ce qui le conduira enfin à aborder synthétiquement et globalement cette fameuse notion d’association végétale en un lieu géographique donné. C’est par cette approche à la fois intellectuelle et technique qu’un profil végétal associatif sera précisé. Un ensemble d’informations synthétiques va lui permettre d’affiner la connaissance du groupement floristique et plusieurs indicateurs vont l’aider à mieux cerner l’association végétale qu’il aura identifié.♦ L’indice de présence d’une espèce varie sur une échelle allant de 1 à 5. Certains végétaux (c’est valable aussi pour les animaux) sont rencontrés un peu partout quand d’autres peuvent carrément manquer. Ce sont des constantes du milieu. Pour être déclarée constante, une espèce doit figurer dans au moins la moitié des relevés. Ces espèces sont importantes à partir du moment où elles participent à l’identification d’une ou de plusieurs association végétales.
♦ La fidélité : une fois la constante végétale identifiée (indice de présence régulière), on essaie de repérer les autres espèces qui lui sont le plus souvent associées et que l’on ne rencontre que dans la formation étudiée. Ainsi, dans une pelouse alpine où c’est la fétuque spadicée qui apparaît comme constante, on lui trouvera associée la centaurée uniflore qui représente donc l’espèce fidèle. Le constat de fidélité plus ou moins étroite d’une espèce à un groupement donné reflète l’amplitude écologique de l’espèce fidèle : plus cette amplitude est élargie, moins l’espèce en présence indique une association particulière. Une espèce comme le pissenlit, plante adaptée à des conditions extrêmement variées, ne peut en aucun cas trahir une association particulière ; c’est une espèce indifférente, simple compagne. Les espèces fidèles tendent à disparaitre dès que les conditions écologiques changent significativement, mais d’autres espèces prennent alors leur place dès lors qu’elles présentent des résistances à ces changements.
La présence d’une espèce fidèle à un groupement végétal est abordée de manière purement statistique ; sa valence écologique est étroite et elle représente «l’espèce la plus strictement liée au biotope étudié».
Nomenclature des groupements végétau
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INTERÊT DE L’IDENTIFICATION DES ASSOCIATIONS VEGETALES
Une association végétale, quelle que soit son ampleur territoriale, ne signifie pas la construction d’une société végétale à l’instar des sociétés humaines idéalement conçues. La synergie ou la symbiose n’y sont, en général, pas de mise et, au contraire, on peut affirmer que dans la majorité des cas c’est la concurrence et la compétition inter-spécifique qui règne. Du coup, il y a proximité entre de tels modèles et la société individualiste à économie de marché occidentale en mal de fraternité. Ce sont les facteurs tels le génotype (constitution du génome), le phénotype (expression du génome), le sol, le climat, le système racinaire des végétaux en présence, l’excrétion de substances biologiques télétoxiques, le parasitisme… qui régulent cette concurrence.
Les associations végétales sont les meilleurs outils en ce qui concerne l’aménagement du territoire. Un exemple d’action menée après étude de différentes stations : la réintroduction du bison en Europe. Sa présence dans les forêts françaises apporteraient de nombreux avantages comme ceux qu’apporte le pâturage des arbustes en laissant la lumière passer jusqu’à la strate herbacée, mais aussi en limitant la prolifération de certaines espèces. Et surtout, le bison restituerait de la matière organique dont manquent nos sols qui, du coup, meurent lentement.
De même, le suivi de certaines associations végétales de montagne, aux pelouses bien moins pâturées que jadis et devenues glissoire à neige, permet de savoir où installer les pare-avalanches le plus judicieusement possible.
Autre utilité d’un suivi régulier de groupements végétaux : le reboisement avec les espèces les mieux adaptées pour cette association, ce qui deviendra, dans un futur proche, indispensable pour contrer l’effet du réchauffement climatique, si celui-ci a lieu, bien entendu.
Les offices de chasse désireux de contrôler les populations de gibier font appel aux talents des phytosociologues. Autrement, le travail d’investigation qui permet la régulation des cheptels d’animaux sauvages serait fastidieux ; avec l’identification des associations végétales, qui évitent de longs comptages et donc des investissements humains trop lourds, ainsi qu’avec un suivi relatif dans le temps, on économise du temps et de l’argent sans perdre en efficacité.
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